Lucie Rondelet, fondatrice du média Celles qui Osent, a rencontré Frédéric Lopez. Citoyen curieux de cette planète, fasciné par tout ce qui est vivant, il s’intéresse au sapiens, au règne animal, végétal et à cette expérience incroyable que l’on appelle la Vie. Celui qui se qualifie d’entomologiste des émotions a la chance d’exercer un métier passion en tant qu’animateur et producteur de télévision. « J’aime filmer les rencontres, les interactions entre êtres humains. Elles donnent du sens à l’existence. » Dans cette interview exclusive, disponible en version audio de notre podcast Celles qui Osent, il nous raconte son parcours de vie, sa vision de l’amour et son besoin de rendre les gens heureux. Voici l’article issu de notre riche échange avec cet amoureux des rencontres, adepte de l’autocompassion.
Frédéric Lopez : un rêveur qui ose croire que tout est possible
« Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ». Oscar Wilde
Pour Frédéric Lopez, le verbe oser se définit par le fait d’affronter une peur. Être rejeté ou redouter l’échec est difficile à accepter dans notre société.
Nelson Mandela, son idole, disait d’ailleurs : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. »
Enfant très timide et complexé, Frédéric Lopez grandit dans un environnement plutôt anxiogène, avec un père sévère. Rêveur par survie, son « cerveau s’échappait en dehors du présent. » Malgré le peu d’estime qu’il a pour lui, il ose, par obligation, car le « non, je l’ai déjà ». Adolescent, il se répète la phrase « qui ne tente rien n’a rien ».
Peu à peu, il prend conscience que chaque jour de son existence, il fait des choix audacieux sans même s’en rendre compte. À y réfléchir, ses parents aussi en ont fait. À la mort de Franco, la famille a déménagé en Espagne par exemple. Il a dû s’adapter à l’école par correspondance. Issu d’un milieu modeste, il perçoit très vite la lutte des classes, et comprend qu’à priori, « il y a des choses qui ne nous étaient pas permises. »
De son enfance, il retient surtout les peurs de ses parents et l’anxiété exacerbée de sa mère. « J’ai passé beaucoup de temps à vouloir leur montrer qu’ils avaient tort d’avoir peur de tout, d’être anxieux. Que tout était possible. »
Rendez-vous en terre inconnue : l’émission qui contribua à sa notoriété
En 2005, Frédéric Lopez crée l’émission Rendez-vous en terre inconnue. Son concept est innovant et très original : une célébrité s’envole avec lui pour une destination secrète afin de se confronter aux coutumes de tribus locales. Des invités comme Muriel Robin, Gilbert Montagné, Bruno Solo, Frédéric Michalak, Édouard Baer ou Virginie Efira contribueront au succès de cette aventure humaine extraordinaire. « Nous sommes accueillis par des peuples autochtones, des minorités dans leurs propres pays, qui vivent en marge de notre monde. Souvent méprisés ou harcelés, ils doivent nous faire confiance. »
Rendez-vous en terre inconnue a mis 7 ans à être mis à l’écran. Frédéric a beaucoup de gratitude pour Patricia Boutinard Rouelle, celle qui a été pendant 16 ans directrice des documentaires du groupe France Télévisions. « Elle a osé mettre à l’antenne Rendez-vous en terre inconnue. Elle a cru en moi. J’ai vécu de nombreuses années de chômage. J’inventais énormément de concepts de télévision, mais les patrons de chaîne préféraient investir dans ceux qui fonctionnaient déjà dans 50 pays. »
L’amour, notre moteur à tous
« L’amour est le moteur essentiel du sapiens. C’est la rencontre avec une personne avec qui on a envie de partager l’existence. On noue des liens très forts, d’attachement, de désirs. Je crois qu’il existe mille formes d’amour, autant qu’il y a d’êtres humains sur cette Terre. »
En amour, Frédéric Lopez, terrorisé par la routine, aime ressentir la sensation de manque, tel un « amoureux des retrouvailles ». « Sur le papier, en amour, je ne semble pas exigeant. Je suis un fusionnel indépendant, car la fusion totale est dangereuse. Je n’aime pas la jalousie ; c’est un sentiment épuisant et inapaisable. »
Lucie Rondelet nous recommande d’ailleurs l’excellent épisode du podcast Le Précepteur, de Charles Robin, sur la vision de l’amour par Sartre. Celui-ci défend l’idée que l’on doit aimer l’autre dans sa liberté de nous aimer, puisque l’amour sous contrainte ne fonctionne pas.
Frédéric Lopez s’est marié jeune et a vécu une très belle histoire avec la mère de son fils. Il ne regrette pas ce choix de vie qui lui a convenu longtemps.
« Il y a une date de péremption dans le je t’aime. Je t’aimerais pour la vie, je n’y crois pas, car aucun cerveau humain n’est capable d’imaginer son futur ressenti. L’amour possède un côté éphémère. Il nécessite de l’attention pour ne pas disparaître. »
Malgré tout, pour lui, sceller son amour par le mariage, « c’est beau ».
De toutes les façons, une rupture n’est jamais un échec. Il ne faut pas penser que l’on a raté sa vie si l’on se sépare. Il cite un proverbe espagnol : « On ne nous enlèvera pas ce que l’on a dansé”. Ce qui est vécu est vécu .
Universaliste, il est persuadé qu’il y a des rencontres d’un soir, sans lendemain, qui, en un regard, peuvent changer le cours de notre existence.
« Je crois que le plus difficile est d’aimer l’autre comme il est. Grâce à mes expériences amoureuses, j’ai découvert à 54 ans que ce qui peut être perçu chez l’autre comme un défaut est surtout un besoin qu’il ne remplit pas. »
Dans son émission La parenthèse inattendue, Frédéric Lopez convie trois personnalités à passer 24 heures dans une maison de campagne. Dans ce petit village, Jean Philippe voit défiler dans sa boucherie-charcuterie tout le show-business. « Son seul jour de repos c’est le lundi. Et Jean Philippe fait du boudin, pour faire plaisir. Juste parce que les gens lui disent “hum c’était bon”. Cuisiner, c’est prendre soin des gens et c’est aussi cela l’amour. » Frédéric nous rappelle que lorsque l’on sourit à quelqu’un, nous rendons, par ricochet, 5 personnes heureuses également !
À l’inverse, il y a des gens qui cultivent des discours de haine et en ajoutent aux malheurs du monde. Le père de Michelle Obama disait : « N’oublie jamais que derrière chaque personne il y a le fil invisible de son histoire. » Hitler a été refusé des beaux-arts… « Le pire pour un être humain est le rejet. Cela crée un douloureux traumatisme. Le refus rend vulnérable, fragile. »
L’écriture pour transmettre son expérience de Vie
Adolescent, il a confié ses émotions à son journal intime, mais « je craignais que quelqu’un le lise. » Certaines phrases étaient écrites avec des initiales, comme des messages codés ; par exemple JEEB signifiait J’ai Été En Boîte.
« Dans des périodes difficiles de ma vie, j’ai écrit, par instinct de survie. Les chercheurs appellent cela la régulation émotionnelle. Écrire permet d’éviter de ruminer ses problèmes. »
Il y a 8 ans, Frédéric Lopez a signé chez une grande maison d’édition pour raconter son histoire, « celle d’un provincial complexé qui va réaliser beaucoup de ses rêves ». Il se heurte alors à ses propres blocages, comme celui de ne pas vouloir blesser ses parents. Complexé par son écriture ou le fait de n’être « expert en rien », il peine à écrire son propre livre.
Son ami psychiatre, Christophe André, l’encourage alors dans cette voie : « ton histoire, c’est juste la force du témoignage. Ton point de vue sur l’expérience que l’on appelle la Vie. »
L’autocompassion pour gagner en estime de soi
Frédéric Lopez aime voir les gens heureux ; il fait tout pour qu’ils le soient. « Cela demande de l’énergie de donner aux autres. Pendant longtemps, je l’ai ignoré. » Accro aux interactions avec les autres, ils savourent les rencontres, improvisées, en voyage, sur un quai de gare ou en soirée. « L’autre m’a toujours fasciné, car j’allais chercher des réponses que je n’avais pas en moi. »
Phobique de la solitude sans s’en rendre compte, il découvre la méditation pleine conscience. Il apprend alors à être plus à l’écoute de ses besoins. « On ne peut pas s’occuper des autres si l’on ne s’occupe pas de soi. » Il fait des retraites, et vit une semaine dans le silence total. Il écoute son besoin de nature, d’isolement, travaille sur la communication non violente et l’autocompassion. Cela consiste à se traiter soi-même comme on traiterait son meilleur ami. « Nous sommes souvent plus durs avec nous même qu’avec les autres. Notre petite voix intérieure maltraitante nous chuchote qu’il va falloir assurer pour mériter d’être aimé. »
Enfant, il n’a pas senti sa mère heureuse, alors il a développé le syndrome du petit sauveur pour la protéger. Il a appris très tôt à apaiser, réconforter et consoler.
En plus d’une sensibilité exacerbée, Frédéric ne s’aime pas. Sauf dans le regard des autres.
« C’est important de s’estimer soi-même pour être plus en mesure de se respecter. »
Oui mais voilà, avoir conscience de l’importance de s’aimer n’est pas suffisant pour changer les choses…
À 50 ans, il fait un stage d’autocompassion avec son fils de 20 ans. Frédéric nous énumère les trois étapes de l’autocompassion :
- la pleine conscience : être conscient que l’on se maltraite, car « notre principal bourreau, c’est nous ! »
- l’humanité partagée : « Il y a une douzaine de souffrances sur Terre. Nous sommes 7 milliards d’habitants donc potentiellement, des millions de personnes vivent les mêmes difficultés que nous. »
- la bienveillance envers soi-même : « Se traiter avec indulgence, s’accepter avec ses imperfections, cela change la vie ! »
Désormais formé et certifié, il est enseignant en autocompassion en pleine conscience.
Frédéric sait bien pourtant que l’on ne peut pas rendre les gens heureux malgré eux : « aidons les gens qui nous le demandent. Ils ont juste parfois besoin d’être écoutés, et non conseillés, réconfortés ou aidés. »
Le pouvoir d’aider et de changer la vie des gens
Celles qui Osent demande à Frédéric de se remémorer ses plus belles rencontres. Il cite celle avec Cissé, en Éthiopie, à 4 000 m d’altitude, lors d’une aventure en terre inconnue avec Adriana Karembeu. Cet homme luttait contre la tradition du mariage arrangé. Il a marié sa première fille à 12 ans. Ayant appris à lire à l’âge de 43 ans, il découvre tardivement un petit ouvrage intitulé Les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Cissé reconnaît alors son erreur et décide de sauver son enfant en l’envoyant à l’école, provoquant une vague de désapprobation de tout le village. « Nous avons salué son courage. » Cette rencontre télévisée a marqué la vie de cet homme, qui déclare, 5 ans plus tard : « je ne savais pas, avant, que j’étais courageux ». Cissé a réussi à éradiquer le mariage arrangé de cette vallée. « Nous avons tous le pouvoir de changer la vie de quelqu’un. Nous sommes comme on nous traite. »
Les recommandations culturelles de Frédéric Lopez
Quand Lucie Rondelet lui demande de citer son poème préféré, Frédéric pense à Rumi, un poète soufiste du 13e siècle. Un poème venu du fond des âges, mais tellement actuel, lui a fait prendre conscience que durant toute son existence, il a tenu à distance deux émotions : la peur et la tristesse.
« L’être humain est un lieu d’accueil,
Chaque matin, un nouvel arrivant.
Une joie, une déprime, une bassesse,
Une prise de conscience momentanée arrivent
Tel un visiteur inattendu.
Accueille-les, divertis-les tous
Même s’il s’agit d’une foule de regrets
Qui d’un seul coup balaye ta maison
Et la vide de tous ses biens.
Chaque hôte, quel qu’il soit, traite-le avec respect,
Peut-être te prépare-t-il
À de nouveaux ravissements.
Les noires pensées, la honte, la malveillance
Rencontre-les à la porte en riant
Et invite-les à entrer.
Sois reconnaissant envers celui qui arrive
Quel qu’il soit,
Car chacun est envoyé comme un guide de l’au-delà. »
Ces vers invitent à accueillir toutes les émotions que nous ressentons pour mieux vivre ce qui nous arrive.
Frédéric nous recommande le livre Consolations de Christophe André, proposant une analyse émouvante de la consolation comme moyen de vivre avec les orages de la vie. Il cite également l’ouvrage de Boris Cyrulnik La nuit, j’écrirai des soleils, pour nous convaincre des bienfaits de l’imaginaire, de la puissance du rêve et des pouvoirs de guérison que recèle l’écriture.
« Quand je suis triste, j’écoute la musique classique de Gustav Mahler. Quand je vais bien, c’est le titre Le premier jour du reste de ma vie d’Étienne Daho. Sinon, je recommande toutes les chansons de Jean Jacques Goldman qui m’ont aidé à croire en mes rêves. »
Enfin, Frédéric nous invite à (re) voir un film de 2005, The constant gardener, se déroulant dans une région reculée du nord du Kenya « C’est une histoire d’amour bouleversante et un thriller captivant, servi par des acteurs fantastiques. »
Il cite deux photographes de mode, Her Britz et Peter Lindbergh, deux hommes qui l’ont fasciné par leurs capacités à sublimer le réel…
Aujourd’hui, il se sent chanceux de rencontrer des gens stimulants.
« Une rencontre ne nous apporte jamais rien ».
🎙 Celles qui Osent vous recommande vivement cet épisode plein de sagesse et de bonnes ondes.
Interview de Lucie Rondelet, pour Celles qui Osent / Rédaction Violaine Berlinguet
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