À l’origine du projet Clean Everest, l’opération annuelle de nettoyage des déchets au-delà de 8 000 mètres, il y a une femme. Une Française née en Dordogne, dans le Périgord vert. Elle s’appelle Marion Chaygneaud-Dupuy. Guide de montagne en Himalaya, c’est la première femme européenne à avoir réussi l’exploit de gravir 3 fois le « toit du monde », culminant à 8 848 m d’altitude. Seuls 8 % des alpinistes qui ont atteint ce sommet sont des femmes. Dans son livre autobiographique Respire, tu es vivante, de Lhassa à l’Everest, une aventure écologique et spirituelle, elle raconte son odyssée jalonnée d’expériences méditatives et humanitaires. Fascinée par les liens entre les êtres humains et la nature, elle nous livre sa philosophie de vie empreinte de la culture bouddhiste qui la fascine tant. Celles qui Osent vous propose un résumé de cette aventure écologique et spirituelle en Himalaya.
« Le silence et l’inaction. Peu d’hommes comprennent leur efficacité. » Lao Tseu
Grandir avec la nature puis découvrir sa vocation humanitaire en Inde
« Sans la nature, je ne me sens pas vivante. » Marion Chaygneaud-Dupuy
Née en 1980 en Dordogne, Marion Chaygneaud-Dupuy a seulement 18 ans quand elle intègre un monastère bouddhiste en Inde. Elle a grandi loin des montagnes, mais avec la nature – en Dordogne – élevée par des parents déconnectés de la société de consommation. La famille vit en relative autonomie, cultivant un mode de vie frugal.
Âgée de seulement 16 ans, à l’été 1996, Marion part en voyage en Inde avec une amie , fille du célèbre médecin Jack Preger. Surnommé « le médecin des trottoirs de Calcutta », il a été nommé Philanthrope de l’année 2017 pour son œuvre en faveur des plus déshérités. Sur les trottoirs, il propose des bidons de médicaments, offrant des soins et des traitements gratuits aux pauvres. On lui doit la création de cliniques mobiles à ciel ouvert au cœur des bidonvilles de Calcutta. Rapidement, Marion le considère comme un modèle. Durant un mois, elle aide les populations et vit à proximité des maladies et de la misère.
« Aucun retour vers l’ignorance ne sera possible pour moi. »
En s’interrogeant sur la personne qu’elle veut être, elle découvre le bouddhisme zen et ses valeurs de compassion, d’amour et d’altruisme. Elle entreprend alors ses premières retraites spirituelles. Avec le soutien inconditionnel de ses proches, elle se rase la tête et renonce intérieurement, comme une évidence, à toute relation charnelle. « Je ressens un bien fou à me délester de mes cheveux, et de l’image qui y est associée. Je me sens légère, libre, je n’ai pas à m’apprêter pour plaire. »
La découverte du Tibet : une révélation pour Marion Chaygneaud-Dupuy
Baccalauréat en poche, elle part étudier le bouddhisme en Himalaya, animée par le besoin d’aller chercher ses racines ailleurs que dans sa terre d’origine. La jeune adolescente française apprend le tibétain, étudie les textes sacrés dans leur langue originelle. Elle saisit l’opportunité de rencontrer Mata Amritanandamayi, dite Amma, la sainte indienne qui parcourt le monde en étreignant des milliers de personnes, une à une, parfois douze heures d’affilée sans interruption !
À l’été 1998, elle effectue une mission de 6 mois avec le docteur Preger et son équipe de docteurs indiens, dans une clinique mobile de patients atteints de la lèpre à Chiptur, au bord du Gange. Elle s’immerge dans la culture bengalie des malades pour mieux les soigner, mais s’échappe parfois quelques jours de la misère pour rencontrer des maîtres tels que le dalaï-lama, Bokar Rinpoché, et Amma. À 18 ans, elle se fait la promesse d’atteindre l’éveil pour venir en aide à tous les êtres, et devenir ainsi une bodhisattva. Les Bodhisattva sont des « êtres (sattva) sur le chemin de l’Éveil (Bodhi) », c’est-à-dire des futurs Buddha ou des êtres qui, sur le point de devenir des Buddha, y ont renoncé.
Elle choisit comme maître Bokar Rinpoché et intègre le monastère Bokar Chokhor Ling de Mirik. Elle s’appelle désormais Dolma, ce qui veut dire « la compassion en action ». Quasiment coupée du monde, elle étudie les textes spirituels, dans la solitude et le silence contemplatif, et pratique la méditation durant des mois, des années. En retraite, la vie est simple. Sans eau courante, ni électricité, ni internet, ni téléphone, le quotidien est rythmé par des rituels. L’inespoir constitue sa pratique quotidienne. Cela consiste à vivre dénué de tout, sans attente. Elle développe aussi la compassion envers elle-même et la patience.
« L’ennui est mon allié. »
Pratiquer le don désintéressé au service des autres et de la nature
C’est à 21 ans, lors d’une retraite annuelle, que son monde s’effondre. À l’occasion d’un rituel, son maître, Rinpoché, envoie grâce et lumière sur tout le monde… sauf sur elle. Elle ressent un violent rejet. Elle se sent écartée de sa communauté, alors elle s’interroge et remet en question ses motivations profondes : « Mener une vie contemplative serait-ce pour moi un prétexte pour ne rien faire ? La quête mystique, une bonne excuse pour justifier ma paresse ? » Elle quitte Mirik le jour même, et abandonne toutes pratiques religieuses, sauf son souhait d’être une nonne laïque.
Dans le même temps, sa candidature à l’université de Lhassa est acceptée. Étudiante, elle participe aux cours de philosophie, de littérature, de poésie ancienne et moderne, qui la réconcilient avec la sagesse bouddhiste. Elle s’émerveille de la façon dont les Tibétains préservent leurs valeurs traditionnelles au sein du monde moderne. Au lieu de vouloir exceller en méditation, elle pratique le seva : le don désintéressé de sa personne au service du vivant, des autres, de la nature. Cependant, depuis son départ de Mirik, ses années de célibat sont difficiles. L’identification à la nonne laïque lui pèse, alors elle modifie son apparence et alterne entre crâne rasé et cheveux longs. Elle prend plaisir à séduire, mais évite toujours d’aller à la rencontre des hommes, par peur de « fauter ».
Devenir guide de trek spécialisée en écotourisme
« La montagne offre sans compter des leçons d’humilité. »
Après avoir travaillé auprès du peuple nomade Changpa avec les organisations d’aides au Tibet, dès l’été 2003, elle devient guide de trek dans l’Himalaya. Progressivement, elle se spécialise en écotourisme, qui apporte ponctuellement du travail aux nomades. Elle se charge d’être l’interprète entre les équipes locales tibétaines et les clients. Rapidement, l’agence de voyages Atalante lui demande d’ouvrir de nouveaux circuits au Tibet, et d’inclure l’ascension d’un sommet. Chaque expédition dure de 2 semaines à 2 mois, si bien qu’elle vit une grande partie de l’année en montagne. Elle enchaîne les sommets et explore ses limites corporelles. En haute altitude, elle retrouve la solitude des retraites. D’ailleurs, confie-t-elle, « la basse altitude me donne la migraine ! »
En mars 2008, à la veille des J.O. de Pékin, un soulèvement massif appelant au boycott envahit les rues de Lhassa. « Trop d’humiliations et de frustrations enfouies. La violence éclate. » Les ONG internationales sont contraintes de partir. Marion s’exile à Hong Kong pour une durée incertaine. Elle transforme l’épreuve de l’exil en opportunité entrepreneuriale, en créant Hong Kong Global Nomad. L’objectif est de répondre aux besoins des peuples nomades, sans leur imposer le système capitaliste et leur apporter une aide financière si nécessaire. Elle souhaite les aider à les maintenir sur leurs terres en autosubsistance.
Avec l’aide de bienfaiteurs et de Tashi Dorjee, surnommé Tabor, qui a passé plus de 25 ans à monter des projets de protection de l’environnement, ils imaginent l’Institut des nomades. La structure promeut le tourisme responsable et une chaîne de magasins zéro déchet pour une clientèle nomade désireuse de ne pas polluer les pâturages avec leurs détritus. En parallèle, à Hong Kong, elle réalise plusieurs retraites vipassana, pratique qui consiste à méditer sur les sensations. « La méditation nous réconcilie avec l’intelligence du corps. Méditer c’est apprendre à ressentir son énergie, les organes, le cycle de la respiration, les émotions, les sensations. »
Cinq mois après le soulèvement, Marion rentre à Lhassa pour réunir une équipe franco-tibétaine composée de professeurs de langues, de créateurs de voyage, d’experts en trek et en expédition de haute montagne.
L’ascension de l’Everest : une aventure écologique et spirituelle
Jusqu’en 1920, personne ne s’était lancé à l’assaut de cette montagne surnommée le toit du monde. L’ascension de l’Everest n’est pas difficile techniquement, mais demande un effort physique considérable du fait de l’altitude. La mortalité y est importante. Depuis 1924, près de 300 personnes sont décédées sur les pentes de l’Everest. Les causes de mort sont multiples : œdème pulmonaire ou cérébral, arrêt cardiaque dû au stress, avalanche, hypothermie. Certains se perdent et meurent d’épuisement. Au-delà de 7 000 mètres, il est difficile de respirer sans masque à oxygène. Alors, pourquoi choisir de côtoyer la mort ? Pourquoi faisons-nous cela ? « Nous sommes des êtres sociaux qui pensons appartenir à telle religion et à telle nation, mais cette croyance est obsolète et erronée, déclare le dalaï-lama. Nous sommes un humain parmi 8 milliards d’autres. Cette vision nous rend sensibles à notre tronc commun d’humanité. »
Le 19 mai 2013, elle parvient au sommet de l’Everest, à 8 848 m, altitude à laquelle circulent les vols long-courriers.
Le projet Clean Everest : préserver l’Himalaya
« Lors de ma première ascension de l’Everest, j’ai découvert la beauté indicible de cette montagne, la lumière, l’espace infini de ces ciels, mais aussi l’abondance des déchets qui la blesse. J’en reviens plus déterminée que jamais à la débarrasser de tout ce qui abîme sa pureté. »
30 ans d’expéditions commerciales ont laissé derrière elles plus de 10 tonnes de déchets polluants non seulement le site, mais aussi les eaux de source qui s’écoulent du massif.
Les guides sont prêts à endosser le rôle de protecteur de la nature. De par leur culture ancestrale, les Tibétains se considèrent comme un prolongement de la spiritualité de la Terre. C’est de là que va naître l’idée incroyable de nettoyer l’Everest. Ce projet écologique et humain Clean Everest a pour objectif de nettoyer la montagne, de respecter la vie sauvage et la pureté des glaciers. Pendant plusieurs mois, Marion planifie le projet et évalue le nombre de tonnes de déchets à évacuer dans chaque camp. En 2016, elle lance la première expédition de nettoyage de la façade nord de l’Everest. Patience et pédagogie vont être nécessaires pour que les mentalités évoluent.
En montagne, chacun ressent le respect de la nature alors pourquoi les alpinistes laissent-ils derrière eux tant de déchets ? Pour Marion, « l’excès dans la recherche de performance, la volonté du toujours plus et la tension focalisée sur le résultat nous coupe de nos sens et de notre intelligence innée. » En 4 ans, grâce aux expéditions Clean Everest, la quasi-totalité des 10 tonnes de déchets accumulées au cours des expéditions passées a été descendue à dos de yacks.
Marion ne s’arrête pas là. En 2018, elle crée l’opération Cash for trash, spécialement consacrée aux déchets abandonnés à partir de 7 000 m et jusqu’au sommet. Les guides sont impliqués et rémunérés, aux kilos récoltés, pour descendre les déchets ; impossible de le demander aux alpinistes étrangers, qui n’ont pas les capacités physiques pour les collecter à cette altitude.
« Il n’y a pas de chemin vers le bonheur, le bonheur est un chemin. » Proverbe tibétain
Sa voie spirituelle a longtemps été une carapace, un moyen de se protéger de l’Autre. Marion Chaygneaud-Dupuy a cherché à se réconcilier avec elle-même et cherché sa vocation sur Terre. « Lorsque l’on est connecté à la nature et que l’on a retrouvé le lien perdu avec elle, on réapprend à vivre. Pour découvrir qui l’on est, il faut prendre soin de soi et se réjouir d’être vivant. » Elle admet qu’être un homme aurait facilité son parcours, pour accéder aux enseignements bouddhistes ou devenir guide en haute montagne. « J’ai volontairement tourné le dos à ma féminité et à ma nature parce que j’ai cru que le monde ne me laisserait pas l’exprimer. » Finalement, l’amour vient un jour sans s’annoncer. Marion Chaygneaud-Dupuy a rencontré un homme, et appris à s’aimer.
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à lire le best-seller de Maud Ankaoua, Kilomètre zéro, le chemin du bonheur :
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Violaine B — Celles qui Osent
Sources :
Livre, Respire, tu es vivante, Marion Chaygneaud-Dupuy
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent