En matière de cosmétiques féminins, l’heure est au naturel. Le dernier sondage Ifop sur les habitudes des Françaises concernant le maquillage atteste d’une baisse phénoménale de son utilisation quotidienne, imputable aux confinements successifs. Pourtant, le glas du makeup est loin d’avoir sonné. Histoire de coquetterie ou de séduction ? Pas si sûr ! Les motivations esthétiques qui poussent mesdames à dégainer leur poudrier sont bien souvent extérieures à leur volonté. À moins que leurs décorations faciales et ongulaires n’aient pour elles un sens plus profond ? Lumière sur 6 raisons méconnues qui expliquent pourquoi les femmes se maquillent !
1. L’injonction permanente à être belles contraint ces ladies à sortir leur vanity case
Lèvres pulpeuses, joues délicatement rosées, teints de porcelaine ou cuivrés, grands yeux de biche… Les médias font défiler en continu des portraits de femmes stéréotypées. Malgré la diversité des minois, les critères esthétiques demeurent identiques. Nous noircissons nos paupières et illuminons notre arc de cupidon, pour coller à l’idéal de jeunesse et d’élégance adulé par notre système patriarcal.
Se conformer, en se maquillant, reviendrait à célébrer sa féminité. Celle-ci ne serait pourtant qu’une construction culturelle. Dès 1977, le sociologue Erving Goffman est formel : les différences biologiques qui existent entre les sexes ne suffisent pas à justifier qu’un comportement relève plus du féminin que du masculin, et inversement.
Les dames n’ont donc pas le monopole de la « mise en beauté » ! La rétrospective du maquillage à travers les âges, proposée par Celles qui osent, nous éclaire davantage sur ce point.
Étrangement, les fards sont encore très souvent perçus comme des artifices, des subterfuges employés pour créer l’illusion. Ne trouvez-vous pas cela paradoxal ? On nous contraint tacitement à utiliser ces produits, tout en moquant ouvertement leur superficialité.
2. L’utilisation de cosmétiques facilite l’employabilité féminine
Adeptes du no makeup, accrochez-vous ! Vous passez bientôt un entretien pour intégrer l’entreprise de vos rêves et songez à faire l’impasse sur le smoky eye ? Apprenez qu’une femme est jugée plus compétente professionnellement quand elle est maquillée. C’est ce que démontre une étude menée en 2011, sous la direction de Nancy Etcoff, chercheuse en psychologie à l’université de Harvard.
Le message est toujours implicite. Certainement parce qu’en le verbalisant, nous nous rendons compte de son caractère sexiste : « Pour sortir votre épingle du jeu, mesdames, soyez belles, quel qu’en soit le prix ! »
Dans l’imaginaire collectif, s’apprêter, c’est prendre sa vie en main, s’émanciper. Celles qui le font paraissent plus stables aux yeux de leurs collaborateurs ou clients. Elles respirent la réussite ! A contrario, l’absence de maquillage est assimilée à une marque de négligence. Les préjugés ont encore la peau dure…
Ceci étant, gare aux plus audacieuses d’entre vous ! Selon une enquête réalisée par l’Institut français d’opinion publique en 2020, 9 % des hommes et 7 % des femmes associent lèvres teintées de rouge et disponibilité sexuelle.
⏩ Pour aller plus loin, lisez aussi : Apparence physique et réussite : peut-on réussir quand on est moche ?
3. Le besoin de reconnaissance sociale explique pourquoi les femmes se maquillent
Notre figure est une carte de visite. Généralement, c’est elle qui nous permet d’entrer en contact avec autrui. Uniformisant l’aspect, la texture de l’épiderme, intensifiant le regard, le maquillage sublime. Il diffuse une image positive de soi.
L’être humain possède un penchant naturel pour le beau. Il ne s’agit pas tant de séduire que de recevoir une validation, la nôtre et celle des individus que nous croisons. Notre inclination pour la parure témoigne d’un besoin d’être aimées, reconnues pour notre (mise en) valeur.
Devant notre miroir, nous pensons à ce que l’autre va voir. Notre cerveau évalue notre faciès, comme il scanne sans arrêt ceux qui l’entourent. 78 % des personnes qui se maquillent imaginent autant le regard des femmes sur elles que celui des hommes (Ifop, 2020). Histoire de sororité ou de rivalité féminine ? Certainement un peu des deux !
Une quête d’approbation qui se prolonge en ligne, via Instagram, Facebook, Snapchat & co. Les étapes de votre rituel beauté 2.0 :
- Vous maquiller physiquement ;
- Vous mettre en scène et immortaliser ce moment ;
- Vous repoudrer numériquement grâce aux nombreux filtres à votre disposition ;
- Attendre patiemment les premiers likes !
4. La mise en beauté peut restaurer une estime au ras des pâquerettes
À Paris, l’association Joséphine permet aux femmes en situation de précarité d’accéder à des prestations esthétiques pour revaloriser la représentation qu’elles se font d’elles-mêmes.
Maladie, handicap ou vieillissement entament également l’estime de soi. Inscrit dans une démarche thérapeutique, le maquillage redonne le sentiment d’exister à des personnes qui l’ont égaré. Agissant comme un pansement, il contribue à soigner certaines plaies, visibles ou non.
Certains traitements, comme la chimiothérapie, peuvent altérer la pigmentation naturelle de la peau. Comme en témoignent les créatrices de l’Embell’vie, la socio-esthétique est une façon indirecte d’agir contre le cancer.
En camouflant nos lésions physiques, fond de teint et poudre libre mettent du baume sur nos blessures psychiques.
5. Le désir de se fondre dans la masse motive le recours au makeup
Vous l’avez compris, une femme qui se maquille ne cherche pas nécessairement à collectionner les œillades complices ! S’il capte la lumière, ce masque d’un jour sert également à s’en protéger.
« Une véritable guerre contre la laideur est engagée. Les femmes jugées disgracieuses font l’objet d’une stigmatisation et d’une discrimination sans précédent : on ne les considère pas coupables d’avoir mal agi, mais coupables de l’apparence qu’elles donnent à voir d’elles-mêmes. » — Claudine Sagaert
Pour peu que notre visage ne corresponde pas parfaitement aux standards, nous sommes rapidement cataloguées comme moches ! Difformités, aspérités et rougeurs sont pointées du doigt. Constamment poussées à traiter chaque écart avec la norme comme un défaut à gommer, nous faisons tout pour taire nos « imperfections ».
Le risque de nous focaliser obsessionnellement sur le moindre décalage et de basculer dans la dysmorphophobie est réel ! Anticerne, correcteur et blush cachent ces quelques fragments de notre être que nous avons peur de dévoiler. Dégoût personnel ou crainte du rejet ? On cherche en tout cas à se défaire des jugements à notre égard.
Mais les modulations offertes par le maquillage sont, la plupart du temps, éphémères. Si votre confiance croît à mesure que votre trait de khôl se dessine, elle peut toujours s’atrophier lorsqu’il s’efface…
6. La liberté d’expression justifie l’affinité entre femme et maquillage
Selon la psychologue Sophie Cheval, les soins prodigués à notre apparence sont positifs quand ils émanent d’un choix personnel. En décidant de nous grimer un jour et de ne pas le faire le lendemain, on développe une relation saine à cette pratique.
Optionnel, le maquillage devient un levier à actionner ponctuellement en fonction :
- de nos envies ;
- des projets que l’on entreprend ;
- de la voix que l’on veut faire entendre.
On peut ainsi saisir l’opportunité ludique et expressive qu’il représente et apprivoiser notre propre conception de la beauté.
Se laisser porter par ses élans créatifs
Cette approche résonne particulièrement en moi, faisant écho à mes années lycée ! Je me souviens de mon émerveillement devant mon premier coffret, offert par une tante un brin fashion.
Je me levais souvent tôt pour décorer mon visage à l’aide de cette palette de couleurs irisées, au gré de mon inspiration du moment. Inscrite en filière artistique, je me sentais libre de m’adonner à ce rituel fantaisiste, sans redouter d’éventuelles critiques.
Contester oppression et dérives politiques
Dans certains cas, le maquillage peut soutenir un mouvement politique, être vecteur de transgression civile, constituer un acte militant. En Afghanistan, son usage est aujourd’hui prohibé par les fondamentalistes islamistes et se transforme en arme pour lutter contre la persécution des femmes.
Les fondatrices du Dazzle Club, un collectif d’artistes londonien, dupent quant à elles les dispositifs de reconnaissance faciale, en affublant leurs visages de motifs géométriques. Un moyen original de dénoncer la prolifération des caméras de surveillance !
Notre rapport au maquillage questionne sans cesse notre conception du féminin. Derrière cette pratique dialoguent subtilement besoin se conformer, d’appartenir à un groupe, à un genre et volonté de s’affirmer, d’exister, de manifester ses singularités. Parfois, il devient même un support de revendication.
⏩ Découvrez à présent comment le male gaze cultive les clichés sur la féminité !
Tiphaine Le Foulgoc, pour Celles qui osent
Sources :
- GOFFMAN, Erving. L’arrangement des sexes. Paris : Cahiers du Cedref. Traduit de l’américain en 2002. Texte original paru en 1977 ;
- CHEVAL, Sophie. Belle autrement ! En finir avec la tyrannie de l’apparence. Paris : Armand Collin. 2013 ;
- MARMION, Jean-François. Psychologie des beaux et des moches. Auxerre : Sciences Humaines Éditions, 2020 ;
- ETCOFF, Nancy. Cosmetics as a Feature of the Extended Human Phenotype, 2011 ;
- LOEGEL, Anna. La perception de la féminité et sa relation au maquillage. Université de Nanterre. 2019 ;
- Ifop, Comment le coronavirus a changé les habitudes de maquillage des Françaises, Étude Ifop pour Slow cosmétique réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 12 juin 2020 auprès d’un échantillon de 3 018 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine, dont 1 603 femmes ;
- Madame Figaro, Le maquillage, une nouvelle arme politique au service des femmes ?, octobre 2021 ;
- 20 minutes, Le maquillage « camouflage » devient une arme anti-surveillance à Londres, février 2021.
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