« Si l’homme est sans lien à l’autre, il est fou », écrit Erich Fromm, sociologue et psychanalyste allemand, dans Les besoins psychiques de l’homme et la société. En effet, l’Homme est un être grégaire fait pour vivre en groupe. Il en résulte que socialement, la solitude n’est pas valorisée. Dès le plus jeune âge, on apprend que le but d’une vie est de rencontrer le prince charmant et d’avoir « beaucoup d’enfants ». À l’école, les progénitures qui sortent du lot ou ne parviennent pas à se faire d’amis sont la risée de la cour de récré. Apparaître seul en société est mal vu et cette vision négative de la solitude est ancrée en nous. Mais ce sentiment ne touche pas que les personnes ne voyant pas d’amis ou n’ayant pas d’enfant. Et ces dernières ne se sentent d’ailleurs peut-être pas seules ni tristes. Vous est-il déjà arrivé de vous demander, lors d’un dîner entre amis ou entre collègues, ce que vous faisiez là ? Même si vous êtes très entourée, il y a fort à parier que vous vous disiez « je me sens seule », parfois épuisée à jouer un rôle ou perdue en cherchant votre place. Aujourd’hui, osez voir les choses autrement. Vous ressentez de la solitude dans un monde hyperconnecté ? Et si c’était la condition nécessaire pour vous réaliser en tant qu’individu ?
« Je me sens seule » : le sentiment de solitude n’est pas réservé aux personnes isolées
Vous le savez peut-être, la solitude n’est pas seulement une affaire d’isolement. Il est tout de même bien d’avoir en tête qu’en France, « en 2015, 3 % des personnes de 16 ans ou plus sont isolées de leur famille et de leur entourage, au sens où elles déclarent avoir au plus une rencontre physique ou un contact distant par mois avec leur réseau social » selon l’INSEE. « L’isolement social est la situation dans laquelle se trouve la personne qui, du fait de relations durablement insuffisantes dans leur nombre ou leur qualité, est en situation de souffrance et de danger », selon le Conseil économique, social et environnemental. En revanche, l’étude de l’INSEE complète les informations en révélant que « 62 % des personnes se sentant seules ne sont isolées ni de leur famille ni de leurs amis ».
Au-delà du cas bien spécifique de l’isolement social donc, il est possible de se sentir seule sans l’être littéralement au quotidien. La solitude est définie comme « état de quelqu’un qui est seul momentanément ou habituellement ». Elle peut être choisie et appréciée. Plusieurs artistes évoquent ce sujet, dont Patrick Bruel qui chante « je me sens seul même accompagné ». C’est d’ailleurs lorsque l’humain est entouré que la solitude psychologique se fait le plus ressentir, comme l’explique Sébastien Dupont, docteur en psychologie, dans son ouvrage Seul parmi les autres.
Ce ressenti apparaît notamment lorsqu’il y a des lacunes dans les relations sociales, c’est-à-dire que ces dernières ne répondent pas à nos besoins. Il peut s’agir de ne pas se sentir à sa place, de ne pas se sentir comprise, de manquer de soutien à un instant T ou encore de ne pas se sentir valorisée. Par exemple, un conjoint ou une conjointe qui ne nous supporte pas dans un projet, car estimant qu’il empiète sur du temps de relation, peut éveiller chez nous ce sentiment. Le fait de travailler de chez soi et de ne plus voir de collègues chaque jour peut également provoquer cela, même chez les personnes ayant une vie de famille bien remplie.
Il est alors conseillé de s’interroger sur la raison de cette solitude. Pourquoi est-ce que je me sens seule ? Dans quels moments est-ce que je me sens incomprise ? Un accompagnement par des professionnels de santé est parfois très bénéfique. Dans tous les cas, comprendre la situation est une première étape indispensable pour agir.
Certaines personnes font le choix de la solitude dans un monde hyperconnecté
La solitude est parfois temporairement choisie. En effet, il n’est jamais trop tard pour changer de vie. Oser la solitude, c’est oser être soi. Mais souvent, bien que désirée avec courage, elle n’est pas synonyme de plaisir. On se l’impose suite à une séparation (lisez notamment ce témoignage d’une rescapée de relation toxique amoureuse), à un deuil, ou encore en lien avec un besoin de prendre du recul sur son quotidien. Il s’agit alors de solitude en réponse à une situation, souvent de souffrance.
Des théories liées à l’individualisation de la société sont également évoquées par Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage Les nouvelles solitudes. Elle mentionne l’indépendance des femmes, notamment liée au manque de soutien de certains hommes dans le couple. Bien que les inégalités dans le monde du travail persistent, elles peuvent se permettre de vivre seules et ne s’en privent pas. Dans un monde hyperconnecté, les femmes n’ont plus toujours d’intérêt au couple.
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La solitude est aussi liée à une hausse des attentes en ce qui concerne les relations. Amoureuses ou amicales, les déceptions et comparaisons sont de plus en plus fréquentes. Avec les réseaux sociaux et applications de rencontres, la solitude fait moins peur et l’espoir de trouver une relation, comblant toujours plus nos besoins, est très présent. Le psychanalyste Vincent Estellon parle même de zapping relationnel, avec une chosification des personnes et un aspect narcissique autoprotecteur. En effet, l’hyperconnexion et les réseaux sociaux poussent à une uniformisation pour coller à des modèles et normes. Cela mène à l’absence de confiance en soi et à la comparaison malsaine à outrance. Certaines personnes collectionnent alors les relations et les plaisirs pour ne pas ou plus risquer de souffrir. Des dépendances apparaissent.
Marie-France Hirigoyen évoque également le monde du travail, souvent perçu comme un refuge hors du couple. Ce dernier ne fait pas exception et tend à s’individualiser. La rentabilité prévaut sur l’humain, les processus sont normés et le temps de pause réduit au maximum. Ce manque d’intérêt pour l’unicité de chacun crée un sentiment de solitude. Comme si personne ne nous connaissait pour qui nous sommes. Comme si nous étions tous interchangeables. Mais alors, pouvons-nous avoir l’audace de choisir la solitude ? Ou n’est-elle qu’une réponse à des transformations sociétales ?
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Il est nécessaire d’apprécier de se sentir seule pour trouver son équilibre
Certaines personnes apprécient de passer du temps seules. Cela peut être l’occasion pour elles de se consacrer à un passe-temps. Songez par exemple au plaisir de lire un bon livre, d’écouter de la musique ou de se connecter avec la nature. Il peut aussi s’agir d’un moment pour prendre soin de soi. Sébastien Dupont explique que la capacité de rester seul est une ressource précieuse. Elle permet de se connecter à son ressenti profond, d’entrer en lien avec son énergie créative et de supporter la perte.
Cette capacité s’acquiert dès l’enfance, mais n’est pas toujours évidente. Encore une fois, notre époque nous pousse vers des solutions de facilité et vers le « toujours plus ». Beaucoup de personnes se perdent dans le travail et les loisirs pour ne pas voir qu’elles se sentent seules. Il est pourtant nécessaire de se dégager du temps libre pour développer sa pensée et savoir qui l’on est. « Apprendre à être seul en présence de l’autre, c’est autant apprendre à être soi en présence de l’autre » comme l’explique Jacques Arènes dans Imaginaire & Inconscient.
Le psychanalyste Donald Winnicott voit en la capacité de solitude une maturité psychique. En effet, à l’issue de son étude, la « capacité d’être seul en présence » apparaît comme une théorie possible de l’individuation. Le Robert définit l’individuation comme « ce qui différencie un individu d’un autre de la même espèce, le fait d’exister comme individu. ». Accepter la solitude permet de constituer son identité et de découvrir et mettre en valeur son unicité. Et selon le philosophe Charles Pépin, se rattacher à sa singularité permet de ne pas envier la vie des autres, qui ne nous correspond pas forcément. C’est un moyen de sortir des comparaisons incessantes liées à l’hyperconnexion du monde actuel.
« Nous pouvons même avancer l’hypothèse qu’à l’horizon du développement de la personnalité, sentiment de solitude et sentiment d’unicité tendent à se rejoindre », Sébastien Dupont, Seul parmi les autres
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Le sentiment de solitude est de plus en plus présent dans notre monde, paradoxalement très connecté. Ces liens tendent à dépersonnaliser les individus qui ne connaissent plus leur identité propre et unique. En réponse à cela, certaines personnes font tout pour se fuir et ne s’octroient aucun temps solo. Les addictions sont parfois présentes pour combler un sentiment de manque incessant. Il est pourtant intéressant de comprendre que c’est en éprouvant cette solitude entourée que l’on apprend à rencontrer notre unicité. La conscience de cette singularité nous permet alors d’apprécier la sensation de solitude parmi nos proches et autres individus. On s’autorise à penser : « Je me sens seule, car je suis différente et c’est génial, c’est une force ». L’individuation est à distinguer de l’individualisme et de l’égoïsme. Être seule n’est pas péjoratif. Être seule, c’est choisir de faire connaissance avec soi-même pour aller vers son unicité. Être seule, c’est oser être soi dans un monde de comparaison.
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Emeline MARTINEZ, pour Celles qui Osent
Sources :
INSEE — Statistiques isolement
Association canadienne pour la santé mentale — Composer avec le sentiment de solitude
Petits Frères des Pauvres — Différence entre sentiment de solitude et isolement
Chapitre 5, Solitudes du retrait, Marie-Noëlle Schurmans, dans Les Solitudes, 2003
Marie-France Hirigoyen, Les nouvelles solitudes, 2007
Seul parmi les autres, Dupont Sébastien
Le zapping relationnel, Vincent Estellon, 2012
Les besoins psychiques de l’homme et la société, Erich Fromm
1 Comment
Super article !! 👍