Madame Beate Klarsfeld a 83 ans. Dans le cadre des 150 ans de Sciences Po, la prestigieuse école l’a choisie pour adresser à l’ensemble des étudiant.e.s une leçon inaugurale. Militante antinazie, travaillant pour la mémoire de la Shoah, elle est reconnue pour son engagement contre les criminels nazis. Arrêtée à plusieurs reprises, cette femme éprise de justice a lutté sans relâche, contre le négationnisme, l’antisémitisme et la xénophobie, en publiant des écrits dans la presse, en menant des campagnes et des manifestations. Avec son mari Serge Klarsfeld, elle se lance dès 1966, dans le combat qui va mener leurs vies : écarter de la vie politique allemande et française tous les anciens nazis ou collaborateurs puis obtenir leur jugement et leur condamnation. Beate manifeste et, faute de moyens, crée le scandale pour se faire entendre. Malgré l’énormité des obstacles qui se dressent devant elle, Beate Klarsfeld ne se décourage jamais. Retour sur la biographie incroyable de celle qui osa traquer les nazis.
Beate Auguste Künzel, fille d’un soldat de la Wehrmacht
Née le 13 février 1939 à Berlin, dans une Allemagne hitlérienne en pleine guerre, Beate Auguste Künzel est la fille d’un soldat de la Wehrmacht. Ces parents ont voté, comme la majorité des Allemands, pour Hitler. Elle grandit dans une ville en ruine, dans la pauvreté.
« J’ai grandi à Berlin, mais je ne connaissais rien de l’histoire de mon pays. À l’école, on se gardait bien d’évoquer la guerre, l’horreur des camps ou le nazisme. »
À 21 ans, elle décide de quitter la capitale allemande, ne fuyant pas son pays sali par le nazisme, mais plutôt la conception nationale-socialiste de la femme, conditionnée par l’allitération allemande des 3 K : « Kinder, Kirsche, Küche » (les enfants, l’église et la cuisine).
Le combat de Beate Klarsfeld : poursuivre les criminels nazis
Jeune fille au pair à Paris, elle rencontre en mai 1960, au hasard d’une station de métro, Serge Klarsfeld, étudiant en histoire et en sciences politiques, mais aussi juif français, orphelin d’un père mort en déportation à Auschwitz. Grâce à lui, elle découvre l’histoire cachée de son pays. « Appartenant à un peuple qui a massacré 6 millions d’innocentes victimes, j’ai essayé en tant qu’Allemande d’assumer mes responsabilités. »
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux nazis ont fui à l’étranger. D’autres sont restés en Allemagne, sans vraiment être inquiétés. Beate est scandalisée de les voir poursuivre leur vie librement.
Elle se souvint des mots de l’un des derniers tracts distribués en 1943 à Munich par Hans et Sophie Scholl, fondateurs du mouvement de résistance La Rose blanche : « Une fois la guerre finie, il faudra par souci de l’avenir châtier durablement les coupables pour ôter à quiconque l’envie de recommencer jamais pareille aventure… ».
Gifler Kiesinger pour le chasser du pouvoir
Fin 1966, Beate Klarsfeld, ayant connaissance du passé nazi du candidat à la Chancellerie allemande, Kurt Georg Kiesinger, enquête et retrouve tous les documents qui prouvent l’implication de celui-ci dans la propagande radiophonique nazie. Elle publie ses recherches l’année suivante dans une brochure intitulée La vérité sur Kurt Georg Kiesinger, ce qui lui vaut d’être renvoyée de son poste de secrétaire à l’Office franco-allemand pour la jeunesse. En novembre 1968, Beate ose monter à la tribune du congrès de la CDU, le parti ouest-allemand du nouveau chancelier Kurt Georg Kiesinger, pour gifler l’homme politique en criant « Kiesinger nazi, démissionne ! » C’est la seule façon pour elle de faire entendre cette vérité insupportable. Pour ce geste, Beate Klarsfeld, alors âgée de 29 ans, est condamnée à 1 an de prison, mais le juge, face à sa force de persuasion, la libère.
« Je ne tolère pas qu’un ancien nazi puisse devenir chancelier. Je l’ai giflé pour le marquer et pour faire savoir au monde entier qu’il y a des Allemands qui refusent cette honte ».
Beate Klarsfeld, celle qui ose traquer les nazis
Beate Klarsfeld, redoutée par tous les anciens nazis de la guerre, s’est également battue pour la ratification d’un accord permettant le jugement en Allemagne des criminels nazis ayant opéré en France.
En effet, depuis octobre 1954, la France se réserve le droit exclusif de les juger, alors que la nouvelle constitution de la République fédérale interdit à l’Allemagne d’extrader des criminels pour qu’ils soient jugés à l’étranger, garantissant ainsi l’impunité des criminels nazis en Allemagne.
Grâce à sa pugnacité, en février 1971, la militante obtient du nouveau chancelier allemand Willy Brandt la signature d’une nouvelle convention franco-allemande.
Ainsi, la justice allemande a pu, dès lors, juger les anciens nazis condamnés par contumace en France après la guerre.
Quand elle apprend qu’en mars 1970, Ernst Achenbach est proposé comme délégué allemand à la Commission de la Communauté économique européenne, Beate Klarsfeld met tout en œuvre pour empêcher sa nomination. Elle publie dans la presse française et allemande un dossier présentant la carrière nazie d’Achenbach, premier délégué d’Otto Abetz. Elle y démontre, entre autres, son implication dans la déportation de 2 000 juifs en 1943. Le gouvernement allemand doit alors renoncer à cette nomination, craignant un nouveau scandale public.
Mener les coupables jusqu’au procès
« Ils ont tous la même attitude : ils clament leur innocence, repoussent leur responsabilité, sans jamais penser aux victimes. »
Le couple Klarsfeld traque les criminels nazis, organise des tentatives d’enlèvement rocambolesques afin d’attirer l’attention des médias sur l’impunité des criminels SS.
Grâce à eux, en octobre 1979 s’ouvre le procès de trois anciens hauts responsables de la police de sécurité nazie — Kurt Lischka, Herbert Hagen et Ernst Heinrichsohn, poursuivis pour complicité de meurtre. Cela marque l’aboutissement d’une lutte qu’ils ont engagée depuis une dizaine d’années.
L’événement est couvert par la presse du monde entier. Tout au long des 32 audiences, 3 000 Juifs de France, de tous âges et de toutes origines, se rendent au procès à Cologne. Le verdict est rendu le 11 février 1980. Lischka est condamné à dix ans de détention, Hagen à douze ans et Heinrichsohn à six ans.
Beate, la justicière allemande qui a poursuivi Klaus Barbie
En juin 1971, Beate apprend que le procureur de Munich a classé sans suite une instruction ouverte contre Klaus Barbie, officier de police SS et bourreau de Jean Moulin. Condamné à mort en France par contumace en 1947, Klaus Barbie, surnommé « le boucher de Lyon », est en fuite. Beate en informe immédiatement toute la presse nationale française. Pour elle, « il faut arrêter de traiter les criminels nazis avec complaisance. »
Les époux Klarsfeld découvrent que Klaus Barbie se cache en Bolivie sous le nom de Klaus Altmann. Ils entreprennent alors une série d’actions auprès des autorités françaises, allemandes et européennes, pour obtenir son extradition en France. Grâce à leur acharnement, Klaus Barbie sera jugé à Lyon en 1987, et condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité. C’est la première fois que ce chef d’accusation est retenu en France.
« Le personnage que j’incarne est bien plus grand que moi ».
Commandeur de la Légion d’honneur, Beate Klarsfeld est, depuis 2015, ambassadrice de l’UNESCO pour l’enseignement de l’histoire de l’holocauste et envoyée spéciale pour la prévention du génocide. Justicière allemande aux côtés de son mari juif, elle s’est battue pour que le temps n’efface jamais les actes abominables des criminels nazis. « On ne s’est pas battus pour se donner bonne conscience, mais pour gagner. » Courageusement, elle a incité son pays et le monde à se confronter à un passé douloureux afin de veiller à ce qu’il ne se reproduise pas. Pourtant, Beate Klarsfeld reste modeste : « j’ai agi, voilà tout. »
🎬 Je vous conseille de visionner le film La Traque, de Laurent Jaoui, diffusé en 2008, retraçant l’histoire du couple franco-germanique qui a consacré sa vie à traquer les criminels nazis et à les amener en face de la Justice.
Pour aller plus loin, je vous invite à parcourir le superbe roman graphique de Pascal Bresson et Sylvain Dorange, intitulé Beate et Serge Klarsfeld : un combat contre l’oubli.
📎 Vous pouvez également parcourir notre article sur Lee Miller, artiste surréaliste et photographe de guerre ou celui sur l’héroïne de guerre Juliette Dodu, ayant sauvé la vie de près de 40 000 soldats lors de la guerre franco-allemande de 1870.
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Violaine Berlinguet — Celles qui Osent
Sources :
Nos vies contre l’oubli — Baete Klarsfeld, Serge Klarsfeld, Eric Fottorino
Mémoires, Beate Klarsfeld, Serge Klarsfeld | Livre de Poche
Beate Klarsfeld : « J’ai agi, voilà tout » – Elle
Portraits « femmes de paix » présentés par l’Institut National de l’Audiovisuel – Beate Klarsfeld
La traque de Klaus Barbie, le boucher de Lyon
sciencespo.fr : /actualites/beate-klarsfeld-une-vie-dengagement
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