Interview d’Isabelle Laffont | Doyenne de la faculté de médecine de Montpellier

Spécialisée en médecine physique et de réadaptation (MPR), Isabelle Laffont est également devenue en 1995 professeure de médecine à l’université. Elle a été récemment élue au décanat de la faculté de médecine  de Montpellier, succédant au professeur Mondain. En 802 ans d’existence, c’est la première fois que l’institution voit une femme accéder à cette haute fonction. Dans l’organigramme du système universitaire qui date du Moyen Âge, le doyen demeure le personnage le plus élevé, responsable devant le conseil académique et les instances de l’université. Isabelle Laffont est parvenue à occuper cette fonction institutionnelle «assez peu paritaire ».

Maud Moulin, préparatrice de corps et bénévole pour Celles qui osent a interviewé Isabelle Laffont.

Isabelle Laffont, une Toulousaine devenue médecin à Paris

Née à Toulouse, d’un père ingénieur et d’une mère professeure de lettres, Isabelle Laffont a grandi à Paris, ville où elle a également entrepris ses études de médecine. Durant 13 ans, elle exerce comme médecin MPR à l’hôpital Raymond Poincaré, situé à Garches, dans les Hauts-de-Seine, un établissement spécialisé dans la prise en charge d’adultes et d’enfants souffrant de handicaps lourds, d’origine neuromusculaire ou traumatique.

En 2008, elle fait le choix avec sa famille de quitter la région parisienne pour s’installer à Montpellier. Mariée et mère de trois grands enfants, elle assume désormais plusieurs fonctions, dont celle de directrice de l’école de médecine de Montpellier qui compte pas moins de 12 000 étudiants.

Une doyenne élue par ses pairs à Montpellier

Pour accéder à ce prestigieux poste de doyenne, elle a dû être élue par ses pairs, mais aussi par la communauté d’enseignants-chercheurs de médecine, les étudiants, les administratifs de la faculté et par les représentants d’un certain nombre d’instances comme les directeurs généraux des CHU, le conseil de l’Ordre, la région et la caisse d’Assurance maladie.

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Isabelle Laffont ne cache pas ses ambitions professionnelles et affirme avoir une réelle appétence pour la formation et la recherche. Sa vie a été marquée par ses engagements institutionnels au niveau du CHU. Impliquée dans le bureau du collège des enseignants de sa spécialité, présidente de sa société savante – association regroupant des experts et des amateurs éclairés qui publient des travaux de recherche originaux – cette passionnée aime s’engager dans des actions collectives.

Une ambiance discriminante lors de ses études de médecine

Pour Isabelle Laffont, les enquêtes et les données chiffrées sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu étudiant des facultés de médecine, comme dans d’autres disciplines, sont véritablement terrifiantes… 30 % des étudiantes et étudiants en médecine déclarent avoir été harcelé.e.s sexuellement d’après un rapport paru en 2021 par l’Association nationale des étudiants en médecine de France.

« Les traditions carabines entretiennent un côté désinhibé sur les sujets ayant trait au sexe », mais le sexisme n’est pour elle, pas plus présent en médecine qu’ailleurs.

« Qu’il y ait une ambiance discriminante en médecine, c’est probablement une réalité. Il y a une espèce de confusion entre traditions carabines et propos ou attitudes sexistes, c’est une erreur. »

Femme et doyenne d’une faculté, c’est possible !

Femme extrêmement déterminée, Isabelle Laffont s’est présentée à l’élection des canaux et devenir doyenne. « Oser, c’est se faire confiance, c’est aller sur des chemins vers lesquels on n’est pas attendu, c’est pousser des portes, se mettre des challenges que l’on n’est pas sûre de remporter, c’est se mettre en situation d’inconfort. C’est aussi y aller sans savoir si cela va fonctionner ou pas. Mais cela commence par se faire confiance. »

« Je n’avais jamais imaginé pouvoir un jour devenir doyenne » dit-elle.

Très heureuse, honorée et fière d’être élue, elle déclare :

« Ma plus belle victoire, ce n’est pas d’avoir été élue, mais c’est surtout d’avoir osé me présenter à cette élection. »

C’est sa fille aînée qui l’encourage à se présenter. Ses enfants l’ont d’ailleurs toujours poussée à ne pas se sentir coupable ni contrainte de choisir entre son métier et sa vie de famille s’investir dans son métier, sans pour autant pénaliser sa famille.

« Ma victoire, c’est à mes enfants que je la dois. »

Être une maman épanouie et investie dans son travail est primordial pour libérer ses enfants d’une forme de culpabilité. « Je n’ai pas sacrifié ma vie professionnelle pour mes enfants et je crois que d’une certaine façon, cela les libère d’un poids. »

À 56 ans, Isabelle Laffont voit dans cette fonction un aboutissement de sa carrière de médecin. Elle a la conviction que l’on peut changer une société à travers l’éducation et les actions de recherche.

« Faire évoluer une société, c’est faire évoluer la jeunesse et le savoir : ma fonction de doyenne sert totalement cette cause. »

Forte de son expérience clinique, son challenge aujourd’hui est d’enseigner et de transmettre, mais également de considérer le travail des enseignants-chercheurs, eux aussi malmenés par le système.

Soutenir des causes collectives

Aujourd’hui de nombreuses causes lui tiennent à cœur, parmi lesquelles : l’action collective, la responsabilité de la société et le combat pour l’équité. Pour elle, le système public d’éducation est très noble et doit être protégé.

Elle soulève également la problématique de l’équité dans l’accès au soin. « Actuellement en France, il existe des déserts médicaux. Des gens n’accèdent pas aux soins faute d’argent. Je crois que la faculté de médecine a un rôle à jouer sur l’iniquité territoriale d’accès au soin. Il faut acculturer les internes sur ce que c’est qu’exercer comme médecin dans les milieux ruraux par exemple. »

Si elle pouvait réaliser trois vœux, elle souhaiterait :

  1. que notre système de santé soit plus juste et serein ;
  2. que tout le monde puisse accéder aux soins, que notre médecine soit accessible à tout le monde ;
  3. que les tensions hospitalières insupportables cessent et que les universités et les hôpitaux disposent de plus de moyens d’agir.

Très imprégnée par la culture classique transmise par sa mère, elle aime l’archéologie, la civilisation gréco-latine et lire les œuvres du XIXe et XXe siècle. Un des livres qui l’a profondément marquée est le livre Le parfum de Patrick Süskind. Quant au cinéma, la filmographie qui la touche particulièrement est celle du réalisateur Almodovar.

« Ouvrez toutes les portes. N’ayez pas peur. Faites-vous confiance. »

Pour conclure, elle aborde la problématique du plafond de verre et les « freins invisibles » à la promotion des femmes. « Je pense que les femmes doivent oser tout faire, sortir de leur auto-inhibition absolument phénoménale. Elles peuvent tout faire, heureusement. »

Merci Isabelle Laffont.

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Interview : Maud Moulin

Rédaction : Violaine Berlinguet

Sources :

Anemf

​​Mot de la Doyenne – Faculté de Médecine Montpellier – Nîmes

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