L’Affaire des poisons : poison et sorcellerie sous le règne de Louis XIV

À l’ombre du château de Versailles, le règne du Roi-Soleil n’est pas toujours lumineux. Un scandale fait encore couler de l’encre par son mystère aussi fascinant que révoltant : l’Affaire des Poisons. Digne d’un roman de cape et d’épée, il y est question de sorcellerie, de crimes sordides et de femmes audacieuses qui ont osé le pire pour s’affranchir des diktats de leur société.

La marquise de Brinvilliers : histoire d’une meurtrière

Portrait d’une femme de son temps

Marie-Madeleine est issue d’une famille d’aristocrates. Enfant, elle est violée par un domestique et victime d’inceste par ses frères. À vingt-et-un ans, elle épouse le marquis de Brinvilliers, un homme qu’elle n’a pas choisi. La question du consentement n’est pas au cœur des préoccupations sociétales du XVIIe siècle. Ce mari, libertin et volage, disparaît après avoir dilapidé leur fortune. La marquise de Brinvilliers, quant à elle, continue sa vie, et se trouve même un soupirant.

Godin de Saint-Croix jouit d’une réputation sulfureuse et sera d’ailleurs emprisonné quelque temps. L’infâme corrupteur y apprend l’art subtil des poisons grâce à l’un de ses codétenus. À sa libération, il retrouvera les bras de son aristocrate bien-aimée. Quelques années plus tard, il trépasse d’une mort, on ne peut plus naturelle.

De victime à tueuse en série

En juillet 1672, des lettres sont retrouvées parmi les biens de Saint-Croix. Il s’agit d’aveux, écrits par la marquise, des empoisonnements de son père en 1666 et ses deux frères en 1670 ! Elle se serait perfectionnée auparavant en assassinant une cinquantaine de domestiques et de pauvres des hospices parisiens !

C’est avec la poudre de succession (un mélange appétissant d’arsenic et de bave de crapaud) qu’elle se débarrasse de son géniteur, pour hâter son héritage. Mais, peu partageuse, et peut-être aussi par vengeance du passé familial, elle assassine sa fratrie.

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La marquise s’enfuit alors à Londres. Des années plus tard, elle est retrouvée et arrêtée en mars 1676. Soumise à la question par l’eau, technique de torture destinée aux interrogatoires, elle avouera tous ses péchés.

Une criminelle parmi tant d’autres

Son procès servira le jeu des rivalités politiques entre Louvois, ministre de la Guerre, et Colbert, contrôleur général des Finances. Louvois autorise les pleins pouvoirs à Nicolas de La Reynie, lieutenant civil du Châtelet (et en passant, successeur du père de la Brinvilliers), dans son enquête.

Elle évoque un réseau de criminels, mais refuse jusqu’au bout de donner des noms. Nombreux seraient ceux qui utilisent le poison : enduit à l’intérieur des chemises, dissout dans un verre, ou bien déposé sur un couvert. Lent à agir, la victime s’éteignait à petit feu, comme le ferait une maladie vénérienne. Sournois et d’une efficacité redoutable !

En juillet 1676, elle est décapitée à l’épée, honneur dû à son rang social, puis brûlée. Les jours qui suivent, une frénésie s’empare des Parisiens qui volent ses ossements réputés magiques.

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La Voisin : les sorcières sont partout

De faiseuse d’ange à empoisonneuse

Plusieurs personnes sont finalement arrêtées, et après des interrogatoires musclés, une femme est dénoncée : Catherine Monvoisin.

Celle qui se fait appeler La Voisin se présente comme accoucheuse, chiromancienne et faiseuse d’ange. Elle mène une vie joyeuse, collectionne les amants et amasse une belle fortune.

L’ampleur de ce réseau est effrayante : empoisonnements, faux-monnayage, alchimie, sortilège, magie noire, etc. La criminelle confesse avoir enterré ou brûlé plus de 2500 fœtus, issus des avortements qu’elle a pratiqués, et bébés qu’elle a égorgés pour ses messes occultes !

Profil d’une sorcière

La Voisin a l’esprit d’entreprise. Elle profite de la crédulité et du malheur des femmes, ses principales clientes, avec la promesse d’une vie meilleure. Adieu le parent grabataire, l’époux gênant ou la grossesse non désirée !

Dès qu’une femme s’écarte du cadre imposé par la société ou la religion, elle est rapidement accusée de sorcellerie (Hypathie d’Alexandrie dans l’Antiquité et Jeanne D’Arc au Moyen Âge sont des exemples historiques frappants). En cette époque de Contre-Réforme, durant laquelle l’Église resserre son étau sur les mentalités, les gens craignent autant Dieu que le Diable.

Ironiquement, La Voisin est une personne pieuse, qui prie et se confesse souvent. C’est d’ailleurs à la sortie de la messe qu’elle est arrêtée en mars 1679. Elle est brûlée en février 1680 devant une foule hystérique.

Scandale qui ébranle la Cour

En avril 1679, une assemblée spécialisée pour juger de cette affaire des poisons se crée : La Chambre ardente. De 1679 à 1682, elle ordonne 367 arrestations ! Les criminels, interrogés par La Reynie et ses hommes, inculpent des aristocrates en espérant ainsi obtenir un abandon des charges. Au banc des célèbres accusés : Olympe Mancini, comtesse de Soisson, et qui a été l’une des maîtresses du roi, Racine, le dramaturge, et bien d’autres courtisans.

Pour Louis XIV, cette histoire réveille une peur d’être empoisonné. D’autant qu’autour de lui, les morts étranges se suivent :

  • sa belle-sœur, Henriette d’Angleterre en 1670 ;
  • le ministre Hugues de Lyonne en 1672 ;
  • le comte de Soisson en 1673 ;
  • le duc de Savoie en 1675.

Une crainte qui se transforme en paranoïa lorsque madame de Montespan, la favorite en titre, se retrouve liée à cette sombre affaire.

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L’Affaire des Poisons : une affaire d’État

Madame de Montespan, la favorite accusée

Madame de Montespan est impliquée dans des messes noires aux détails sordides, dignes des romans gothiques. Elle connaissait La Voisin, et envoyait certainement sa dame de compagnie lui procurer des aphrodisiaques destinés à s’assurer l’amour vigoureux du roi.

D’autres l’accusent d’avoir souhaité empoisonner Angélique de Fontanges, sa remplaçante dans le cœur du monarque. De quoi s’interroger lorsque celle-ci meurt soudainement, en 1681. Néanmoins, il est probable que la mort de la jeune femme soit davantage liée à un accouchement difficile qu’à une rivalité féminine.

Devant le zèle des juges, Louis XIV dissout la Chambre ardente. Tous les coupables ayant nommé madame de Montespan échappent à l’exécution, mais seront emprisonnés à vie, afin d’étouffer le scandale. Toucher à la favorite, c’est approcher trop près du roi.

Claude de Vin des Oeillets, la maîtresse secrète

Mademoiselle Claude des Oeillets, la dame de compagnie de la marquise de Montespan, est identifiée par de nombreux accusés pour avoir commercé avec La Voisin. Elle a été la maîtresse royale, mais Louis XIV refusera toujours de reconnaître la fille qu’elle a eue.

En 1679, les différents interrogatoires de la Chambre ardente évoquent une tentative d’empoisonnement contre Louis XIV et la jeune courtisane, Angélique de Fontanges, à l’instigation de mademoiselle des Oeillets. Une simple vengeance féminine ? Une volonté de faire légitimer son enfant ? Compromise dans ce scandale, elle ne sera néanmoins jamais inquiétée et restera protégée du roi jusqu’à sa mort en 1687.

« Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison. » Paracelse.

Fin de la Cour des Poisons

Les matières toxiques, destinées aux médicaments ou aux poisons, sont en vente libre auprès des apothicaires de France. On peut s’y procurer des contrepoisons aussi farfelus que répugnants :

  • bézoard (amas non digéré retrouvé dans un estomac humain ou animal) ;
  • langue de serpent ;
  • corne de licorne (Narval), etc.

Les cosmétiques utilisaient également des métaux lourds dangereux tels que le plomb et le mercure. Et que dire des remèdes destinés aux malades :

  • fiente de paon contre les hémorroïdes ;
  • huile de fourmis contre la surdité ;
  • sperme de grenouille contre les vomissements, etc.

Ce sinistre épisode de l’histoire permettra la mise en place d’une législation sur les substances létales dès 1682. De plus, la sorcellerie sera dépénalisée pour être considérée comme une simple escroquerie.

Il est difficile de faire la lumière sur cet événement pour plusieurs raisons. D’abord, on peut douter de la véracité d’aveux extorqués par la torture. Ensuite, Louis XIV a ordonné la destruction de tous les interrogatoires recensés par la Chambre ardente, dans le but d’étouffer le scandale qui menaçait la monarchie. L’Affaire des Poisons est assurément une histoire fascinante, de femmes : des criminelles et sorcières, mais aussi des maîtresses et favorites, où le poison devient alors un instrument de libération.

 

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Rabab Chenanfa, pour Celles qui Osent

 

Sources

National Geographic, L’Affaire des Poisons, psychose à la cour de Louis XIV, mars 2020.

Herodote.net, 17 juillet 1676 — Exécution de la marquise de Brinvilliers, avril 2020.

Historia, La Voisin, la sorcière mal-aimée, mars-avril 2015.

Ministère de la Justice, Les grands procès de l’histoire : L’Affaire des Poisons, juillet 2012.

Podcast :

Autant en Emporte l’Histoire sur Radio France, l’Affaire des Poisons, une affaire d’État sous Louis XIV, mars 2022.

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