Rien ne prédestinait Angela Merkel à embrasser une carrière politique et, plus encore, à servir la cause du féminisme. Sa force, son abnégation, il faut en chercher l’origine dans son enfance passée en Allemagne de l’Est, où, privée de liberté, la petite Angela s’est forgé un caractère bien trempé. La jeune fille a dû montrer les crocs pour survivre dans un milieu patriarcal où tous les coups sont permis. Pour autant, le parcours d’Angela Merkel fait-il d’elle une figure du féminisme ? Nous allons voir que ce rôle n’a pas toujours été pleinement assumé par la chancelière allemande.
Une éducation dans la rigueur de l’Est
Une enfance sous un régime autoritaire
Angela Merkel naît à Hambourg le 17 juillet 1954. Elle grandit dans la petite ville de Templin située en RDA (ex-Allemagne de l’Est), où son père, pasteur, dirige un centre pour enfants handicapés mentaux. À cette époque, la RDA fait partie du bloc communiste des pays de l’Est. Si elle est qualifiée de démocratie populaire, elle est en fait une dictature déguisée. En opposition au libéralisme, le régime censure les médias de l’Ouest et interdit toute importation de biens. C’est dans ce contexte que grandit la future chancelière, qui reçoit une éducation chrétienne et vit modestement entourée de ses parents et de ses frère et sœur.
Des signes de rébellion à l’adolescence
La petite Angela écoute clandestinement la radio de l’Allemagne de l’Ouest, lit des livres interdits et porte des jeans envoyés par sa famille restée vivre à Hambourg.
L’année du baccalauréat, alors qu’elle doit présenter un exposé à la gloire du Vietcong, elle récite un poème anticonformiste et chante avec des camarades l’Internationale en anglais, une langue totalement bannie en RDA.
De retour sur les rails, elle se dirige vers des études scientifiques, et obtient un doctorat en physique. Elle aurait pu avoir une carrière similaire à celle de Mae Jemison, mais l’histoire en a décidé autrement.
Les premiers pas de la future chancelière en politique
La chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne
L’effondrement du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, qui rétablit de fait la libre circulation entre l’Est et l’Ouest, n’est pas une raison suffisante aux yeux d’Angela pour renoncer à sa séance de sauna hebdomadaire. Après tout, l’histoire peut attendre ! Ce n’est que quelque temps plus tard qu’elle se mettra en quête d’un rôle politique qui sonnera la fin de sa courte carrière de physicienne à l’Académie des Sciences.
Après quelques expériences infructueuses, elle intègre, au moment de la réunification de l’Allemagne en octobre 1990, l’Union Chrétienne-Démocrate d’Allemagne (CDU).
Les combats de Merkel pour les droits des femmes
En 1991, sous la chancellerie d’Helmut Kohl, Angela Merkel est nommée ministre de la Jeunesse et des Femmes.
La loi sur l’IVG
Si le recours à l’IVG a été rendu légal en RDA dès 1972, il est encore très restreint en RFA lorsque Angela Merkel arrive au ministère. Elle est certes une femme chrétienne, mais elle comprend les attentes de la société sur le sujet de l’avortement. Elle propose donc sa dépénalisation sous certaines conditions, mais s’abstient de voter, au nom de ses convictions religieuses.
L’accès à l’emploi
Angela Merkel, durant son mandat de ministre des femmes, défend des projets de loi comme le harcèlement au travail et la parité dans les services publics. Plus tard, sous son mandat à la chancellerie, elle développe une politique familiale censée favoriser le travail des femmes en augmentant le nombre de places en crèches et en instaurant le salaire parental pour la mère comme pour le père, qui peut alors choisir de s’occuper de son enfant. Il faut saluer, avec l’arrivée de cette réforme, un réel changement dans les mentalités des représentants masculins du parti au pouvoir. Quelques décennies auparavant, beaucoup idéalisaient la femme répondant à la règle des «3 K» : kinder, küche, kirsche (enfant, cuisine, église). Un sacré programme !
Backlash
À l’occasion d’un repos forcé, Angela Merkel lit des livres sur le féminisme, notamment le fameux Backlash (retour de bâton) de la journaliste américaine Susan Faludi. Statistiques à l’appui, le livre démontre comment chaque avancée du droit des femmes se trouve systématiquement suivie d’une vague de revanche, une contre-offensive réactionnaire destinée à annihiler tout progrès en la matière. La prétendue prise de pouvoir des femmes ne serait donc qu’un leurre …
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Le fabuleux destin d’Angela Merkel
Une femme courageuse et déterminée
Des mesures assumées sur le nucléaire
Lors du quatrième mandat d’Helmut Kohl, en 1994, Merkel est nommée à l’environnement, chargée notamment de la question du nucléaire. Si sa formation de physicienne l’amène à être plutôt favorable au maintien de la production d’énergie nucléaire en Allemagne, la catastrophe japonaise de Fukushima en 2011 remet totalement en cause ses convictions. Elle assume alors fermement sa décision de sortir le pays du nucléaire, en faisant prévaloir les risques en cas d’accidents similaires à ceux de Tchernobyl ou Fukushima. Par une approche visionnaire, elle a eu le courage de dénoncer, comme d’autres femmes l’ont fait sur des sujets environnementaux, l’ampleur du risque pour la population et pour la planète.
Un père spirituel devenu encombrant
En 1998, Merkel est la première femme nommée secrétaire générale de la CDU.
En novembre 1999, le scandale des financements occultes qui touche le parti fragilise Helmut Kohl. Merkel intervient dans le plus grand secret, en faisant publier dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine zeitung un article qui va le mettre hors jeu.
Angela a tué le père, la voie vers le pouvoir est désormais toute tracée. Élue en 2000 à la présidence de la CDU, elle a la réputation d’une tueuse qui isole du parti toute personne se mettant en travers de son chemin. Victime de misogynie, Merkel comprend qu’en tant que femme elle doit prouver en permanence sa valeur et être la plus forte.
«Ce qui m’a façonnée aussi, c’est d’avoir toujours été entourée d’hommes.» – Angela Merkel
Merkel l’influenceuse
L’accession au pouvoir
En 2005, Angela Merkel est élue chancelière face au candidat sortant Gerhard Schroeder. Elle occupera ce poste jusqu’à la fin de l’année 2021.
Elle sera désignée à plusieurs reprises «femme la plus influente du monde» par le magazine Forbes. Partie de rien, la mädschen (fille) de l’Est a réussi à s’imposer parmi les plus grands dirigeants de la planète, jouant alors dans la même cour que Poutine, Trump ou encore Erdogan.
Mutti au chevet de l’Europe
Fervente défenseuse de l’Europe, elle a toujours pris à bras le corps les problèmes de l’Union européenne. Ses détracteurs l’ont même accusé de vouloir «germaniser» la Commission européenne par son implication sans faille et son exceptionnelle longévité à la tête du pouvoir.
Mutti (maman), comme l’appellent parfois les Allemands, peut se targuer d’avoir joué un rôle important au sein de l’Europe, en affrontant des événements majeurs comme la crise économique de 2008, la crise migratoire de 2015 ou bien encore le brexit et la pandémie du covid-19. Entourée de ses partenaires, elle a certainement contribué à ce que le navire Europe ne sombre pas au fond de la mer du Nord.
Au-delà du symbole, un bilan féministe nuancé
La féminisation du pouvoir
Angela Merkel incarne la féminisation des positions de pouvoir et la capacité à se faire une place dans un monde d’hommes. Elle est un symbole du féminisme pour avoir gouverné son pays pendant seize ans et prouvé la compatibilité des femmes avec le pouvoir. Elle a nommé des femmes à des postes influents, à l’image d’Ursula von der Leyen, ministre de la Défense, aujourd’hui présidente de la Commission européenne. Elle s’est également entourée de deux proches collaboratrices pour l’épauler à la chancellerie. En cela, on peut accorder à Merkel d’avoir féminisé le pouvoir et brisé, en tout cas dans son pays, le fameux plafond de verre.
Merkel, une féministe ?
Sur la fin de son mandat, Angela Merkel a assumé son féministe, mais avec beaucoup de nuances. En avril 2017, elle déclarait se sentir à la fois proche et éloignée de l’histoire du féminisme. À l’aube de tirer sa révérence, elle affirmait que si le féminisme se définissait comme la représentation égalitaire des femmes et des hommes dans tous les aspects de la vie (sociale, familiale, politique, etc.), alors oui, elle revendiquait haut et fort son titre de féministe.
Un bilan économique en demi-teinte pour les Allemandes
Le bilan de l’ère Merkel sur la situation économique des femmes reste mitigé. En 2019, l’écart de rémunération avec les hommes était de 19 %, l’un des plus élevés de l’Union européenne. Il apparaît que le modèle économique allemand a fragilisé l’emploi des femmes, les contraignant à cumuler plusieurs emplois à temps partiel pour s’en sortir. Pour toutes ces raisons, l’engouement tardif d’Angela Merkel au sujet du féminisme a été mal vécu outre-Rhin. Les femmes auraient préféré une chancelière intimement dévouée à leur cause dès son premier mandat, pour les porter non seulement sur le devant de la scène politique, mais aussi sur la scène de la vie quotidienne, tout simplement pour mener une vie plus décente.
Angela Merkel, dorénavant retirée de la vie politique, peut vivre une retraite bien méritée. Pour occuper son temps libre, nous pourrions lui proposer cette sélection littéraire consacrée aux femmes inspirantes, comme elle-même l’a été durant ses longues années à la tête de l’Allemagne.
🇮🇳 Découvrez une autre femme au destin politique exceptionnel : Indira Gandhi.
Cécile Barbier, pour Celles qui Osent
Sources :
TV5 Monde : Angela Merkel, le pouvoir au féminin – 08/12/21
TV5 Monde : Angela Merkel, un symbole pour les femmes, mais une alliée ambiguë – 24/09/21
Touteleurope.eu : Angela Merkel : biographie de l’ancienne chancelière allemande – 11/01/22
Le nouvel obs : Angela Merkel, une jeunesse est-allemande – 22/09/13
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