Dans son premier essai Présentes, Lauren Bastide, journaliste et autrice féministe, dédie un chapitre à la ville et à son aménagement, dont les femmes sont, sans surprise, exclues. Selon elle, la rue et autres espaces publics urbains ne sont que des lieux de transit pour les femmes, des endroits où elles ne font que passer. Pour les hommes, la situation est différente. Ces derniers s’arrêtent, discutent, s’assoient, s’approprient l’espace public. Pour eux, la ville est synonyme de rencontres, de partage, de convivialité. Tandis que pour les femmes, il s’agit d’un endroit qui suscite la peur, où les agressions et les viols sont commis tous les jours. L‘urbanisme féministe se pose précisément la question de comment faire de la ville un espace pour les femmes, où elles pourront se sentir inclues et en sécurité ?
Femmes et villes : se réapproprier l’espace public
Il est important de rappeler qu’en France, seules 4% des rues portent des noms de femmes, et, à Paris, seules 37 statues sur 350 sont à l’effigie de femmes, selon Christel Sniter, dans son livre Femmes et Villes. Certaines municipalités se sont cependant reprises, comme la ville de Paris, dont le nombre de rues nommées d’après des femmes a doublé depuis 2014. Ce qui porte le pourcentage de noms de rues féminisées à Paris à… 12%. Bon, c’est toujours mieux que la moyenne nationale. À partir de 2015, les associations et collectifs féministes se sont emparés de la question. Il y a trois ans, Nous Toutes a notamment renommé certaines rues de Paris en les féminisant, pour célébrer la journée internationale des droits des femmes. En plus des noms de femmes illustres, les victimes de féminicides ont également été mises à l’honneur. Le but : se réapproprier l’espace public, mettre fin à l’invisibilisation des femmes.
Ces démarches citoyennes et de désobéissance civile (elles peuvent être vues comme du vandalisme, ou de la dégradation de l’espace public) sont essentielles car, comme l’écrivait Hannah Arendt, « la ville est une mémoire organisée, les femmes sont les oubliées de l’histoire ». La ville, gardienne des mémoires, des personnalités illustres, et témoin de l’histoire… Tant de choses dont les femmes demeurent exclues. C’est dans ce même esprit de réappropriation de l’espace urbain qu’ont débuté les Collages contre les féminicides. En 2019-2020, ont fleuri sur les murs des villes françaises des slogans, en lettres noires sur fond blanc. « Victime de viol, on te croit », « l’impunité est révolue, place à la relève féministe », « religions hors de nos utérus ». Les messages sont poignants et interpellent. Le paysage urbain est bouleversé, et les féministes viennent interpeller les passants et usagers de la ville dans leurs trajets quotidiens.
L’urbanisme féministe pour adapter la ville aux femmes
En 2017 survient une polémique sur les trottoirs, lancée par la militante féministe Caroline de Haas. Elle propose d’élargir les trottoirs des villes pour lutter contre le harcèlement de rue, ce qui provoque un tollé général. Sur France info, la militante s’explique :
« Dans tous les quartiers où il y a un problème d’espace, où il y a une concentration de personnes qui restent à la même place toute la journée, il y a des violences à l’encontre des femmes. On pourrait élargir les trottoirs pour qu’il y ait plus de place et qu’il n’y ait pas de cohue dans ces endroits-là. On pourrait aussi mettre de l’éclairage pour faire en sorte que, quand on circule dans la rue, il n’y ait pas de coins sombres ».
Tout le débat part de la situation de la Chapelle, dans le nord de Paris, quartier majoritairement approprié par les hommes.
Evidemment, l’aspect urbain n’est pas la seule partie du problème, et tout commence par l’éducation à l’harcèlement de rue, et la répréhension de ces actes. Or l’éclairage public, par exemple, a son importance dans la lutte contre les violences faites aux femmes. En effet, qui a envie de se promener dans une rue sombre, mal éclairée ? Idem pour le manque d’espace. Quelle femme aurait envie de discuter en pleine rue, ou dans un parc, lorsque ces lieux sont majoritairement accaparés par les hommes ? Dans son essai Présentes, Lauren Bastide prend l’exemple du Panthéon, devant lequel des mobiliers urbains (tables et bancs en bois) ont été installés sur un ancien parking, et sur lesquels sont inscrits les noms de femmes chercheuses, penseuses, scientifiques, philosophes, artistes… En faisant ainsi un exemple d’urbanisme féministe réussi.
Vienne, une capitale européenne sensible au genre
En 1997 s’achève à Vienne la construction des logements sociaux de Frauen Werk Stadt, « femme, travail, ville », construits par quatre femmes architectes. Une crèche publique ainsi qu’un cabinet médical sont installés au cœur des logements. Bancs, jardins, larges allées, garages à vélo, buanderies communes, éclairage naturel dans les couloirs pour faciliter la rencontre et la discussion… Le but : faciliter au maximum les tâches domestiques, principalement réservées aux femmes, et développer le lien social. A Vienne, selon le journal Le Monde, 60% des appartements sont des logements sociaux, et la capitale autrichienne compte parmi les villes européennes dont le budget destiné au genre est le plus important. Après une enquête, les urbanistes viennois découvrent que les parcs de la ville sont délaissés par les filles, à partir de l’âge de dix ans. Ils décident alors d’en aménager de nouveaux, comme par exemple le parc Rudolph-Bednar, entouré par les habitations, sans grillage, pour créer un sentiment de sécurité.
Dans d’autres rues de la ville, l’éclairage de nuit a également été renforcé, et des toilettes publiques installées. Les pictogrammes dans les transports en commun, entre autres, ont également été modifiés, avec davantage de femmes mises en avant, pour changer les mentalités et les représentations collectives. Alors évidemment, face au modèle viennois, on ne peut s’empêcher de regarder nos propres lacunes en France. A quand les espaces inclusifs, les toilettes pour femmes ? Il n’est pas nécessaire de débloquer des milliards pour commencer une politique de la ville féministe. Par exemple, en 2015, Stockholm a décidé de déblayer en priorité les trottoirs, en temps de neige, car les femmes en sont de plus grandes utilisatrices. C’est notamment à ces dernières que revient la charge de pousser les poussettes, ou de faire les courses.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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