Marielle Franco, la conseillère municipale qui donnait de la voix aux minorités

L’assassinat de l’activiste noire et conseillère municipale de Rio de Janeiro Marielle Franco, a été interprété par la communauté internationale comme un signal d’alarme de la situation politique au Brésil. L’attentat envers cette femme politique très populaire, durant une intervention militaire à Rio de Janeiro le 17 mars de 2018, reste à ce jour impuni. Marielle Franco, considérée par beaucoup comme la voix d’un nouveau féminisme, a lutté jusqu’au dernier jour pour améliorer la vie de ses concitoyens et transformer les revendications des minorités en actions. Retour avec Celles qui Osent sur la destinée d’une féministe audacieuse à la fin tragique.

Marielle Franco : des favelas à la politique

Marielle Franco est née le 27 juillet 1979, dans le Complexo da Maré, conglomérat de favelas au nord de Rio de Janeiro. Diplômée en sociologie par l’Université Catholique (PUC – RJ), elle a obtenu en 2016 plus de 46 000 votes favorables à son élection en tant que conseillère municipale (Parti Socialisme et Liberté – Psol) de Rio de Janeiro. Sa militance politique a commencé avant même qu’elle intègre l’Université, après avoir perdu une amie, victime d’une balle perdue, lors d’un affrontement entre policiers et trafiquants dans sa Communauté.

Ayant connu la maternité très jeune, à l’âge de 19 ans, Marielle Franco a commencé dès lors à s’intéresser aux droits des femmes et à instaurer ce débat dans les communautés pauvres de sa ville.

Avant d’embrasser une carrière politique, elle a travaillé dans les organisations de la société civile telles que Brasil Foundation et le Centre des Actions de la Maré (CAESM). Elle a coordonné, à côté du député de l’état d’alors Marcelo Freixo (PSOL), la Commission de Droits humains et Citoyenneté de l’Assemblée législative de Rio de Janeiro (ALERJ).

Une conseillère municipale qui donne de la voix aux minorités

“La favela fait partie intégrante de la ville et ses habitants doivent en écrire l’histoire”.

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Cette femme lesbienne, métisse, née dans la favela a été élue conseillère municipale de son parti. Elle a mis en place un mouvement social de rénovation et de transformation des luttes autonomes à travers l’autovalorisation et la légitimation de la voix des minorités. Son mandat de conseillère municipale a été ponctué par les débats féministes, la lutte contre le racisme et la défense des droits humains.

Marielle poursuit la trajectoire des activistes noires brésiliennes comme Lélia Gonzalez, Sueli Carneiro, Djamila Ribeiro, etc. Ces femmes ont créé des pratiques communicatives populaires pour transformer les problèmes sociaux en problèmes publics, qui ensuite seront discutés par la société. Subjectivation, mise à nu des engrenages oppresseurs, valorisation de la propre culture, récupération et publication de leur propre histoire sont autant d’instruments qui leur permettent de s’inscrire dans l’histoire.

“Il y a eu de l’abolition dans les relations, mais pas dans les liens. Malgré le fait que l’esclavage ait été éliminé des systèmes juridique et social brésiliens et que le concept de race du point de vue biologique n’existe pas dans ce pays, le dispositif racial est en permanence activé pour discriminer et hiérarchiser les positions de classe sociale et de pouvoir.” Sodré Munis, journaliste et sociologue brésilien

Marielle Franco, celle qui défendait le féminisme pluriel

Depuis la création en 1975 du Centre de la femme brésilienne (CMB), la première organisation féministe du pays, il a fallu attendre quatre décennies, pour que les femmes soient représentées dans toutes leurs diversités : mères, noires, trans, faveladas, professeurs, nordestinas…

“En fait, ce que l’on est en train de vivre est le résultat d’une convergence de différentes expressions du féminisme qui, malgré ses stratégies d’actions multiples, ont en commun la compréhension que l’internet est un espace de dialogue et articulation politique. Le féminisme brésilien d’aujourd’hui n’est pas exclusivement jeune et émancipateur. Le collectif de féministes historiques et celui de féministes hashtags dialoguent pour la construction des actions. Le féminisme est pluriel, diversifié et capable de produire des convergences. » (Marielle Franco, O novo sempre vem)

L’Amérique latine a été bâtie par la domination coloniale. Il y a toujours eu les Européens et les “Autres”, ces identités sociales historiquement nouvelles : les indigènes, les noires et les métisses. La distribution du pouvoir par les colonisateurs a été définie en fonction de ces deux identités. Selon le modèle de domination existant, ces identités étaient associées à des hiérarchies, lieux et rôles sociaux. La race et l’identité raciale constituaient un instrument de classification sociale basique de la population.

L’objectif de Marielle Franco était de déstabiliser le dispositif racial qui modèle et oriente les interactions.

“Étant donné tant d’inégalité, de racisme et de sexisme qui ne cesse de nous violer, l’arrivée d’une femme noire à l’institution surprend. Notre présence effraye la connivence masculine, blanche et hétéronormative”. (Últimas palavras, Marielle Franco)

L’assassinat de Marielle Franco : un crime impuni

En quinze mois comme conseillère municipale, Marielle a présenté 16 projets de loi en faveur des habitants de la favela, dont deux ont été votés : régularisation des mototaxis, important moyen de transport dans les favelas, ainsi que les contrats signés par la mairie avec des organismes sociaux de santé, cibles fréquentes d’enquêtes sur la corruption. En tant que présidente la Commission pour la défense de la femme, Marielle Franco revendiquait la protection des droits reproductifs et les attaques contre les LGBTI. Spécialiste des questions sécuritaires, Marielle a consacré énormément de temps à réunir des informations sur la violence de genre à Rio, dénonçant sans relâche la violence de la police militaire dans les favelas. Elle a également accompagné de près le travail d’investigation (CPI) de Milices à Rio de Janeiro.

La conjoncture dans laquelle Marielle a été assassinée était particulière. Comme “l’insécurité battait des records”, le président Michel Temer avait mis en place la sécurité publique de Rio de Janeiro sous la responsabilité de l’armée fédérale et non sous celle du gouverneur de l’État de Rio et la police militaire régionale, comme la Constitution le prévoit. Or Marielle Franco critiquait sévèrement la militarisation de la vie, dont les favelas étaient la cible principale.

Elle et son chauffeur Anderson Pedro Gomes, ont été abattu le 17 mars de 2018, dans le centre de Rio de Janeiro. En les tuant, les assassins ont éliminé une figure majeure de la résistance des pauvres et des minorités. Presque 5 ans après sa mort, aucun coupable n’a été identifié.

Dans un article rédigé quelques heures avant son assassinat, Marielle écrit :

« Cette sensation de sécurité que l’on ne cesse de louer n’est qu’un discours politique médiatique. Les morts ont une couleur, une classe sociale et un territoire. Décidément, la sécurité publique ne se fait pas avec les armes. Mais avec des politiques publiques, et ce dans tous les domaines. Santé, Éducation, Culture et création d’emplois et rente. Il faut absolument surveiller ce processus, luttant pour que les droits individuels et collectifs soient assurés, pour que les institutions démocratiques soient préservées et restent autonomes. Le contraire de cela serait très dangereux dans une société patriarcale, peu habituée à l’attitude démocratique et avec une relation de violence historique envers sa population plus vulnérable. »

Ses mots résonnent encore, surtout au moment où je rédige cet article, en pleine campagne électorale présidentielle où le Brésil doit décider entre la démocratie et son contraire…

Gabriela Nanni, rédactrice web SEO

Si vous aimez la politique, lisez notre article sur la parité en politique : un enjeu toujours d’actualité, ou Alexandria Ocasio-Cortez, femme politique américaine.

Sources :

https://www.cairn.info/revue-vacarme-2018-3-page-128.htm

https://books.scielo.org/id/6tdtg/pdf/vitale-9788523218638-13.pdf

https://www.cairn.info/revue-multitudes-2018-2-page-7.htm

https://www.academia.edu/63676519/De_L%C3%A9lia_Gonzalez_a_Marielle_Franco_mulheres_negras_e_seus_processos_comunicacionais_interseccionais_de_resist%C3%AAncia?f_ri=3657661

https://movimentorevista.com.br/2018/03/ultimas-palavras-marielle-franco/

https://diplomatique.org.br/marielle-franco-o-novo-sempre-vem/

https://www.amnesty.fr/personnes/marielle-franco

En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent

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