Si la grossesse est généralement décrite comme une parenthèse enchantée, il ne faut pas oublier qu’en réalité, 85 % des femmes peuvent souffrir, à cette occasion, de différents maux physiques et psychologiques, notamment durant le premier trimestre. Parmi les difficultés et les craintes, celle de vivre une fausse couche est en bonne place. Or, il semble que 25 % des futures mamans (200 000 en France chaque année) soient effectivement confrontées, de manière plus ou moins précoce, à ce drame intime. Banalisées par la médecine du fait de leur fréquence, ces interruptions spontanées de grossesse laissent généralement les femmes assez seules dans leur détresse physique, psychique et émotionnelle, avec un sentiment d’abandon, d’incompréhension et de deuil pourtant bien réel. Face à cette situation intolérable, plusieurs projets pour améliorer la prise en charge des fausses couches voient enfin le jour. Ces initiatives, politiques ou collectives, visent à faire évoluer l’accompagnement et à demander de la part du corps médical davantage de pédagogie et de suivi pour ces femmes blessées, meurtries par une épreuve trop souvent négligée et injustement banalisée. Quel suivi attendre en cas de fausse couche et quels progrès espérer dans un avenir proche ? Celles qui Osent vous propose des éléments de réponse, des pistes à suivre et des projets à soutenir.
État des lieux du suivi des fausses couches en France
En quoi consiste la prise en charge médicale d’une fausse couche ?
Lorsque Judith Aquien, autrice du livre Trois mois sous silence, a vécu l’interruption spontanée et subite de sa grossesse, elle a beaucoup souffert du manque de documentation et d’information : comme tant d’autres, c’est seule qu’elle a dû traverser cette épreuve. Des formules laconiques comme “C’est banal”, “Ce n’est pas grave”, ont été les seuls mots, bien peu à la hauteur, exprimés par le corps médical lors de l’examen révélateur. Si ces propos sont davantage des tentatives maladroites de réassurance que le fruit de mauvaises intentions, ils sont cependant ressentis, sur le coup, comme une tentative de minimisation, voire de balayage du drame intime qui se joue pourtant, en réalité, dans le corps, le cœur et l’âme de l’ex-future maman à ce moment-là. Alors, pourquoi une telle réaction ?
Cette forme de banalisation avec laquelle est prise en charge l’interruption spontanée de grossesse est imputable, selon Marie Bornes qui est gynécologue-obstétricienne et responsable de la maternité de l’hôpital Tenon à Paris, à la fréquence à laquelle les médecins, urgentistes ou hospitaliers, sont confrontés à cette situation et à la “facilité” du traitement qui y répond. Car seules deux solutions sont alors proposées à la patiente : le plus souvent, il s’agit d’une prescription de médicaments à prendre chez soi, pour “évacuer” le contenu de l’utérus, sans expliquer que cela peut être douloureux, sans prendre en compte ces récits pourtant trop fréquents et glaçants de femmes témoignant qu’elles ont dû “tirer la chasse sur leur embryon”… Dans d’autres cas, il est proposé une prise en charge hospitalière avec un “accouchement” qui se fait non pas dans une unité dédiée, mais au milieu des femmes qui, elles, mettent véritablement au monde leur bébé. Cette hospitalisation peut aussi s’accompagner de gestes chirurgicaux tels que l’aspiration ou le curetage, des solutions plus rapides, certes, mais qui ne sont pas systématiques du fait des risques et des conséquences médicales que ces gestes peuvent parfois, malheureusement, engendrer.
Existe-t-il un suivi psychologique après une interruption spontanée de grossesse ?
Nous l’avons vu, la manière dont la fausse couche est abordée, sur le plan psychologique, oscille entre banalisation et culpabilisation. Pour le corps médical, qui fait fréquemment face à cette situation, il s’agit d’une issue courante, presque “normale” puisqu’elle n’est pas pathologique : sa réaction est donc perçue comme froide, technique, voire blasée.
Pour l’entourage, drapé dans l’empathie et de bonnes intentions, des petites phrases et conseils comme : “Laisse faire le temps”, “Fais-toi plaisir, en attendant”, “Lâche prise”, “La prochaine fois, sois moins stressée… mange plus sainement… fais du sport…” et autres “Tu es jeune”, “Il vaut mieux maintenant que plus tard”, “La nature est bien faite”, “Si ça tombe, il avait des malformations”, “Tu en auras d’autres” résonnent finalement davantage comme des injonctions culpabilisantes qui reportent toute la charge sur la femme et l’enfoncent un peu plus.
D’autant que, pour cette dernière, l’interruption spontanée de grossesse est déjà, en soi, une source de culpabilité qui la pousse à se sentir forcément responsable de cette perte, de cet “échec”. En effet, cette période de la vie est considérée, dans nos sociétés, comme un temps forcément heureux, dont il convient décemment de taire les symptômes parfois douloureux. Ceux-ci sont d’ailleurs généralement minimisés et ramenés à des “petits maux normaux” puisque “attendre un enfant n’est pas une maladie”, créant à coup sûr des cercles vicieux qui contribuent, finalement, à infantiliser la femme et à discréditer son corps.
Ajoutons à cela le poids d’un champ sémantique discutable. C’est déjà le cas avec la dénomination de “fausse couche” pour décrire ce que les femmes ont vécu comme un véritable et tout à fait réel début de grossesse, dans leur chair, avec l’idée qu’elles s’étaient faite du bébé à naître. C’est encore le cas avec ce champ lexical du vide qui est employé pour parler de cette perte et qui résonne avec une barbarie malvenue : “œuf clair”, “expulsion”, “évacuation”, “curetage”, “aspiration”, “vidage” ou “nettoyage” d’utérus sont en effet à la hauteur des propositions d’oubli ou de l’absence de suivi qui en résultent. Ne mettons pas de côté les termes pointant, sur le plan médical, les “dysfonctionnements”, “anomalies”, “gâchis”, “infections”, “vieillissement ovarien”, “ménopause précoce” et autres “incompétences du col” quand on n’avance pas en plus des arguments de précarité, d’âge, de conditions de travail qui peuvent être très culpabilisants pour la future maman.
Enfin, notons que cette approche verbale se trouve aussi malheureusement renforcée, en début de grossesse, par des conseils médicaux paradoxaux consistant à suggérer à la potentielle future-maman d’être prudente en ne se projetant pas trop vite, en n’annonçant pas son état avant la fin du premier trimestre, et en demandant, dans le même temps, à celle qu’on va parfois d’ores et déjà appeler “maman”, de s’inscrire d’emblée à la maternité pour l’accouchement et de prendre rendez-vous pour la préparation à la naissance.
Mais alors, qu’en est-il du suivi ? Eh bien, force est de constater que jusqu’à récemment, cette violence psychologique induite par les concepts contemporains de grossesse forcément heureuse ou de vocabulaire minimisant ou cru ne semble pas être suffisamment prise en compte. Si les mentalités évoluent pourtant, çà et là, en fonction surtout des personnes et des moyens, rien n’est institutionnalisé, aucune formation n’est proposée. Actuellement, seules les victimes de fausses couches à répétition peuvent bénéficier de consultations spécialisées en CHU. Il est, en effet, bien rare, selon les régions et les hôpitaux, qu’une femme se voie proposer une prise en charge psychologique hors de ce contexte. Et d’ailleurs, c’est pratiquement toujours à la patiente, en dépit de son état de sidération, de demander cette aide qui n’est pas prévue d’emblée. Encore une charge supplémentaire…
Il est d’autant plus urgent d’agir et d’améliorer le suivi des fausses couches que la souffrance vécue à cette occasion est un sentiment qui reste et peut ressurgir, et pas seulement lors des grossesses suivantes. Pour le docteur François Jacquemard gynécologue-obstétricien du pôle santé de la mère et de l’enfant à l’hôpital Américain, ce chagrin ne doit pas être nié et le travail de deuil qui s’en suit se doit d’être reconnu, sans exclure le père qui vit et traverse également et à sa manière, ce drame silencieux. Ceci est d’autant plus important que, selon des études universitaires, 51 % des femmes ayant subi une fausse couche présentent des signes de dépression.
A-t-on droit à un arrêt de travail en cas de fausse couche ?
Actuellement, rien n’est prévu sur le plan professionnel pour donner à la femme et à son partenaire le temps de traverser l’épreuve et de se reconstruire.
Subir une fausse couche, c’est devoir, là encore, quémander un arrêt de travail qui précarise par le délai de carence. C’est aussi, souvent, subir la double peine quand on n’a pas voulu ou osé annoncer sa grossesse à son employeur et qu’il faut désormais taire la cause de ses souffrances.
Pourtant, en avril 2022, la député députée écologiste indépendante Paula Forteza, qui a elle-même traversé ce drame, a proposé un arrêt de travail de 3 jours en cas d’interruption spontanée de grossesse pour la mère comme pour son partenaire, afin que, comme en Nouvelle-Zélande, soit reconnue “officiellement et symboliquement l’existence de ce moment et du deuil qu’il induit”. Mais, à ce jour, rien n’est encore en place.
📖 Judith Aquien,Trois mois sous silence – Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse,Éditions Payot, mai 2021
De nouvelles perspectives dans la prise en charge des fausses couches : textes de loi et pétitions
Un projet de loi à l’étude
Paula Forteza, dont nous avons parlé un peu plus haut, a donc dévoilé son projet de loi autour de la prise en charge des fausses couches le 30 mars 2022. En voici les 8 axes :
- Droit à l’information ;
- Congé spécial de 3 jours pour les femmes et leur partenaire ;
- Formation des soignants à la prévention des violences gynécologiques et obstétricales ;
- Campagne publique d’information sur la fausse couche ;
- Plateforme d’écoute, d’orientation et d’information ;
- Intégration des sujets relatifs à la grossesse dans les cours d’éducation à la santé sexuelle ;
- Droit au télétravail pour les femmes enceintes ;
- Dépistage préventif et gratuit de l’endométriose.
▶️ Pour lire le détail du projet de loi, cliquez ici
Deux pétitions pour une meilleure prise en charge des fausses couches
Deux pétitions circulent actuellement en ligne pour faire évoluer la situation : la première est proposée par le collectif Fausse Couche Vrai Vécu qui a été cofondé par Judith Aquien. La seconde, adressée directement au ministre de la Santé, est proposée par Sandrine Ballart sous l’intitulé “Fausse Couche-Vrai Deuil”.
Comme vous l’avez compris, ces pétitions ne sont pas trop de deux pour faire bouger les choses ! Et elles méritent d’autant plus d’être signées chacune que leurs projets se superposent : en effet, non seulement toutes deux militent pour que les arrêts naturels de grossesse soient davantage reconnus, mais elles listent des mesures concrètes qui vont plus loin que le texte de loi de Paula Forteza en proposant :
- L’augmentation du budget des hôpitaux, des effectifs et la création de lieux dédiés dans les maternités, pour en finir avec les auscultations à côté des salles de naissance avec les pleurs de bébés en bruit de fond.
- Des formations pour les sage-femmes et gynécologues obstétricien.nes, avec participation de patientes-expertes (comme c’est le cas au Canada depuis 30 ans).
- La mise en place d’un arrêt de travail 100 % rémunéré d’au moins trois jours pour les femmes et leur conjoint.e.
- La possibilité d’un suivi psychologique remboursé pour les femmes et leur conjoint.e afin de les aider à traverser cet événement et à envisager sereinement une future grossesse.
- La mise à disposition d’un livret sur les arrêts naturels de grossesse dans toutes les maternités, PMI et cabinets de généralistes, sage-femmes et gynécologues, à destination des femmes, de leur conjoint.e et de leurs proches. Ce livret comprendra des éléments explicatifs, mais aussi la mention d’associations, groupes de paroles, psychologues spécialisé.es, pouvant leur venir en aide.
- La création d’un numéro gratuit vers une plateforme d’écoute qui informe et oriente vers des dispositifs d’accompagnement et de prise en charge.
Pour signer les pétitions, les partager et faire bouger le suivi et la prise en charge des fausses couches :
⏩Pétition Fausse Couche, Vrai Vécu
⏩Pétition Fausse Couche Vrai Deuil
Si la prise en charge des fausses couches, sur le plan médical, psychologique ou encore professionnel, laisse encore à désirer, il est rassurant de constater que le déni et la minimisation laissent peu à peu place à des témoignages reconnus et partagés. Enfin, des initiatives visant à améliorer le suivi des interruptions spontanées de grossesse voient le jour en France, qu’il s’agisse de projets de loi ou de pétitions. Toutes ces actions s’appuient sur des axes communs : obtenir la reconnaissance de ce deuil réel, proposer des actes concrets pour susciter de sains bouleversements, contribuer à l’évolution des mentalités en réveillant les consciences. En signant à votre tour ces pétitions et en les partageant dans vos réseaux, en évoquant peut-être plus librement, autour de vous, votre expérience personnelle sur le sujet, vous aiderez à délier les langues, à briser les tabous et à faire que les personnes touchées par ces drames intimes soient, dans un avenir proche, mieux prises en compte et mieux accompagnées.
Isabelle Petitjean, pour Celles qui Osent
Sources :
Ouvrages et textes de référence
Judith Aquien, Trois mois sous silence – Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse, Éditions Payot, mai 2021
Paula Forteza, Dossier de presse Proposition de Loi pour une Meilleure Prise en Charge de la Fausse Couche, mars 2022
Articles
Judith Aquien, « Faire une fausse couche en France, c’est se retrouver seule avec sa peine, sans soutien, sans suivi », site slate.fr, 18 mai 2021
Najwa Chaddou, Léa Leyris, « Trois mois sous silence », l’interview sans filtre de Judith Aquien, site parents.fr, 21 septembre 2021
Martine Lochouarn, « La fausse couche concerne une femme sur quatre », site Le Figaro.fr Santé, 12 décembre 2013
Soline Roy, https://sante.lefigaro.fr/article/fausse-couche-le-sourd-chagrin/, août 2018
Natalène Séjourné, Stacey Callahan, et Henri Chabrol, « La fausse couche : une expérience difficile et singulière », Devenir, vol. 21, no. 3, 2009, pp. 143-157.
Podcasts et émissions
CNGOF – Echo des gynécos – La fausse couche, un mal banal – 27 octobre 2019
La Maison des Maternelles – Comment surmonter une fausse couche ? – 5 mars 2018
– Fausses couches : quels progrès ? 13 octobre 2020
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent