Le corps de la femme a toujours déchaîné les passions. On l’a affublé de mille accoutrements au fil des siècles, puis retouché et dénudé à la télévision, sur nos magazines, dans nos quotidiens… Considéré comme une arme de séduction à disposition des femmes, il est souvent prétexte à les juger, à les comparer ou à les réduire à leur apparence. Le mouvement #MeToo a ouvert la parole et le body positivisme pousse à l’acceptation de son image. On pourrait donc penser que l’émancipation des femmes et de leur enveloppe corporelle est actée… Il n’en est rien. En quoi la société actuelle empêche-t-elle cette libération ? Pourquoi ce combat nécessite-t-il la mobilisation de tous ? C’est ce qu’explique Maartje Laterveer, ancienne journaliste de mode, dans sa conférence TEDx sur l’obsession liée au corps féminin.
Être belle et se taire… ou comment leur corps échappe aux femmes
Simone de Beauvoir l’évoquait déjà en 1949, dans son essai Le Deuxième Sexe. Dès la puberté, l’apparition de courbes change la façon dont les autres regardent le corps d’une femme. Ces écrits ont immédiatement parlé à Maartje, pendant ses années de lycée. Elle s’était détachée de son propre reflet, qui lui semblait appartenir aux autres.
Des hommes la reluquaient dans la rue, commentant ses seins ou ses fesses. Son premier collègue de travail l’avait accueillie en lui demandant de rester loin pour ne pas le distraire. Ses deux grands frères la trouvaient « grosse et laide », trop différente des femmes à forte poitrine illustrant les posters de leurs chambres.
Bien sûr, lorsqu’on est soumis à des remarques permanentes sur son apparence, on finit par se juger. Et, s’il y a une prise de conscience concernant le harcèlement de rue, les comportements sexistes vis-à-vis du physique féminin dépassent bien cette sphère.
🚩 Le rapport annuel du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes montre que cette situation est toujours d’actualité :
- 57 % des femmes ont déjà subi des propos sexistes.
- 52 % renoncent à s’habiller comme elles le souhaitent par anticipation des actes sexistes.
- 41 % ont reçu des gestes déplacés ou sifflements de la part d’un homme.
Satisfaire les diktats de la beauté… ou comment l’industrie crée les complexes physiques
Quand on est une femme, questionner sa propre beauté et chercher à l’améliorer nous parait banal. Cette façon de penser nous a été inculquée par le monde qui nous entoure et, en particulier, par les magazines de mode. Plusieurs études le soulignent, comme celle de Turner. Elle constate que les femmes exposées à ce type de revues sont moins satisfaites de leur plastique et plus frustrées par leur poids.
Pour quelle raison les mannequins sont-elles toujours plus minces et plus jeunes ? Dans quel but affiche-t-on tant de fesses dénudées ? Pourquoi interviewer Angelina Jolie se résume-t-il à lui demander ses rituels de beauté ? Ce sont les questions que se posait Maartje lorsqu’elle était journaliste de mode. La réponse de sa rédactrice en chef était claire : « Nous sommes là pour créer un désir ».
Les magazines féminins sont financés par l’industrie de la mode. Pour eux, plus les lectrices seront insécures quant à leur physique, plus elles investiront dans les cosmétiques, vêtements et chirurgies esthétiques vendus par les annonceurs. Les standards de beauté affichés sont donc volontairement inatteignables.
🚩 D’après l’étude Les femmes et leur rapport au corps de l’IFOP :
- 1 femme sur 2 est prête à dépenser plus d’argent pour son ventre.
- 4 sur 10 sont disposées à allouer du budget à leurs seins.
Enchaîner les régimes… ou comment l’idéal féminin pèse sur l’amour-propre
Maartje a déduit, à 18 ans, qu’être une femme signifiait devoir être belle, donc « fine ». Cette pensée n’est pas isolée. Pire encore, la quête de minceur crée une dissonance entre le corps des femmes et la perception qu’elles en ont. C’est aujourd’hui la généralité plus que l’exception, pour la gent féminine, d’être insatisfaite de son anatomie.
🚩 Selon une enquête à l’initiative de l’Ocha :
- Pour 49,1 % des femmes (64,8 % chez les 18-24 ans), « être mince est une obligation pour ne pas être hors norme ».
- 65,4 % des femmes ayant un IMC estimé « correct » aimeraient perdre du poids.
Une chercheuse d’Harvard a étudié l’impact de l’arrivée de la télévision dans les îles Fidji, auprès d’adolescentes. Elle a comparé leur comportement alimentaire initial et 3 ans après. Le nombre de jeunes filles présentant un trouble de l’alimentation ou un fort attrait pour les régimes a plus que doublé sur cette période. 11,3 % d’entre elles se faisaient vomir pour maigrir en 1998 contre 0 % en 1995.
Mais, l’insatisfaction liée à son image ne déclenche pas que des TCA chez la femme. Comme le souligne Maartje, elle entraîne aussi une faible opinion de soi, une anxiété sociale et une qualité de vie réduite.
🚩 L’étude Image corporelle et estime de soi de Dany et Morin conclut que :
- Les adolescentes ont un score d’estime de soi bien inférieur à celui des garçons.
- L’estime de soi est davantage liée à la perception du corps qu’à ce qu’il est réellement.
Devenir un sextoy humain… ou comment faire vibrer les hommes à tout prix
Comme Maartje l’a vécu avec son amour de vacances, beaucoup de femmes cèdent face à l’insistance de leur partenaire alors qu’elles n’ont pas envie d’un rapport sexuel. « Dire non ne semblait pas une option », nous explique la journaliste à propos de sa première fois.
À cette pression sur le consentement, s’ajoute la difficulté à avoir une vie érotique épanouie. Tandis que les femmes sont conditionnées à être les plus sexy possibles, elles sont les plus mal chaussées en ne prenant pas leur pied au lit. Seulement 65 % d’entre elles ont un orgasme durant leurs ébats contre 95 % des hommes.
Selon un sexologue questionné par Maartje, ce qui entrave le plaisir charnel des femmes, c’est l’impression que leur corps est davantage là pour l’autre que pour elles-mêmes.
Les hommes n’aident pas toujours les femmes à apprécier les relations intimes, étant souvent influencés par la pornographie.
🚩 Les chiffres collectés par le Haut Conseil à l’Égalité sont sans appel :
- 33 % des femmes interrogées ont déjà eu un rapport sexuel à contrecœur, suite à l’insistance de leur partenaire.
- 7 % ont subi des étreintes/baisers par un collègue ou un individu qu’elles ne connaissaient pas.
- Seulement 48 % des hommes entre 15 et 34 ans considèrent que l’image des femmes véhiculée par les contenus pornographiques est problématique.
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S’émanciper… ou pourquoi libérer le corps de la femme nous concerne tous
Maartje rappelle qu’on ne peut pas être libre si notre corps ne nous appartient pas. Celui des femmes est bien plus contrôlé que celui des messieurs. Par exemple, on n’attend pas d’eux qu’ils conservent à vie l’apparence de leurs 17 ans.
Pour elle, restaurer l’égalité est essentiel et dépend de chacun. Malheureusement, comme l’explique le rapport du Haut Conseil, certains hommes rejettent la question du sexisme et ne se sentent pas concernés :
- 33 % des hommes interrogés trouvent que le féminisme menace leur place et leur rôle dans la société.
- 16 % pensent qu’une femme agressée sexuellement peut en partie être responsable.
Chaque jour, nous sommes exposés à une image biaisée et retouchée de la femme dans les médias, sur les panneaux publicitaires ou en ligne. Elle est mise en scène de façon sexiste à travers différents canaux.
« Les normes sont ce que nous en faisons. » Maartje Laterveer
Pour Maartje, les entreprises et les médias doivent cesser d’utiliser le corps de la femme comme un objet. Les gouvernements sont responsables de l’encadrement des publicités et d’une meilleure éducation sexuelle. Ils doivent agir contre les contenus néfastes des réseaux sociaux qui laissent penser aux jeunes filles qu’être une femme signifie paraître mince et danser en sous-vêtements toute la journée.
🚩 Le rapport annuel du Haut Conseil rejoint cette idée :
- Seulement 27 % des interrogés considèrent que les pouvoirs publics font tout ce qu’il faut pour lutter contre le sexisme.
- 6 % ont confiance en l’école pour informer et contrer les actes et violences sexistes.
- 82 % désirent que la prévention et la lutte contre le sexisme deviennent des priorités pour l’État.
Si la conférence de Maartje nous interpelle, le Haut Conseil à l’Égalité souhaite changer les mentalités. Il incite les pouvoirs publics à sensibiliser contre le sexisme et à garantir les enseignements de sexualité prévus par la loi. Il appelle aussi à éliminer les stéréotypes misogynes de l’univers médiatique. Il s’agirait de faire entrer, dans le champ de la régulation numérique, l’image et le traitement des femmes véhiculés en ligne. Le milieu professionnel est également visé. La démocratisation des formations de lutte contre le sexisme et une obligation de résultats pour les dispositifs contre le harcèlement sexuel font partie des propositions. Le gouvernement reste libre d’appliquer ou non ces recommandations.
Après avoir lu cet article, et quel que soit votre genre, aurez-vous le cran de remettre en question votre approche du corps de la femme ?
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Tiffany TAREA, pour Celles qui Osent
🔖 Sources :
Conférence TEDxAmsterdamWomen. We need to talk about the obsession with the female body – Maartje Laterveer
Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France
National Library of Medicine. The influence of fashion magazines on the body image satisfaction of college women : an exploratory analysis – Turner, Hamilton, Jacobs, Angood, Dwyer
IFOP. Les femmes et leur rapport au corps
Ocha/CSA. Le mincir, le grossir, le rester mince – Masson
Bulletin de psychologie. Image corporelle et estime de soi : étude auprès de lycéens français – Dany, Morin
Cambridge University Press. Eating behaviours and attitudes following prolonged exposure to television among ethnic Fijian adolescent girls – Becker, Burwell, Herzog, Hamburg, Gilman
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1 Comment
Merci pour cet article éclairant qui met en avant un sujet si crucial. Les témoignages poignants et les statistiques alarmantes nous rappellent l’urgence de réagir et de changer notre regard sur le corps féminin. Bravo pour ce travail de sensibilisation, continuons de nous éduquer et de lutter contre ces stéréotypes qui n’ont plus leur place aujourd’hui.