Philosophe américaine et professeure à l’université Berkeley, Judith Butler a révolutionné les études du genre et la philosophie féministe. Ses travaux portent essentiellement sur la notion de genre, la sexualité, et ont grandement influencé les combats pour les droits des femmes et des personnes LGBTQ+. En 1990, elle publie son ouvrage majeur : Trouble dans le genre, dans lequel elle affirme qu’être féministe, c’est contester les fondements de la catégorie « femme » qui nous enferme et nous impose des normes oppressantes. Pour elle, nos identités sont dictées par des normes et il est important de déconstruire les catégories binaires du masculin et du féminin…
Judith Butler s’intéresse à la construction sociale du genre
Judith Butler naît en 1956 dans l’Ohio, au sein d’une famille juive pratiquante, qui lui donne une importante éducation religieuse. En 1984, elle obtient sa thèse à l’université de Yale, portant sur la philosophie d’Hegel dans la France du 20e siècle, et commence à enseigner dans plusieurs universités américaines.
Pour comprendre la pensée de Judith Butler, il est important d’avoir en tête les travaux d’autres penseurs et penseuses qui ont également contribué à construire une théorie du genre. Elle travaille sur la construction sociale du genre, dans la lignée de philosophes comme Simone de Beauvoir et du fameux « On ne naît pas femme, on le devient ». Pour elle, le genre est « performatif » : il se réfère à un discours précis, qu’il tente d’imiter et de reproduire. En clair, la féminité et la masculinité opèrent comme des masques que l’on revêt, des caractéristiques artificielles que l’on cherche à performer. Le féminin et le masculin ne sont pas des catégories transcendantes qui nous sont imposées, qui font partie de notre nature et dont on ne peut s’émanciper. Cette théorie du genre comme performance a également alimenté la pensée queer. Le meilleur exemple est peut-être La pensée straight, publié en 1992 par la Française Monique Wittig, qui écrit « Les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Autrement dit, les femmes lesbiennes, en raison de leur orientation sexuelle, échappent à une performance de la féminité qui leur est imposée par le patriarcat et l’ordre hétérosexuel.
Trouble dans le genre : refuser les catégories de sexe et de genre
Trouble dans le genre est le premier ouvrage de Judith Butler. Elle le publie à 34 ans, 6 ans après sa thèse, alors qu’elle n’a écrit que deux articles sur Simone de Beauvoir diffusés dans la presse universitaire. Le trouble évoqué dans le titre aurait, en réalité, pu s’écrire au pluriel, en ce qu’il est multiple. Le livre de la philosophe agit lui-même comme une petite révolution sur le genre comme catégorie binaire et figé. Aussi, au début des années 1990, le féminisme est sujet de disputes philosophiques et sociologiques. Il y a par exemple le débat entre les « prosexes », qui refusent de condamner le porno ou la prostitution, et les féministes de la « domination » qui voient la sexualité comme lieu d’assujettissement des femmes. La démarche de Judith Butler dans Trouble dans le genre est profondément féministe. Pour elle, il s’agit de dire : être féministe, c’est contester les fondements de la catégorie « femme », cette catégorie qui nous enferme et nous impose des normes oppressantes.
Dans Trouble dans le genre, Butler cherche à « démontrer que les catégories fondamentales de sexe, de genre et de désir sont les effets d’une certaine formation du pouvoir. »
Trouble dans le genre a été traduit tardivement en France, en 2005, près de 15 ans après sa publication aux États-Unis. Judith Butler n’a jamais suscité d’enthousiasme dans l’hexagone, en partie parce que le corps et la sexualité n’ont fait que très tardivement l’objet de recherches universitaires, malgré les débats autour de l’avortement ou de la contraception. Selon le sociologue Éric Fassin, il a fallu attendre l’apparition de la question autour du mariage pour tous et sur l’homoparentalité dans le débat public pour que les travaux de Butler parviennent à se faire une place en France.
Nos identités sont dictées par des normes
Judith Butler s’est aussi largement inspirée de la « french theory », à savoir les travaux de Lacan, Derrida, et Foucault. Par exemple, dans son Histoire de la sexualité, Michel Foucault explique que le XIXe siècle a produit, et à la fois réprimé la sexualité – par exemple : enfermement des femmes jugées sexuellement déviantes dans des asiles psychiatriques, mais multiplication des maisons closes et des représentations culturelles de la figure de la prostituée. De la même manière, Judith Butler pense que c’est la loi qui interdit les unions homosexuelles qui les incite, et que pour se maintenir, l’hétérosexualité a besoin de l’homosexualité. En bref : l’interdit éveille le désir.
Aussi, Judith Butler s’attarde à déconstruire les catégories binaires du masculin et du féminin, qui ne conviennent pas à la description des corps intersexes ou transgenres par exemple. Tout comme le genre, le sexe biologique est aussi une construction issue du discours hétéronormatif. Pour elle, comme pour Michel Foucault, le sexe biologique a aussi été modelé par des discours médicaux et psychologiques. En résumé : ce sont le langage et le discours qui « font » le genre. Butler prend notamment l’exemple de la drag queen pour illustrer sa pensée : les drag queens performent le travestissement. C’est donc une action transgressive, qui floue les frontières entre sexe et genre, et met au jour le caractère artificiel de telles catégories.
Si l’œuvre et la pensée de Judith Butler vous intéressent, n’hésitez pas à écouter ce podcast produit par France Culture qui lui est dédié : Avoir raison avec Judith Butler.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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