Elle occupe les débats depuis plusieurs années. L’écriture inclusive, à savoir un ensemble de moyens linguistiques visant à assurer une égalité de genre au sein de la langue française, a même fait son chemin jusqu’au Sénat, qui a rédigé une proposition de loi dont le but de l’interdire. Emmanuel Macron lui-même, lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, a appelé à « ne pas céder à l’air du temps ».
L’air du temps, ce peut être de refuser que l’on répète plusieurs fois par jour aux enfants français, à l’école primaire, que « le masculin l’emporte sur le féminin ».
Celles qui Osent vous propose une petite histoire de l’écriture inclusive, pour tenter de comprendre pourquoi cette dernière déchaîne les passions.
Mais au fait, c’est quoi l’écriture inclusive?
Tout d’abord, il est important de rappeler que l’écriture inclusive ne désigne pas uniquement, comme on peut le croire, à tort, des mots coupés d’un point médian. En 2015, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes publiait un rapport incitant les pouvoirs publics à adopter une communication « sans stéréotypes de sexe ». On y trouve par exemple des recommandations telles que « éliminer toutes expressions telles que chef de famille, mademoiselle, nom de jeune fille, nom patronymique, bon père de famille, nom d’épouse et d’époux » parce que ces expressions sont « bannies du droit français » et « renvoient les femmes et les hommes à des rôles sociaux traditionnels ». L’agence de communication Mots clés a elle aussi confectionné un manuel de l’écriture inclusive dans lequel elle explique que l’écriture inclusive repose sur trois principes :
- Accorder les fonctions, les métiers, mais aussi les titres et grades en fonction du genre. On écrira ainsi une « pompière », « une maire », « une autrice ».
- Au pluriel, le masculin ne l’emporte plus sur le féminin. Il faut inclure les deux sexes grâce au point milieu. On écrira donc « les électeur·rice·s », « les citoyen·ne·s ».
- Ne plus employer les mots « homme » et « femme » mais utiliser des termes beaucoup plus universels comme « les droits humains » (à la place des « droits de l’homme »).
En réalité, il existe plusieurs pratiques possibles pour adopter l’écriture inclusive, comme l’emploi de formules englobantes, de mots épicènes (parler « d’élèves de lycée » plutôt que de « lycéens ») ou de doublets (« Français, Françaises ») ou encore, l’emploi de points médians ou bien de parenthèses. La féminisation, notamment des noms de métier, est aussi largement encouragée, ainsi que la neutralisation.
Féminiser la langue : un combat débuté dans les années 1980
En 1984, sous l’impulsion des mouvements féministes est créée une commission de féminisation des noms de métier et de fonction. Cette dernière est présidée par Benoite Groult, et aboutira à la circulaire du 11 mars 1986, selon laquelle la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades doit être imposée dans tous les documents administratifs. Pourtant, cette dernière n’est pas appliquée, et subit la colère de l’Académie française. Il faudra attendre trois autres circulaires, en 1988, 2002 et 2017 pour que l’écriture inclusive ne suscite plus la polémique, du moins concernant les documents administratifs.
Au cœur de ce débat, qui dure depuis les années 1980 se trouve l’Académie française, gardienne de la langue, de ses usages, et de ses évolutions. Les académiciens défendent le masculin générique, qu’ils voient comme un successeur du neutre existant dans l’ancien français. D’ailleurs, on peut lire en 1651, dans les archives de l’institution, que : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif ». Or, comme l’explique Eliane Viennot, professeure de littérature et autrice de Le langage inclusif :
« C’était un acte délibéré. Jusqu’au 17e siècle, les mots féminisés existaient et étaient toujours utilisés à côté de la forme masculine. C’était une pratique courante au Moyen Âge : on disait auteurs et autrices, médecins et médecines, professeurs et professoresses. Mais ce petit groupe d’hommes a décidé que le masculin devait l’emporter dans les noms de métier, dans les accords grammaticaux alors que l’emploi de l’accord de proximité était la règle jusqu’alors. C’est l’Académie française qui a rendu notre langue sexiste. »
Selon Isabelle Meurville, traductrice et linguiste, spécialiste de l’écriture inclusive, il aura fallu attendre 2019 pour que l’Académie française reconnaisse la féminisation des noms de métiers
L’écriture inclusive dans le viseur du Sénat
À la fin du mois d’octobre, l’écriture inclusive a quitté l’enceinte de l’Académie française pour le Sénat, dont les élus ont proposé une loi visant à l’interdire dans un large panel de documents. Le texte, adopté à 221 voix contre 82, vise à « protéger » les Français contre les « dérives » de l’écriture inclusive, et prévoit d’interdire l’écriture inclusive dans « tous les cas où le législateur exige un document français » comme un mode d’emploi, un contrat de travail, ou encore un règlement intérieur d’entreprise. Pour devenir une loi effective, le texte proposé par la droite sénatoriale doit être voté par l’Assemblée. Selon Cédric Vial, le rapporteur du texte, l’écriture inclusive est une « contrainte supplémentaire » qui exclut « les personnes en situation de handicap et d’illettrisme ».
Pourtant, en 2021, dans un article publié par Libération, trois chercheurs en sociologie et sciences politiques ont dénoncé l’absence de fondements scientifiques quant aux accusations de la droite sur les potentiels dangers de l’écriture inclusive liées à l’apprentissage de la langue. Selon les chercheurs :
« Plutôt qu’un obstacle dans l’apprentissage et la maîtrise de la langue, l’écriture et le langage inclusifs constituent des outils pour son analyse et son appropriation. La juxtaposition du féminin et du masculin fournit aux élèves des repères orthographiques et grammaticaux parfois masqués par les règles scolaires habituelles : elle amène à distinguer le radical d’un mot de son suffixe et favorise l’identification des familles de mots ; elle facilite le repérage des régularités orthographiques des terminaisons des noms masculins et féminins (directeur-directrice, caissier-caissière, voyageur-voyageuse…) que les manuels présentent souvent à tort comme variables et imprévisibles ; elle aide à orthographier la fin des noms masculins comprenant une «lettre muette» lorsque celle-ci est oralisée dans les noms féminins (candidat-candidate), etc. «
Claire Doquet, linguiste à l’université de Bordeaux, a expliqué, dans une interview accordée à France 24, que la loi était un « leurre » qui ne pourra pas « empêcher les individus de continuer à utiliser l’écriture inclusive dans leur vie privée ».
Celles qui Osent
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