Le test de Bechdel, ou comment reconnaître les films sexistes

S’il a été d’abord pensé comme outil humoristique par une autrice de bande-dessinée, le test de Bechdel est désormais un incontournable qui permet d’évaluer la place occupée par les femmes dans les films de fiction. « Est-il possible de voir un film où deux femmes parlent d’autre chose que d’hommes ? », s’est interrogée Alison Bechdel dans sa bande-dessinée « Lesbiennes à suivre », parue en 1985.  Le processus est simple :

  • Ce film contient-il au moins deux personnages féminins, identifiables à leurs noms et prénoms ?
  • Ces deux femmes se parlent-elles ?
  • Si oui, se parlent-elles d’autre chose que d’un homme ?

Celles qui Osent revient sur l’histoire du test de Bechdel et sur la représentation des femmes sur le grand écran.

Alison Bechdel, autrice de bandes-dessinées féministes

Il est impossible de dissocier le test de Bechdel de sa créatrice Alison Bechdel, immense nom de la bande-dessinée LGBTQ. Elle naît en 1960, en Pennsylvanie (Etats-Unis). Petite, Alison Bechdel ne décide de ne dessiner que des hommes, gênée par les représentations stéréotypées et l’hypersexualisation des personnages féminins. Elle fait son coming out lors de sa première année d’université à New York, où elle est partie étudier les arts plastiques. Diplômée, Alison Bechdel travaille dans l’édition et continue de dessiner. En 1983, elle commence une série intitulée « Dykes to watch out for » (« Lesbiennes à suivre ») sur le lesbianisme comme engagement féministe. Le succès est immédiat, et Alison Bechdel continue à travailler sur les planches de cette même série jusqu’à la fin des années 2000.

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Portrait de la communauté lesbienne américaine, la BD effectue un vaste panorama de cette dernière et s’est largement imposée au sein de la littérature LGBTQ. Plusieurs féminités et  identités sociales sont décrites grâce à une foule de personnages féminins : il y a Mo, une jeune femme blanche de la classe moyenne, Jezanna, afro-américaine militante, Sydney, professeure d’université… « Le but secret, et subversif, de mon travail, c’est de montrer que les femmes de manière générale, pas que les lesbiennes, sont des êtres humains normaux comme les autres. (…) Je veux que les hommes lisent mes BD et s’identifient à Mo (l’héroïne lesbienne du livre), de la même manière que des femmes ou des personnes de couleur doivent faire un effort et oublier leur identité afin de regarder des films de Woody Allen ou lire Garfield », déclarait-elle en 2000 au quotidien anglais The Guardian.

Fictions au cinéma : où sont les femmes ?

Dans une planche des « Lesbiennes à suivre » dessinée en 1985, un personnage féminin propose à une amie d’aller au cinéma, ce à quoi cette dernière lui répond qu’elle ne va voir que les films qui répondent aux trois critères cités plus haut, à savoir : existent-ils au moins deux personnages féminins dont le nom complet est cité, parlent-elles entre elles et si oui, d’autre chose que d’un homme ? Ne trouvant aucun film qui corresponde à ces trois points, les deux amies décident finalement d’abandonner leur sortie ciné pour aller manger du pop corn. Face au succès de son « test », Alison Bechdel a expliqué que l’idée venait de l’une de ses amies, Liz Wallace, qui avait elle-même été inspirée par « Une chambre à soi » de Virginia Woolf, un essai dans lequel l’autrice peine à trouver des livres qui parlent d’amitié féminine.

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Un site internet participatif « Bechdel test movie list » a même été créé et passe aux cribles plusieurs dizaines de films américains chaque année. Dans un article daté de 2016, Les Inrocks ont détecté plus de 4000 films analysés par les internautes. Et 40% d’entre eux… ne passent pas le test. Selon une étude citée par l’article, le genre du scénariste y est pour beaucoup : seulement 6% des films écrits uniquement par des femmes échouent au test.

Comme tout outil de ce genre, le test Bechdel a des limites. Certains films aux représentations sexistes et stéréotypées parviennent à passer le test. Il existe d’autres variantes, comme par exemple le test de la lampe sexy, qui propose de remplacer le personnage féminin par une lampe et de voir si l’histoire se retrouve modifiée. Ce test est notamment appliqué sur les James Bond. Le test Vito de Russo cherche, lui, à analyser la représentation des personnes LGBTQ.

Du « male gaze » au « female gaze »

La démarche d’Alison Bechdel est indéniablement liée au « male gaze », un concept théorisé par la réalisatrice britannique et féministe Laura Mulvey, qui désigne la manière dont le regard masculin s’approprie les personnages féminins, façonnés selon leur désir et stéréotypes sexistes sur les femmes. Ce « male gaze » est partout : au cinéma, dans les livres, dans les peintures… Il soumet chacune de nos représentations culturelles. Alors pour y remédier, Iris Brey, chercheuse et scénariste interviewée dans notre podcast, a créé le « female gaze », dans le but de faire du personnage féminin un sujet à part entière et non un objet apropriable. Elle établit plusieurs questions à se poser pour mettre en place ce concept au cinéma :

  • Est-ce que le personnage principal s’identifie en tant que femme ?
  • Est-ce que l’histoire est racontée du point de vue du personnage principal féminin ?
  • Est-ce que l’histoire remet en question l’ordre patriarcal ?
  • Est-ce que la mise en scène permet au spectateur ou à la spectatrice de ressentir l’expérience féminine ?
  • Si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est conscientisé ?
  • Est-ce que le plaisir des spectateurs est produit par autre chose qu’une pulsion scopique ? (La pulsion scopique désigne le plaisir de posséder l’autre par le regard.)

Cet article vous a plu ? Vous pouvez lire sur le site de Celles qui Osent notre article sur le male gaze.

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