Ruth Bader Ginsburg | Pourquoi suscite-t-elle tant de passion ?
Le décès de Ruth Bader Ginsburg, le 18 septembre dernier, n’a pu vous échapper tant il a été médiatisé. Cette juge américaine, féministe et progressiste, a changé la vie de beaucoup de femmes en combattant les injustices et les discriminations. Idole pour les uns et sorcière pour les autres, elle ne laisse personne indifférent et suscite beaucoup de passion outre-Atlantique. Voici de quoi mieux connaître le remarquable chemin de cette fille d’immigrés juifs devenue l’une des deux seules femmes à avoir siégé à la Haute Cour Suprême des États-Unis. Récit.
Qui était la juge Ruth Bader Ginsburg ?
Ruth Bader Ginsburg était une femme d’exception, qui du haut de son 1,52 m, s’est toujours battue pour défendre ses convictions jusqu’à son décès à 87 ans.
Un parcours placé sous le signe de la discrimination
Ruth est née à Brooklyn (New York) en 1933, d’une famille juive conservatrice d’immigrés russes. Ses parents n’ayant pas eu les moyens de poursuivre des études, ils l’ont toujours encouragée à travailler dur pour atteindre ce en quoi elle croyait et aussi incitée à s’intéresser aux autres.
Élève brillante, soutenue par sa mère qui la pousse à être femme et indépendante, Ruth sort diplômée en administration publique de la célèbre université de Cornell, en 1954. Elle y rencontre son mari, Martin Ginsburg (« le seul pour qui mon cerveau comptait », raconte-t-elle), et donne naissance à son premier enfant, Jane.
Voulant devenir avocate, Ruth doit alors se battre pour intégrer, en 1955, la première promotion mixte de Harvard (9 femmes et 500 hommes !) : le recteur de l’université la questionne d’ailleurs sur son choix d’avoir brigué une place destinée à un homme compétent !
Son époux, également étudiant, tombe gravement malade. Ruth prend donc en charge ses cours et les siens, les retranscrit le soir pour son mari après s’être occupée de leur bébé et travaille sur ses recherches de cas pour le lendemain. C’est certainement ainsi qu’elle a bâti son immense volonté de se dépasser.
Martin se rétablit, est diplômé puis intègre un prestigieux cabinet d’avocats new-yorkais, impliquant que Ruth quitte Harvard pour l’université de Columbia, dont elle sort major en 1959.
À cette période rôdaient toujours les relents de la Peur Rouge qui poussait la majorité des Américains à la haine des communistes. Des juristes sont toutefois intervenus pour les défendre, en plaidant l’existence de la liberté d’expression dans le pays. Cela interpelle la future juge qui comprend ainsi qu’agir pour aider la société semble possible.
Le monde des affaires d’alors étant essentiellement masculin, aucun ne veut l’embaucher à la fin de ses études. Mais rien ne fera reculer cette femme à la volonté hors du commun.
« J’avais trois choses contre moi : être femme, juive et mère »
Ruth Bader Ginsburg
Une combattante d’exception
Ne pouvant exercer au sein d’un cabinet d’avocats, Ruth entre comme enseignante dans une école de droit de Rutgers (banlieue de New York). Très peu rémunérée parce qu’elle était mariée à un homme avec une bonne situation, elle se promet de réussir à abolir les différences salariales.
Plus que jamais décidée à lutter contre les inégalités, elle fonde « The Women Right Project », une revue juridique consacrée aux droits des femmes et devient l’avocate de l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union ou ACLU).
Elle entre dans le combat et plaide, pour l’ACLU devant la Cour Suprême, 6 dossiers sur la discrimination, avec l’espoir qu’ils fassent jurisprudence. Sa réputation de juriste investie, pugnace et spécialisée dans l’équité des droits commence alors à se bâtir.
Les premières victoires de Ruth Bader Ginsburg
Ruth va gagner cinq des six affaires soumises à la Cour Suprême, dont celle d’un veuf à qui on refusait une allocation pour élever son enfant sous prétexte que la loi la réservait aux femmes. Choix très judicieux pour une féministe d’avoir également défendu la cause d’un homme, montrant ainsi l’étendue des discriminations qui touchent tous les citoyens.
Le Président Jimmy Carter la nommera en 1980, juge à la cour d’appel des États-Unis. En 1993, le Président Bill Clinton couronnera sa carrière en la promouvant à la Cour Suprême, la plus haute autorité judiciaire du pays qui valide les lois et décrets au regard de la Constitution américaine. Elle sera la deuxième femme après Sandra Day O’Connor, à détenir un siège dans cette institution composée de 9 juges, républicains (conservateurs) et démocrates (progressistes).
Ruth y demeurera jusqu’à son décès.
« Aussi longtemps que je pourrai faire le boulot à fond, je resterai ».
Ruth Bader Ginsburg
Pourquoi un tel engouement autour de Ruth Bader Ginsburg ?
La juge utilisait souvent la citation de la célèbre féministe Sarah Grimké (1792-1873) :
« Je ne réclame aucune faveur pour les femmes, tout ce que je demande à nos frères, c’est qu’ils retirent leur pied de notre nuque ».
Elle en a fait son principe de vie : ne pas exclure les femmes parce qu’elles sont des femmes.
Une féministe dévouée à l’amélioration de la vie des femmes
Il existait alors au niveau fédéral et des États, des milliers de lois qui encourageaient la discrimination de genre :
- une femme peut être renvoyée en cas de grossesse ;
- si elle souhaite faire un emprunt, la banque peut exiger la signature de son mari ;
- le viol conjugal n’est généralement pas puni ;
- etc.
Les femmes qui ne voulaient plus subir le système ont commencé à se révolter dans les années 1960, organisant des manifestations et créant différents corpuscules (National Organisation of Women, Women’s liberation groups…). Ruth les a soutenus en mettant à leur profit ses immenses compétences juridiques avec toujours la même motivation à rendre la société américaine plus égalitaire.
Elle va notamment défendre une jeune femme qui avait réussi avec beaucoup de mal à intégrer l’American Air Force (armée de l’air américaine). Le sujet ? Un refus, à cause de son genre, d’une allocation logement dont bénéficiaient ses collègues. Déboutée aux Cours d’Appel et de Justice, Ruth va gagner son procès devant la Cour Suprême. Elle explique dans sa plaidoirie comment depuis toujours, les femmes sont considérées comme inférieures aux hommes et maintenues telles des personnes de seconde zone. Elle intercède face à des juges masculins et désire qu’ils se projettent sur l’avenir de leurs filles et petites-filles. Son objectif : obtenir que la discrimination par le sexe soit traitée de la même façon que celle par la race. Nous sommes alors en 1973.
Ruth va s’illustrer également dans un procès gagné contre l’État de Virginie où elle obtiendra la mixité dans une fameuse école militaire.
Cette guerrière est aussi à l’origine de la loi signée en 2003 sous la présidence d’Obama, pour la parité salariale. Elle n’aura de cesse de se battre pour que les femmes puissent disposer librement de leur corps, et que le mariage homosexuel soit statué.
Une icône pop à plus de 80 ans
En 2013, Ruth Bader Ginsburg va s’opposer à un décret de la Cour Suprême qui veut supprimer une partie de la loi autorisant les minorités ethniques à voter. Cette action la révèle auprès des milléniaux (elle a alors 80 ans). Il la baptise « Notorious RBG » sur Facebook (en référence au rappeur Notorious Big) ; chacune des opinions dissidentes qu’elle produit face à la décision majoritaire, suscite toujours un véritable engouement sur les réseaux sociaux.
Son image de super héroïne fait du bruit sur internet et se décline sur différents objets : mugs, t-shirts, drapeaux… Elle est d’ailleurs souvent symbolisée avec la couronne du célèbre rappeur sur la tête. Son amour des faux cols dont elle pare ses tenues de cour contribue également à son look décalé. RBG sera même caricaturée lors de sketches de la fameuse émission Saturday Night Live.
Derrière toutes les représentations qu’ils en font, les jeunes apprécient cette frêle octogénaire hors normes et lui vouent un profond respect. Elle est adulée : You can’t spell TRUTH without RUTH » (on ne peut pas épeler la vérité [TRUTH] sans RUTH)
Toutes ces marques d’affection que la pétillante juge accepte avec beaucoup d’humour, l’un de ses principaux traits de caractère.
Quelles conséquences aura la disparition de cette icône féministe et progressiste ?
« Chaque femme, chaque fille, chaque famille en Amérique a bénéficié de son intelligence éclatante », a déclaré la chef des démocrates au Congrès Nancy Pelosi, en apprenant son décès.
Une opposition affichée du pouvoir en place
Étant l’un des 9 juges de la Cour Suprême, RBG se situe donc au sommet du système judiciaire des États-Unis. Étant plutôt modérée à sa nomination, elle devenue peu à peu une icône de la gauche américaine. Et particulièrement depuis que cinq des juges ont été installés par des présidents républicains, comme Donald Trump avec Brett Kavanaugh (accusé d’agression sexuelle).
Considérée comme un rempart contre le président en place, Ruth va outrepasser son obligation de neutralité lors d’une interview où elle dit ne pouvoir imaginer son pays avec à sa tête un homme incompétent comme Trump. Elle s’en est ensuite excusée, mais a ravivé l’engouement, alimentant aussi le jeu de ses opposants qui voient en elle un être malveillant.
Son poste doit être pourvu avant les élections
Les juges de la Cour Suprême sont élus à vie. Le Président soumet leur mandature, espérant ainsi assurer de la continuité de sa politique, mais le sénat détient la décision finale par 50 votes en faveur du candidat.
Les arrêtés de cette Cour sont d’une importance fondamentale sur la vie des citoyens américains. La Cour Suprême agit en dernier recours pour ou contre un décret pris au sein d’un des cinquante États ou par l’État fédéral. Toutes les décisions sont rendues sans l’opportunité d’y faire appel. Elle statue également sur les litiges électoraux.
Qui va alors remplacer Ruth Bader Ginsburg à son poste ? Le Président Trump qui s’est engagé à promouvoir une femme (« très talentueuse ») souhaite que le choix soit fait avant les élections du 3 novembre, contrairement aux démocrates qui espèrent ainsi remporter la présidentielle.
Quelles conséquences ?
Deux candidates semblent en lice dans la présélection du chef de l’état : Amy Coney Barrett, une mère de sept enfants, fervente catholique traditionaliste et anti avortement, et Barbara Lagoa, originaire de Floride, qui suscite l’admiration des républicains de cet état clé pour la réélection de D. Trump. Elle y a notamment fait passer dernièrement un décret réduisant le droit de vote aux anciens détenus, en Floride.
Le remplacement de RBG est donc un événement crucial pour la campagne présidentielle et aura un impact pour les décennies à venir sur les États-Unis.
Le 26 septembre 2020, Amy Coney Barret a été nommée par Donald Trump pour succéder à RBG.
Ruth Bader Ginsburg, une personnalité hors du commun qui aura joué un rôle clé dans le droit des femmes aux États-Unis, en s’attaquant aux discriminations sexistes. Combattante, aussi pour elle-même quand elle a affronté deux cancers, l’un au côlon en 1999 et l’autre au pancréas en 2009, traités sans jamais s’arrêter de travailler,
Un long chemin, parfois très difficile, mais immensément riche et exemplaire pour cette juge d’exception, qui restera un pilier de l’histoire américaine.
Un biopic RBG lui a été consacré, n’hésitez pas à le visionner pour découvrir combien la conviction et la volonté peuvent bouleverser des générations entières !
« Pendant longtemps les femmes sont restées silencieuses pensant qu’il n’y avait rien à faire », déclarait Ruth Bader Ginsburg
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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