Bonjour Alexandrine Maurice,
Tout d’abord, merci de bien vouloir prendre de ton énergie pour répondre aux questions de Celles qui Osent.
Notre webzine souhaite donner la parole à toutes les femmes.
Tu m’as expliqué très sincèrement que tu allais t’essouffler si nous réalisions l’interview par téléphone et que le bruit de ton respirateur pourrait altérer notre échange. Cette interview se fait donc par écrit.
Nous sommes ravies d’en apprendre davantage sur toi.
Tu es une jolie jeune femme, avec une trachéotomie reliée à un respirateur, un fauteuil roulant électrique avec têtière : tu es atteinte d’amyotrophie spinale. Peux-tu nous en dire plus sur cette maladie ? Quelles contraintes engendrent-elles au quotidien ?
L’amyotrophie spinale est une maladie génétique. Mes parents possèdent tous les deux un gène qui ne fonctionne pas correctement. Pour eux, cela ne change rien, mais pour leurs enfants, il y a de grandes chances qu’ils héritent d’un gène complètement défaillant. Il existe différents stades de cette pathologie : les symptômes sont plus ou moins graves.
Dans mon cas, je cumule à la fois des problèmes musculaires et respiratoires, le premier provoquant le deuxième. Mes poumons sont fainéants, puisque je n’ai presque aucune force musculaire. Je possède donc une trachéotomie, afin de m’aider à respirer à moindre effort (même si, dans mon cas, j’ai de la « chance », car je suis tout à fait capable de respirer sans).
Il m’est impossible de marcher, ni de me mouvoir de manière générale, un petit peu les doigts, suffisamment pour me servir de mon ordinateur.
Est-ce douloureux ?
Oui et non. Il n’y a pas de douleurs caractéristiques de la pathologie, mais plutôt des conséquences à celle-ci : les crampes, les douleurs articulaires, pulmonaires, etc.
Quel parcours scolaire as-tu fait ? Tu dis très joliment que tu as fait « l’école de la vie » sur ton compte LinkedIn. La vie ne semble pas t’avoir épargné, mais as-tu pu malgré ta maladie, faire les études que tu souhaitais ?
Malheureusement non, je n’ai pas pu faire les études que j’aurais souhaitées. Même si l’on communique sur l’inclusion des personnes en situation de handicap en milieu scolaire, ce n’est pas tout à fait la réalité. Cela l’était encore moins à mon époque. (je suis née le 9 octobre 1990). J’étais une bonne élève, mais une grande majorité de mes enseignants ne se préoccupait pas de moi. Ils étaient « gênés » par mon fauteuil, car sa seule présence était un « problème » pour eux. J’ai été harcelée par mes camarades de classe de la primaire jusqu’au lycée. Je n’ai même pas terminé ma seconde… Certains me disaient que je n’avais qu’à suivre des cours à domicile. Je ne suis pas d’accord. Je ne devais pas me cacher chez moi, alors que j’étais parfaitement capable d’avoir une scolarité comme tout le monde. Après toutes ces années de persécution, de rejet, à m’accrocher de toutes mes forces pour y arriver, j’ai préféré tout stopper. Aujourd’hui, avec du recul, je réalise que cela m’a énormément pénalisé. D’un point de vue psychologique, c’était la meilleure chose à faire. J’étais vraiment à bout. J’avais perdu confiance en moi et plus l’envie de me battre. Je n’encourage personne à arrêter ses études si jeunes d’ailleurs. Je crois qu’il faut toujours persévérer et donner le meilleur de soi-même.
Rapidement, j’ai eu besoin de m’exprimer dans des activités artistiques.
Tu as été mannequin pour Takafumi Tsuruta de la marque Tenbo au Japon en 2015. Suite à la catastrophe de Fukushima, ce designer japonais souhaitait à travers l’univers de la mode promouvoir la diversité au quotidien entre personnes valides ou non. Tu l’as contacté par le biais de Facebook et il a accepté de te faire défiler pour la Tokyo Collection. Ton objectif est de faire passer un message de tolérance et plus de diversité dans les médias. Que retiendras-tu de cette expérience sur le podium ? Aimes-tu ton image corporelle ?
Penses-tu que le monde de la mode est prêt à élargir ses codes aux femmes « différentes » de leurs normes de défilés ?
Je me permets une précision : lorsque j’ai contacté Takafumi Tsuruta, ce n’était en aucun cas pour être mannequin. Je souhaitais simplement lui apporter mon soutien, car je trouvais que ce qu’il faisait était formidable. Ce n’est qu’après plusieurs échanges qu’il m’a proposé de faire cet essai.
Les choses avancent lentement dans l’intégration des « physiques différentes ». Certaines marques comme Diesel commencent à recruter des mannequins en situation de handicap par exemple.
Je pense que tout le monde a le droit de réaliser ses rêves, et d’être représenté. C’est ainsi que la société acceptera plus facilement les diversités qui la composent.
J’ai défilé lors de la Tokyo Collection 2015 pour la marque Tenbo. Ce fut une expérience très enrichissante, d’autant plus que c’était une première pour moi. J’en ai tiré énormément de points positifs. J’ai pu réaliser qu’il suffisait de vouloir quelque chose et donner le meilleur de soi pour l’obtenir, qui que l’on soit. J’ai rencontré des gens formidables, qui sont aujourd’hui des amis. J’ai découvert le monde professionnel de la mode, envers lequel je nourrissais certains préjugés. C’est finalement un art comme un autre, pouvant faire évoluer les mentalités.
Cette expérience m’a permis de gagner davantage confiance en moi, d’être en paix envers moi-même.
Aujourd’hui, je me sens (presque) réconciliée avec mon image.
Le style Visual Kei m’y a beaucoup aidé également. J’apprécie l’image que je renvoie au travers de mon travail. J’encourage vraiment les gens à s’accepter tels qu’ils sont.
Rouge à lèvres noir, yeux soulignés d’un trait d’eye-liner noir, fardé de rouge, corset en dentelle ou résille, collier à clous, manchettes de cuir ceinturé : ton style m’évoque les vêtements gothiques, comment décrirais-tu ton style vestimentaire ? Qui t’habille et te maquille ?
D’autre part, tu sembles aimer les shootings photo, qu’est ce qui t’attire dans le fait de poser et d’immortaliser tes poses via la photographie ?
Mon style se compose de différentes influences : « Goth », « Punk », « Lolita », d’influences variées. Je n’aime pas trop donner un mot précis pour me définir, car je pense que ça n’a pas d’importance. En général, je m’en tiens à « Visual Kei ».
Actuellement, c’est ma mère qui m’habille, me maquille et me prend en photo, mais les choses devraient évoluer…
Pendant de nombreuses années, je n’appréciais pas les shootings photo, car j’avais un problème avec mon image, entre autres à cause du regard des autres. Après mon expérience de mannequin, je me suis sentie mieux et j’ai eu envie de partager mes photos sur les réseaux. Ce n’est pas tant être prise en photo qui me plaît : j’aime surtout échanger avec mes followers et mes proches ensuite sur le résultat. Je suis ouverte aux critiques constructives, pour m’améliorer. J’aime pouvoir proposer des tenues afin d’encourager les femmes dans ma situation à s’accepter.
Tu es également styliste : tu as conçu une tenue pour la marque Tenbo : l’as-tu dessinée ? Comment s’est déroulée cette collaboration ?
Cela fait plusieurs années que je ne peux plus dessiner moi-même. Connaissant Takafumi Tsuruta, je me suis permis de simplement lui soumettre un schéma réalisé sur Paint. Lorsque j’ai une idée de tenue, je demande à quelqu’un de la dessiner, ce qui explique pourquoi je ne peux pas le faire souvent : c’est un service que l’on me rend.
La collaboration s’est faite très naturellement et simplement. Après avoir proposé le schéma de la robe à Takafumi Tsuruta, il m’a proposé de réaliser un shoot professionnel. Il me fallait plusieurs tenues. J’ai envoyé des propositions à différentes marques (asiatiques), dont Tenbo. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un colis : la marque Tenbo avait confectionné la robe que j’avais désignée ! J’en ai pleuré de joie !
La robe a été ajoutée au catalogue officiel de Tenbo.
J’étais vraiment très heureuse !
Auteure, tu es scénariste de visual novel/dating game/otome-game, manga et roman à caractère fantastique ou comics. Pourquoi es-tu passionnée par le Japon et sa culture depuis l’enfance ? Qu’est-ce que le dating game ? D’où provient ton appétence pour le manga et l’univers du jeu vidéo ? Quel genre d’histoires aimes-tu raconter ?
Lorsque j’étais petite, je regardais énormément le club Dorothée, qui diffusait plusieurs anime japonais. Je suis fascinée par Sailor Moon ! Petit à petit, je me suis intéressée à la culture japonaise, en découvrant les jeux vidéo, les mangas…
Le dating game est un style de jeu vidéo où j’incarne un personnage féminin, accompagné d’hommes, dans une histoire qui nécessite des choix, du scénario le plus réaliste au plus fantastique. En fonction de mes choix, la fin du jeu change, l’objectif étant de réussir à développer une relation amoureuse avec l’un des personnages masculins de mon choix.
Personnellement, je préfère utiliser le terme « Visual Novel », car celui-ci englobe tous les types de jeux de ce genre : personnage principal masculin, féminin et également relations homosexuelles.
J’écris divers scénarios pour différents supports (mangas, jeux vidéos, comics, romans graphiques) même si je préfère les histoires avec de l’action.
Tu sembles promouvoir le Visual Kei sur tes réseaux sociaux.
Comment définirais-tu le style Visual Kei ? Pourquoi dis-tu que « ce style n’est pas mort » ?
Pour définir le Visual Kei, j’aime citer cette phrase de Yoshiki Hayashi, leader et batteur du groupe X Japan :
« Le visual kei n’est pas vraiment juste un style. C’est quelque chose qui se rapproche davantage de ce que je qualifierai comme étant la liberté de s’avouer soi-même. Vous pouvez être la personne que vous souhaitez être. C’est ça le visual kei à mes yeux. »
– Yoshiki (X Japan)
C’est ce que j’apprécie dans ce mouvement : la liberté. Pour moi, notre société encourage la « normalité ». Le Visual Kei offre la possibilité de se réinventer telle que l’on s’imagine.
Avant d’évoluer dans ce « style », je suis passée par différentes « phases », sans jamais m’y identifier : « sportive », « métaleuse », « rock »… Lorsque j’ai découvert le Visual Kei, je me suis sentie réellement moi-même, bien dans ma peau.
Il y a quelques années, le Visual Kei et le J-Rock sont devenus très populaires en Occident. Cela a été un effet de mode, que les gens ont ensuite qualifié de « mouvement dépassé ». Ce style existe depuis les années 80. Les vrais fans ont toujours été là et seront toujours là. Quand quelque chose nous intéresse réellement, le fait que cela soit « impopulaire » ne nous influence pas.
Tu as travaillé comme traductrice chez Summon the Roses, à Miami : peux-tu me parler de cette expérience professionnelle ? Quelle langue parles-tu ?
Summon the Roses est un blog de musique japonaise, principalement de Visual Kei. La créatrice de ce blog cherchait à agrandir son équipe ; elle a immédiatement accepté ma candidature. J’ai traduit les interviews de l’anglais au français. Je me suis beaucoup amusée à faire ça : cela m’a permis d’en apprendre plus sur les artistes japonais que j’apprécie. Je possède de solides connaissances dans ce domaine. Le blog est en pause depuis environ un an, mais j’espère le reprendre un jour. Je parle anglais et italien. J’apprends également le japonais et j’ai le projet d’apprendre le coréen.
As-tu des projets pour 2021 ?
Si l’épidémie de Covid-19 le permet, j’ai une collaboration très importante à venir. Je n’en dis pas plus, car je tiens à garder la surprise !
Côté écriture, je vais reprendre les discussions sur un projet qui me tient énormément à cœur au printemps, mais là encore, je garderai le secret jusqu’au bout !
Quels sont tes rêves actuellement ?
Il y en a encore beaucoup ! Dans le domaine de la mode, j’aimerais être remarquée par de grandes marques, idéalement la marque japonaise YOSHIKIMONO de mon idole Yoshiki Hayashi.
Je souhaiterais également proposer des designs de vêtements, pour un groupe de K-Pop que j’apprécie, Stray Kids par exemple !
J’espère aussi un jour pouvoir être publiée.
De manière générale, je reste ouverte à toutes propositions dans le domaine artistique.
Enfin, j’espère pouvoir un jour retourner au Japon.
Quelles sont pour toi les femmes qui osent ? Quelles sont les femmes que tu admires, qui t’inspirent ?
Les femmes qui pour moi osent et m’inspirent, sont celles qui tentent de faire changer les choses, qui s’acceptent telles qu’elles sont, et globalement qui aident les gens psychologiquement ou physiquement. Nous avons encore beaucoup de travail à faire pour faire avancer les droits des femmes, mais également pour respecter toutes les diversités présentes sur Terre. Ensemble, nous allons y arriver !
Merci Alexandrine Maurice d’avoir répondu aux questions de Celles Qui Osent. Bravo pour ton combat !
Violaine B — Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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