Nombreux sont ceux qui pensent que la non-mixité féministe est forcément synonyme de séparatisme, de discrimination, voire de ségrégation… Pourtant, si la non-mixité subie est bel et bien un espace d’oppression, opter pour la non-mixité choisie peut offrir une voie vers l’émancipation. Vous n’y croyez pas ? Celles qui Osent vous explique tout.
Choisir sa propre non-mixité pour ne plus la subir
Lorsque ce sujet vient sur la table, de nombreuses voix se font entendre, surtout parmi les hommes cisgenres :
« Pourquoi vous nous mettez de côté ? » « C’est de la discrimination ! » « Vous n’avez pas honte ? » « Moi aussi, je veux prendre part à vos discussions ! »
Chers hommes cisgenres (petit clin d’œil à Dear White People), ce n’est pas dans une volonté de vous discriminer que nous souhaitons nous épargner votre présence.
Au contraire, c’est bien pour ne plus, nous, être mis.es de côté (et quand je dis, « nous », je parle bien évidemment de toutes les minorités de genre qui subissent les inégalités et les violences sexistes, soit les femmes, hommes trans et personnes non binaires).
Non-mixité subie
La non-mixité, je la vis tous les jours, ou presque. C’est une non-mixité que je n’ai jamais demandée, que je ne désire pas. Pourtant, comme d’autres personnes, je la subis depuis toute petite :
- pas de possibilité de jouer au ballon au sein de l’école (car mise de côté par les garçons, puisque « une fille ») ;
- pas de mot à dire au sein de la famille, car ce sont les hommes qui prennent les décisions, et non les femmes ;
- pas d’invitation aux réunions importantes sur le lieu de travail, car ces réunions sont bien souvent réservées à un petit groupe d’hommes.
Il suffit de regarder autour de vous : n’avez-vous pas remarqué la présence d’hommes cisgenre partout, tout le temps ?
Rien que sur la scène politique, par exemple, ce sont les hommes qui prennent les décisions : dans les conseils municipaux, les femmes ne sont présentes qu’à 16 % (chiffre de 2014) et, dans les conseils régionaux, à 17,6 % (chiffre de 2015) [1]. C’est ce qu’on appelle la non-mixité politique.
D’ailleurs, vous pourrez observer la même chose au niveau médiatique : en 2015, les femmes ne représentaient que 24 % des personnes entendu.es à la radio et vu.es à la télévision.
La question de la parité numérique
Nous noterons au passage que la parité numérique ne suffit pas à conduire à des droits sociaux tout à fait égalitaires : au-delà du quantitatif, doit être évalué le qualitatif. En effet, ce n’est pas parce que les minorités de genre sont présentes dans des structures mixtes que cela signifie qu’elles sont écoutées.
Voyez plutôt le cas de Catherine Hill, une épidémiologiste française reconnue : invitée sur le plateau LCI de David Pujadas le 2 février 2021, elle a été victime de « sexisme ordinaire » de la part des deux journalistes qui lui faisaient face. Moqueries, mansplaining… ils ne l’ont pas prise au sérieux sur des sujets qu’elle maîtrise pourtant mieux qu’eux.
Non-mixité choisie
Aussi, il est plus que légitime de vouloir s’approprier un lieu où l’on puisse s’exprimer, exposer ses idées, bref, être enfin écouté. es. C’est ça, la non-mixité non imposée : passer d’espaces sociaux mixtes où nul ne vous écoute parler, où le mansplaining et le manterrupting sont légion, à un lieu où l’on prend en compte ce que vous avez à dire. Où, finalement, l’on considère vos idées comme étant aussi justes que celles d’un homme cis.
Loin d’être une finalité, la non-mixité choisie est, avant tout, un outil de revendication.
Opter pour la non-mixité pour s’émanciper
Peut-on utiliser la non-mixité inclusive pour briser les mécanismes de domination et s’émanciper enfin ? La réponse est : oui ! De mon côté, vivre la non-mixité m’a permis de gagner en confiance.
Libérer la parole
Déjà, parce qu’elle permet de libérer la parole. Plus d’hommes cisgenres pour nous interrompre, pour nous expliquer que nous nous trompons, voire pour reprendre ce que nous venons de dire afin d’énoncer une bêtise.
Christine Delphy, une féministe du Mouvement de libération des femmes (MLF) créé dans les années 70, explique : « La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l’autoémancipation. L’autoémancipation, c’est la lutte des opprimés pour les opprimés. »
Autrement dit : vous n’avez plus besoin de passer des heures et des heures à convaincre les hommes cis de la pertinence de votre combat. La communauté non mixte dans laquelle vous entrerez a sensiblement le même vécu que vous : elle sait que ce que vous dites est pertinent. Que d’heures, voire de jours, économisées ! On peut alors vraiment passer à l’action sans se fatiguer dans des débats le plus souvent, il faut le dire, stériles.
Vous avez une réflexion politique qui risque de vexer un homme cisgenre ? Ici, votre parole ne sera pas remise en question. Mieux encore : vous vous sentirez légitime.
Un sentiment qu’on a bien souvent du mal à éprouver dans notre société patriarcale. En effet, les hommes cisgenres ne s’en rendent pas vraiment compte, mais il est commun que les femmes et personnes queers n’osent prendre la parole en public par crainte de se briser sur un mur de silence, voire, pire, de rires et de moqueries.
Définir ses propres moyens de lutte
Quoi de mieux que de rester entre personnes opprimé. es pour construire ses propres moyens de lutte ? « Ne nous libérez pas, on s’en charge », dit d’ailleurs le titre de ce livre historique rédigé par Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel.
Autrement dit : ce ne sont pas aux hommes cisgenres de définir comment nous devons résister face au système patriarcal.
Il est important de noter que la lutte féministe s’est inspirée d’autres mouvements militants pour former ses espaces non mixtes. En particulier, nous pouvons parler de la lutte antiraciste, avec notamment les Black Panthers et Black Lives Matter. Les personnes blanches ne sont pas invité. es au sein de ces groupes non mixtes afin d’éviter de reproduire les relations sociales de dominants à dominé. es que l’on observe par ailleurs.
Ce qui ne signifie pas que la coopération avec des blanc.hes (dans le cas des luttes antiracistes) ou avec des hommes cisgenres (dans le cas des mouvements féministes) n’est pas permise. Seulement, nous ne souhaitons plus être en arrière-plan des décisions.
Au contraire, nous désirons pouvoir décider de notre propre avenir.
Développer de nouvelles compétences
S’impliquer dans une nouvelle organisation permet également de développer de nouvelles compétences.
Organiser un événement, intervenir dans une conférence, échanger avec des journalistes ou des personnes politiques, gérer les réseaux sociaux et écrire des communiqués de presse… De nombreuses responsabilités s’ouvrent soudain aux personnes qui optent pour la non-mixité choisie.
Si, au départ, prendre en main ces nouvelles responsabilités peut sembler effrayant (et vient renforcer la charge mentale de chacun. e), lorsqu’on se rend compte que, en réalité, nous en sommes capables : quelle grisante sensation de liberté et de délivrance !
Je peux faire, donc je suis. Le gain en confiance qui s’opère alors est inégalé.
Avoir un espace social protégé grâce à la non-mixité inclusive
Sortir de la vigilance constante
Mais être dans un espace non mixte, ce n’est pas seulement s’émanciper. C’est, avant tout, s’inscrire dans un cadre où nous sommes autorisé. es à ne plus être en constante vigilance.
Finies, les soirées passées à surveiller ses arrières (et son verre) ! Dans une sororité, pas de risque d’agression sexuelle ou de harcèlement. Or, ne pas avoir à surveiller sans cesse les autres permet non seulement de mieux profiter de l’instant présent, mais aussi d’économiser son énergie pour la concentrer entièrement sur un débat, une conversation…
Éviter les remises en question de nos vécus
« Bien sûr que non, je n’ai pas fait de blague sexiste ! C’était juste pour rire ! » Comme moi, vous avez sans doute déjà entendu cette phrase. Ou d’autres du même acabit. « Juste pour rire », « elle ne comprend vraiment rien, celle-là ! », « oh, mais vous, les femmes, vous vous emballez pour un rien ! »… Toutes ces remarques qui servent à nous rabaisser et à nous faire comprendre que nos vécus ne sont pas importants n’ont plus lieu d’être dans un lieu non mixte.
Se réapproprier son vécu
Au contraire, nous pouvons ici nous réapproprier notre vécu, le faire devenir réellement nôtre et avoir enfin des oreilles attentives pour nous écouter. Le but est évidemment d’éviter d’offenser d’autres personnes : chacun. e a ses propres casseroles et ses propres traumatismes. Il faudra donc veiller au choix des mots, pour éviter d’enclencher toute une série de rappels traumatiques ou de minimiser la souffrance des autres.
Par exemple, parler d’« agression sexuelle » plutôt que d’« attouchement » permet de mettre un terme concret sur la violence de ce qui a été vécu. De la même manière, dire « il l’a agressée » plutôt qu’ » elle s’est fait agresser » permet de reporter la faute sur le vrai coupable, et non sur la victime.
Opter pour la non-mixité permet de se réapproprier ce vocabulaire et de se forger un Nouveau Monde où l’on cherche à évacuer toutes considérations sexistes, racistes, validistes ou LGBTQ+phobes.
Bref, l’espace non mixte représente un groupe social au sein duquel il est possible de créer un monde plus égalitaire et plus démocratique.
Se soutenir et avancer
La non-mixité, c’est, avant tout, rejoindre une adelphité. Qui de mieux pour vous soutenir que quelqu’un. e qui comprend parfaitement vos sentiments ? Des actions concrètes peuvent alors émerger de ces dynamiques, en vue d’avancer vers un monde où les réflexions féministes viennent briser les pratiques patriarcales du groupe dominant.
Opter pour la non-mixité, ce serait donc opter pour un monde meilleur ? Oui. Mais que les hommes cisgenres ne se sentent pas agressés : le but n’est pas de vous mettre de côté pour toujours. Non. L’objectif est bel et bien de nous réapproprier des espaces qui ne nous appartiennent plus, que ce soient des lieux ou des temps (la nuit, dehors, par exemple), mais aussi des discours, des temps de parole… Bref, il s’agit d’un moyen, pour les minorités de genre, de reprendre une certaine place politique comme médiatique.
Et vous, Celles qui Osent, avez-vous déjà vécu l’expérience de la non-mixité ? Dites-nous ce que vous en avez pensé !
Amandine Belledent, pour Celles qui Osent
[1] https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2017/05/27999-DICOM-CC-2017-essentiel-V4new_bd-4.pdf
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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[…] La fraternité est un mot qui nous est à toutes et à tous familier. À l’origine, il désigne une communauté masculine, une communauté de frater, « frère » en latin. Les boys clubs en sont une extension, et existent encore aujourd’hui. De tous temps, les hommes se sont retrouvés entre eux pour parler art, politique, partager des passions et activités sportives. Pourtant, on n’a jamais parlé de « non-mixité » au sujet des boys clubs, même quand ces derniers excluaient consciemment les femmes (voir ici notre article sur la non-mixité). […]
[…] La suite de l’histoire du féminisme est davantage connue. Le 26 août 1970 marque la naissance du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) avec la réunion d’une dizaine de féministes sous l’arc de triomphe pour rendre hommage à la « femme inconnue du soldat inconnu ». Parmi elles : Monique Wittig, Christiane Rochefort, Christine Delphy. « Ne nous libérez pas, on s’en charge » : voilà le slogan du MLF, précurseur des réunions non-mixtes. […]
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