Avez-vous déjà retardé la fin d’une lecture où vous vous sentiez accueillie, protégée, réparée ? C’est le concept des plumes qui m’envolent. Des mots, féminins pour la plupart, qui m’allègent du poids de l’existence, voire, qui me catapultent en plein ciel. Savez-vous ce qui me plait le plus ? Ces femmes qui racontent leur rapport épidermique au récit, vécu comme une forteresse, un rempart, un hospice. Je sais, Chère lectrice, que nous partageons certains soir l’angoisse des lendemains incertains, qui font de nous des artistes, des femmes courageuses comme des destinées silencieuses. Alors, si on faisait une pause dans le non-temps de la littérature au féminin ? Je vous partage les plumes qui m’envolent à travers ces 4 femmes qui se sont inventé leur refuge. C’est par ici et ça fait du bien !
Goliarda Sapienza, un havre de paix par procuration
Quand j’ai ouvert l’Art de la Joie, de Goliarda Sapienza, l’histoire de Modesta ne m’a jamais lâché. J’aurais aimé côtoyer cette personnalité incroyable en vrai, pour m’offrir l’hospitalité dans la tourmente. Abandonnée par sa mère à un couvent, Modesta cherche partout la lumière de la liberté. Elle met toute sa malice à se fabriquer le foyer dont elle rêve. Avide de connaissance, sensible et sensuelle, elle parvient à sortir du monastère où elle est enfermée, se marie avec un Prince trisomique et à la mort précoce de sa belle-mère, prend les rênes du domaine. Commence alors la fondation d’une dynastie, à partir des idées neuves et audacieuses de cette femme révolutionnaire, engagée à habiter avec dextérité un siècle entier de mutations. Tour à tour religieuse, épouse, mère, amante, matriarche, philosophe avant-gardiste et politicienne, elle est la démonstration – fictive – que la joie se bâtit en contournant les circonstances.
Et que fait Goliarda Sapienza pendant que son personnage profite de la grande vie ? Elle est seule comme une ombre, dans un taudis, habillée de nippes crasseuses et elle peine à boucler ses fins de mois. Certains la considèrent comme une folle, vielle-fille qu’elle est, enfermée dans le noir à longueur de journée. C’est seulement après sa mort qu’on découvrira son talent, à échelle mondiale, même. Goliarda vivait en fait une existence d’une finesse incomparable à travers son personnage ami. Puisqu’elle ne pouvait expérimenter sa vie rêvée, elle a cultivé son jardin secret en imagination, avec le partage en prime. Inspirant non ?
Jeannette Walls, un refuge contre la maltraitance
Dans le Château de Verre, Jeannette Walls raconte son enfance, à peine nimbée d’autofiction. C’est un parcours instable et précaire, passé auprès de parents marginaux, qui contournent constamment les règles sociales élémentaires, quitte à mettre leurs enfants en danger. Par exemple ? À 3 ans, la jeune Jeannette s’ébouillante au 3e degré en faisant cuire des saucisses. Pour ne pas à avoir à payer les frais d’hôpital, le père, Rex, kidnappe la petite en pleine journée, avant que le traitement ne s’achève. Sans cesse sur les routes, vagabondant de nouvelles écoles en motels miteux, les enfants Walls sont très tôt confrontés à des responsabilités normalement réservées aux adultes.
Cette vie instable, pleine de promesses bafouées, est vécue par Jeannette comme une aventure. Elle rêve pendant des années à un château de verre en plein désert, dessiné par son père sur des plans imaginaires. Au fil des années passant, le masque du mensonge finira par tomber, marquant à jamais la nécessité de fuir cette famille destructrice. Armée de sa brillante plume, elle deviendra une journaliste de renom, capable de fonder un foyer sain et une famille heureuse. L’œuvre qui l’a rendu célèbre, c’est le récit de cette enfance chimérique, transcendée par et avec l’écriture. Un chemin bouleversant de la précarité au havre de paix. Le véritable château de verre en somme…
Emily Dickinson, faire de son intériorité une forteresse
La rentrée littéraire de septembre 2020 met à l’honneur Dominique Fortier et son magnifique roman sur Emily Dickinson, Les villes de papier. Dans une interview confinée, Dominique Fortier explique que l’écrivaine anglaise vivait en ermite de son plein gré, par une sorte d’attraction magnétique pour l’écho des silences. Quand nous souffrons du confinement, par dépendance aux surstimulations qui font époque, Emilie savourait la surprise constante de l’infiniment petit. En effet, quel meilleur emblème de refuge intérieur qu’Emily Dickinson, qui « a commencé par limiter ses visites au village, pour ensuite rester cantonnée au jardin (…) pour finalement élire domicile dans sa chambre (…) » Elle qui « vivait depuis longtemps dans bien plus petit encore : un bout de papier grand comme la paume ». Cette hypersensible, muette, vêtu d’un blanc sans artifices, aura passé sa vie à écrire des milliers de poèmes, en marge de toute reconnaissance sociale. Certains cherchent un traumatisme qui pourrait expliquer ce repli, mais d’autres croient qu’elle aurait été absorbée par le monde qu’on porte à l’intérieur de soi, comme Enzo dans Le Grand Bleu le fût par les profondeurs océaniques. Ses poèmes hypnotiques, portés par une économie de moyens invraisemblable, fascinent encore aujourd’hui. L’écriture serait-elle un lieu hospitalier, un moyen d’accéder au néant au fond de soi sans vraiment être seul ?
Marguerite Duras, bâtir un sanctuaire contre le néant
À peine réveillée de son coma, provoqué par l’alcoolisme qui la dévorera jusqu’à la fin de sa vie, Marguerite Duras ne pense qu’à terminer son manuscrit du Vice Consul. C’est la lutte des mots sur le silence, de la vie sur la mort, un cap à garder pour se sauver de l’errance. Dans une interview, le journaliste lui demande pourquoi elle a commencé à écrire. « Quoi faire de la solitude de cette maison ? Chercher à l’habiter par tous les moyens », répond-elle. Son écriture est donc une résidence où l’on s’abrite des écorchures du réel, de ses pourquoi insolvables. Le début de son œuvre est d’ailleurs marqué par le récit de situations vécues, comme si elle cherchait à comprendre ce qui lui était arrivé en cours de route. Un barrage contre le pacifique par exemple, raconte la lutte insensée de sa mère pour sauver ses cultures des crues océaniques. L’amant est le récit d’un amour de jeunesse qui l’a transformé à jamais. En même temps, la fiction (et ce sera le revers de cette quête dangereuse), c’est habiter un abri incertain, ouvert au vents des hivers glacés et qui menace de s’effondrer dans les tempêtes de la vie. Se souvenir, c’est brouiller les pistes entre le réel et l’imaginaire, au point de retomber à certains moments dans le vagabondage… En cherchant à consigner le néant en lieu sûr, Marguerite Duras aura dénoué quelques mystères de la nature humaine, au grand bonheur de ses lecteurs. On ne peut que l’en remercier !
Vous arrivez à la fin de ces escales littéraires de sanctuaires en cabanes. Je ne sais pas vous, mais même les histoires difficiles me rassurent, parce qu’elles me donnent le sentiment de ne pas être seule. Souvent et d’autant plus aujourd’hui, aller mal fait fuir. Aucun vivant n’est capable de supporter le déchirement intérieur d’un autre, sans perdre sa propre énergie. Le seul endroit où j’ai trouvé une voix sans âge capable de me réconforter, sans être effrayé par la profondeur de mon mal, c’est dans les livres. J’espère que ces 4 exemples de femmes qui ont su s’inventer un refuge vous ont inspiré. Dites-nous si vous connaissez vous aussi un lieu littéraire hospitalier où partager une amitié !
Charlotte Allinieu, Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
1 Comment
Superbe et talentueuse écrire de Charlotte Allinieu, tu m’emmènes dans les profondeurs de ta plume.
Merci