Claire Brosseau-Habert est juriste de formation et travaille depuis bientôt vingt ans au Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) de la Meuse (département du Grand Est). Les CIDFF sont au nombre de 103 en France. Ce sont des associations fédérées en réseau et agréées par l’État dont les objectifs sont l’accès aux droits pour les femmes, la lutte contre les discriminations sexistes et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Claire est référente violences et traite exclusivement des questions de violences, en particulier de violences conjugales. Elle réalise des entretiens individuels avec des femmes victimes pour leur offrir une écoute bienveillante et non jugeante, comprendre leurs besoins, les soutenir dans leurs démarches et faciliter leurs parcours vers plus d’autonomie et un mieux-être. Cet accompagnement social et juridique contribue à aider les femmes à sortir de l’emprise de leur conjoint et à commencer une nouvelle vie, loin des traumatismes vécus. Elle anime aussi des ateliers ou des formations collectives au cours desquelles elle fait de la prévention aux violences.
Claire Brosseau-Habert, de la formation juridique à la lutte contre les violences conjugales
Quand on demande à Claire de nous raconter concrètement ce qu’elle fait sur le terrain pour venir en aide aux femmes victimes de violences, elle nous répond qu’il est difficile de décrire une journée type.
On peut croire en arrivant le matin que la journée va se dérouler selon le planning prévu, mais c’est loin d’être systématique. Je suis parfois confrontée à la gestion des urgences et des situations de grave danger pour les femmes victimes de violences répétées.
Une constante dans le travail de Claire : les entretiens individuels avec les femmes qu’elle accompagne. Le premier objectif de ces rencontres est de leur proposer un espace d’écoute qui leur permet de s’exprimer librement sur les violences et en toute confiance. Il est bien souvent compliqué pour ces femmes d’oser parler d’elles, de leur vécu et de leurs traumatismes. Elles peuvent éprouver des difficultés à verbaliser clairement leurs attentes, car elles souffrent beaucoup et se sentent perdues du fait de l’emprise exercée par leur conjoint.
L’idée est de faire ce qu’on appelle au CIDFF un 360 de la situation et d’établir un visuel de la situation globale de la victime : est-ce qu’elle a des enfants, est-ce qu’elle est autonome, est-ce qu’elle a des ressources et a accès à ses ressources, est-ce qu’elle a un réseau familial et amical sur lequel elle peut compter ? Il s’agit aussi d’évaluer les violences subies : s’agit-il de violences psychologique, verbale, physique, sexuelle, économique, quelle est la fréquence des passages à l’acte, quelle est la gravité des violences, quel est son seuil de tolérance à la violence ?
Une fois ce « 360 » effectué, il s’agit d’apporter les réponses adéquates aux problématiques soulevées. Claire ne donne jamais aucun conseil, ne décide pas à la place de la femme victime et la laisse exprimer ses besoins. Selon elle, un tel comportement est crucial pour aider la femme que l’on a en face de soi, qui est déjà soumise à l’autorité d’un homme qui exerce un pouvoir de domination sur elle.
Il est important de respecter leur rythme, qui varie selon les femmes. C’est très important de ne pas projeter son rythme de professionnelle sur la victime. Dans le parcours des victimes, on est souvent confronté(e) à des allers retours : elles expérimentent des départs, puis reviennent au domicile, parfois de manière répétée. Ça n’en fait pas des femmes ambivalentes, bien au contraire. Ce sont des femmes qui testent leurs capacités parce qu’elles ont été rabaissées, critiquées, dénigrées, et c’est une manière de restaurer leur confiance en elles et de se prouver qu’elles sont capables de fuir et d’accomplir des démarches de manière autonome.
Des moyens concrets déployés contre les violences
L’une des priorités de Claire est de protéger ces femmes d’un danger imminent. « Pas une de plus », « On ne naît pas femme, mais on en meurt », « Elle le quitte, il la tue » : plusieurs messages de ce genre se sont multipliés sur les murs de Paris, puis se sont répandus dans les autres villes françaises. Le danger imminent, c’est qu’une femme victime de violences meurt du coup de poing de trop, asséné par un conjoint meurtrier. Pour éviter que cela n’arrive, Claire et ses collègues proposent des scénarios de protection et s’assurent toujours que la femme victime de violences pourra donner l’alerte facilement pour prévenir d’un nouveau passage à l’acte au moyen de plusieurs petits stratagèmes qui sauvent des vies, comme avoir une pièce qui ferme à clé, conserver ses clés de voiture sur soi, garder son téléphone chargé et à proximité, prévenir un(e) voisin(e).
Dans un autre registre, il arrive à Claire de signaler des cas de violences au parquet, à la gendarmerie, ou au service enquêteur du commissariat. Selon les éléments transmis, ces signalements peuvent déboucher sur l’ouverture d’une procédure ou une plainte. Dans ce cas-là, Claire se charge aussi d’effectuer un accompagnement juridique.
« Ce continuum de violences là n’a malheureusement pas de territoire » : les violences conjugales en zone rurale
Le CIDFF où travaille Claire est situé en Meuse et dépend de la juridiction de Verdun. Une zone rurale où la prise en charge des victimes de violences est différente des méthodes employées en milieu urbain. Pour autant, les violences conjugales ont lieu partout en France et Claire déplore cette idée commune selon laquelle les milieux ruraux seraient davantage épargnés et que les violences se concentreraient dans des zones urbaines, comme le département de la Seine Saint Denis par exemple.
Il y a de la violence conjugale partout. La ruralité n’est pas du tout épargnée, bien au contraire. Pour les femmes qui vivent en territoire rural, l’isolement est exacerbé par rapport aux milieux urbains où le réseau de transports est beaucoup plus développé, ce qui n’est pas le cas en Meuse par exemple où on ne se déplace pas d’un village à un autre aisément. L’accès à l’information n’est pas évidente non plus.
Le CIDFF de la Meuse a d’ailleurs reçu un financement cette année pour des bons taxis afin de faciliter les démarches des femmes victimes dans le cadre de leur procédure civile ou pénale.
La hausse des violences conjugales pendant les confinements
Durant le premier confinement, les associations comme le CIDFF craignaient une explosion des violences. En mars 2020, la gendarmerie de la Meuse a mis en place un dispositif spécifique de surveillance maximum et a rappelé toutes les femmes victimes de violences dont ils avaient connaissance. Elle a également mis en place un référent que le CIDFF pouvait appeler à tout moment pour signaler un cas de violence. Les services de police ont effectué une démarche de rappel des femmes qui avaient déposé plainte au cours des semaines précédentes.
La hausse des violences conjugales a réellement été significative aux mois de septembre / octobre 2020, au moment de la rentrée scolaire. Claire qualifie cette période de véritable « raz-de-marée ». Les femmes ont pu remettre les enfants à l’école et prendre le temps d’effectuer des démarches auprès de structures comme le CIDFF. De retour en classe, les enfants ont également alerté le personnel éducatif quant à la perpétration de violences dans leur foyer. À titre d’exemple, Claire explique que sur le ressort de la juridiction de Verdun, les quatre « téléphones grave danger » sont attribués depuis la fin du mois de mai, ce qui ne s’était jamais produit auparavant. Il en est de même pour un des CIDFF dans le sud de la France.
Le rôle de l’État dans la prise en charge des victimes
En novembre 2019, le gouvernement français a organisé un grenelle des violences faites aux femmes, dans le but d’améliorer l’aide et la prise en compte apportées aux femmes victimes de violences.
Les choses ont évolué depuis le grenelle, surtout au niveau des parquets. On a constaté une évolution notoire de la politique pénale et de la prise en charge des victimes. Les poursuites et les interdictions d’entrée en contact avec la victime sont de plus en plus systématiques. On travaille maintenant avec le commissariat de Verdun qui nous transmet les signalements pour que l’on puisse ensuite proposer un accompagnement aux victimes. Il reste encore beaucoup de choses à faire, mais il y a quand même eu une amélioration.
Ce qu’il reste à accomplir se traduit essentiellement par la nécessité d’une augmentation de moyens financiers et humains. Par exemple, notre CIDFF manque de juristes pour faire face aux multiples demandes qui explosent. Avoir plus de personnel permettrait aussi de réaliser un travail de prévention encore plus efficace et d’être davantage présentes lors des audiences.
Comment améliorer la lutte contre les violences conjugales ?
Il est essentiel d’améliorer le travail de prévention auprès des plus jeunes. Selon Claire, attendre le collège pour parler d’égalité des sexes, c’est déjà trop tard :
Il faut travailler sur les questions d’égalité, de représentation dès le plus jeune âge. On vit dans une société où il y a une hiérarchisation des rapports sociaux de sexe avec une valorisation du masculin et une dévalorisation du féminin et où on nourrit des rapports de domination. Toute la société pourrait bénéficier d’une sensibilisation à ces questions là, afin de regarder les relations femmes/hommes autrement. Il ne s’agit pas de gommer le féminin ou le masculin, mais d’avoir à l’esprit qu’on peut être différents et égaux. On parle d’égalité, c’est important d’expliquer aux enfants que ces inégalités liées au sexe ne sont pas légitimes. Tout cela contribuerait largement à travailler sur la prévention des violences.
Il est également important de détecter les victimes de violences que l’on a autour de nous. Dans une telle situation, Claire explique qu’il est primordial de proposer une écoute bienveillante et non jugeante :
Des conseils et des phrases commençant par « il faut », « moi à ta place », « tu devrais » sont à proscrire. Cela revient en général à poser une étiquette qui enferme la femme victime. Au contraire, c’est à la victime de parler et d’exprimer ses besoins librement, sans être avoir peur d’être jugée. Il est également nécessaire de nommer les violences de manière précise : dans certains cas, la victime ne se rend pas forcément compte qu’elle subit des violences, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques. Par exemple, une femme ne sait pas nécessairement qu’elle est victime de violence physique quand son conjoint lui jette des objets dessus ou la bouscule volontairement dans le couloir. Ce qui est important, c’est de se mettre à disposition si la victime a besoin de parler, d’être accompagnée dans ses démarches et ce tout en respectant son rythme, ce qu’elle ressent et ce qu’elle exprime.
De tels comportements doivent permettre aux femmes victimes de se sentir soutenues et d’entrevoir des perspectives positives pour l’avenir.
Grâce à Claire et aux associations comme les CIDFF, les femmes victimes de violences prennent conscience qu’elles peuvent avoir une vie libre et autonome, et qu’elles peuvent se reconstruire malgré les violences subies. Se former aux violences conjugales et avoir conscience de la réalité de ces violences est aujourd’hui nécessaire. Comme le dit Claire, c’est toute la société qui doit être sensibilisée sur ces questions-là.
Victoria Lavelle, pour Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent