Biographie de Waad al-Kateab I Filmer la guerre pour sauver des vies

Waad al-Kateab, ce nom ne vous dit rien ? Et pourtant, sa vie, faite de conviction et de courage mérite d’être connue. Entre 2011 et 2016, cette activiste syrienne, filme les manifestations et le quotidien des habitants d’Alep. Malgré les dangers de la guerre et de la répression, la jeune femme poste toutes ses vidéos sur internet pour dénoncer le sort des civils syriens. Sans relâche, au prix de sa vie, Waad al-Kateab montre les corps meurtris et les âmes blessées. De ces images, est sorti, en octobre 2019, le documentaire Pour Sama, en hommage à sa fille. Comment devenir journaliste dans un pays en guerre ? Comment s’organise la résistance au sein d’un peuple opprimé ? Découvrez la biographie de Waad al-Kateab et le parcours hors-normes de cette jeune maman syrienne qui délivre un témoignage poignant du quotidien sous les bombes.

Devenir journaliste en Syrie, une vocation risquée

Une jeune fille déterminée à poursuivre son rêve : devenir journaliste dans un pays en guerre

Waad al-Kateab, née en 1991, a grandi en Syrie. Bercée par les images de la BBC et d’Al Jazeera, elle est très tôt sensibilisée aux mensonges et à la répression du gouvernement syrien. Dès l’âge de 15 ans, Waad al-Kateab rêve de devenir journaliste et de parcourir le monde pour dénoncer les injustices. Mais pour ses parents, être reporter dans un pays opprimé, c’est beaucoup trop dangereux.

La jeune femme fait le choix de la raison et s’inscrit en 2011 à l’université d’Alep, en filière marketing. Mais Waad est têtue et ne renonce pas si facilement à sa vocation. Elle a une idée en tête : apprendre l’allemand pour vivre son rêve à Berlin. C’est alors que l’actualité la rattrape.

Quelques mois seulement après la rentrée universitaire, des manifestations contre le gouvernement éclatent. Sur le campus, une opposition s’organise. Elle veut en faire partie. Elle souhaite plus que tout contribuer au soulèvement de son peuple contre le pouvoir de Bachar al-Assad. Son arme : la caméra. Avec son téléphone portable, elle filme les manifestations du printemps 2011 à Alep pour montrer que la jeunesse syrienne a décidé d’arrêter de se taire.

Résister contre la répression du gouvernement syrien

En 2012, l’opposition prend de l’ampleur en Syrie. Waad al-Kateab ne quitte plus sa caméra et capte les images de la révolte grandissante. Elle affirme ses choix : celui d’une vocation, le journalisme, et celui d’une citoyenne qui résiste face à l’oppression. Au cours de l’année, elle rejoint les quartiers populaires d’Alep pris par l’Armée Syrienne Libérée, opposée au régime de Bachar al-Assad. Le mouvement révolutionnaire est en marche. Elle croit alors en une liberté redevenue possible en Syrie.

se former à la rédaction web

Mais à mesure que la révolte grandit, la répression du gouvernement se fait de plus en plus forte : tortures, intimidations, disparitions d’opposants… En tant qu’activiste, Waad al-Kateab arpente les quartiers d’Alep pour filmer la destruction de la ville et les ravages faits par l’armée de Bachar al-Assad. Elle est indignée par l’image que le gouvernement donne des révolutionnaires, tentant de les faire passer pour des terroristes.

Pour la reporter-citoyenne syrienne, filmer est un acte de résistance. Waad al-Kateab veut restaurer la vérité et montrer la souffrance du peuple syrien. Tout comme Marie Colvin, reporter de guerre qui a perdu la vie lors d’un bombardement du gouvernement de Bachar al-Assad, la biographie de Waad al-Kateab montre que la parole et le témoignage peuvent servir d’armes dans la lutte pour la liberté.

Biographie de Waad al-Kateab : le combat d’une femme prise dans la guerre

Montrer l’horreur des bombardements

Lors des manifestations, Waad al-Kateab rencontre un jeune étudiant en médecine qui partage ses idéaux et ses espoirs de liberté. Hamza deviendra son mari, le père de sa fille Sama et son partenaire de résistance. Dès 2012, avec des collègues, ils réhabilitent l’ancien hôpital Al Quds. Waad al-Kateab, caméra à la main, suit les travaux et la débrouille de tous les volontaires pour trouver du matériel médical et monter cet hôpital de fortune. Elle filme tout, l’horreur des familles qui pleurent les corps de leurs enfants, de leurs frères et de leurs sœurs soufflés par une explosion.

Les images montrent la peur de ceux qui descendent dans les sous-sols alors que les murs tremblent. Elles montrent aussi le silence puis les hurlements qui suivent les bombardements. Waad enregistre l’agitation des médecins et des soignants de l’hôpital qui tentent tout pour sauver les blessés, malgré le manque criant de moyens et la crainte qu’une bombe ne s’abatte sur eux.

S’aimer sous les bombes d’Alep, survivre malgré tout

Comment supporter ces conditions de vie alors que les libertés sont niées, que la terreur règne et que la mort peut frapper à chaque instant ? Waad al-Kateab filme son quotidien, celui de ses amis et de ses voisins pendant plus de cinq ans. Elle montre la cruauté et l’injustice d’un conflit qui touche avant tout les civils. Mais la vie en temps de guerre n’est pas faite que de malheurs. Waad al-Kateab témoigne aussi des liens que les Syriens tissent entre eux pour tenir. L’amour, l’amitié et les espoirs d’une vie meilleure semblent alors indispensables à la survie.

Waad al-Kateab va au-delà du reportage de guerre en délivrant un témoignage personnel. En tant que femme, épouse et mère, elle n’hésite pas à faire part de ses sentiments et de ses doutes. Elle exprime face à la caméra l’amour qu’elle porte à sa ville, à son pays et à sa culture. Elle filme avec pudeur et authenticité les moments intimes et intenses de sa vie de femme comme la naissance de sa fille et son mariage. De tels événements, en général associés à la joie, prennent une tout autre dimension dans une ville bombardée : comment vivre, comment survivre dans un pays en guerre ?

Pour Sama : un départ forcé et un documentaire pour sauver les habitants d’Alep

Faire le choix du départ pour sauver sa famille

Waad al-Kateab, caméra au poing, filme l’angoisse de tous les instants face à la menace quotidienne des frappes aériennes. En tant que spectateurs, ces images de guerre sont difficilement soutenables. Nous sommes traversés de sentiments contradictoires. On ne peut qu’être admiratifs devant le courage de ceux qui résistent et sauvent des vies. Mais on a également très peur pour eux, on a envie qu’ils fuient ce pays en guerre. Pour Waad al-Kateab et son mari, partir c’est capituler et s’avouer vaincus face à l’ennemi. Partir, c’est aussi laisser tomber ceux qui restent.

Pourtant, fin 2016, les frappes aériennes s’intensifient. Il est de plus en plus difficile de trouver du lait pour la petite Sama dans une ville assiégée. En décembre, Waad enceinte de son deuxième enfant attend dans le froid, avec son mari et sa fille, le dernier convoi de l’ONU pour quitter Alep, avec dans ses valises 12 disques durs et 300 heures d’images.

Pour Sama : un documentaire pour poursuivre le combat loin de la Syrie

Après un an passé en Turquie, Waad al-Kateab et sa famille s’installent à Londres où ils obtiennent l’asile politique. La journaliste syrienne travaille pendant deux ans au montage de son documentaire avec le réalisateur britannique Edward Watts. Pour Sama, sorti en octobre 2019, a reçu de nombreuses récompenses dont le Prix de l’Œil d’or au festival de Cannes 2019 et le prix du meilleur film documentaire aux BAFTA 2020. Il a été également nommé aux Oscars 2020 dans la catégorie du meilleur film documentaire. Sur le tapis rouge, Waad al-Kateab portait une robe sur laquelle était brodé un extrait d’un poème en arabe disant « nous avons osé rêver et nous ne regretterons pas d’avoir demandé la dignité ».

 

La jeune journaliste poursuit son combat loin d’Alep en sensibilisant la communauté internationale sur le sort des Syriens, tout en gardant l’espoir retourner un jour dans son pays. La médiatisation de son film lui permet de porter au monde son message : alerter sur la souffrance des civils en Syrie et faire cesser les bombardements sur les hôpitaux.

Cette biographie de Waad al-Kateab rappelle le courage et l’humanisme de grandes résistantes comme Irena Sendler. Des parcours de femmes inspirantes qui osent prendre la parole pour défendre leurs convictions et risquer leur vie pour sauver celle des autres.

Barbara Prot, pour Celles qui Osent

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