Depuis quelques années, l’extrême-droite s’approprie de plus en plus la cause féministe et se féminise également. Marine Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen sont des figures bien connues des Françaises et Français. Cela fait plusieurs mois qu’elles récupèrent les thématiques propres aux combats féministes et les assaisonnent à la sauce nationaliste et anti-immigration. Dans une interview accordée à Valeurs Actuelles, la présidente du Rassemblement national prend d’ailleurs fermement position contre le harcèlement de rue, et raconte l’agression vécue par sa fille alors qu’elle était dans les transports en commun. Rappelons toutefois que Marion Maréchal-Le Pen avait déclaré, lors des dernières élections régionales, vouloir « supprimer les subventions aux associations politisées, dont les plannings familiaux » si elle était élue. Quant à Marine Le Pen, elle avait évoqué les « avortements de confort » durant la campagne présidentielle de 2012 et souhaitait que la Sécurité sociale cesse de rembourser l’IVG.
Vous l’avez compris : le Rassemblement national fait sienne la cause féministe pour gagner en popularité auprès des jeunes électrices. Comme le dit l’historienne des droits des femmes Michelle Perrot dans une interview de Charlie Hebdo : « Cela souligne l’importance du féminisme aujourd’hui, plus fort qu’il n’a jamais été. Alors, quand on est dans une stratégie de conquête du pouvoir, c’est une opportunité de l’utiliser. » Celles qui Osent a analysé ce phénomène et vous explique comment l’extrême-droite s’est approprié la cause féministe.
La cause féministe et l’extrême-droite sont-elles compatibles ?
Traditionnellement, l’extrême-droite appartient à une mouvance catholique et conservatrice, à l’image d’un Jean-Marie Le Pen qui avait présenté ce qui s’appelait à l’époque le Front national comme « le seul parti pour les catholiques de conviction ». Inutile de rappeler que féminisme et religion ne font, en général, pas bon ménage.
« Le féminisme, c’est la contestation d’un ordre patriarcal que l’extrême-droite n’a jamais remis en cause. », Michelle Perrot
Ensuite, l’extrême-droite, y compris ses collectifs qui se revendiquent féministes, prône une complémentarité parfaite entre les femmes et les hommes. Complémentarité vicieuse, qui vise en réalité à établir des rôles sociaux prédestinés et soi-disant naturels. En bref : la femme tient son foyer et s’occupe des enfants pendant que l’homme travaille. Une telle vision genrée des rapports sociaux et humains explique ainsi les réticences du RN à l’égard de l’avortement. Elles sont d’ailleurs partagées par le collectif féministe nationaliste Némésis, dont on reparlera longuement. Alice Cordier, sa présidente, explique dans une interview accordée à Slate :
« On considère qu’il y a énormément, sinon trop d’avortements. Nous pensons aux femmes qui l’ont très mal vécu, qui vivent de vrais post-traumas. On ne parle pas assez de ça. Nous savons qu’il existe des pressions des médecins et des conjoints à avorter. Nous dénonçons la sacralisation de l’avortement, on pense qu’il faut le critiquer, faire une prévention, dire que ce n’est pas anodin, dire que c’est une opération qui comporte des risques. »
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Des jeunes femmes engagées mises en avant pour redorer le blason sali de l’extrême-droite
Cette stratégie du féminisme comme appât pour gagner en soutien et en électeurs n’est pas seulement pratiquée par le RN et se retrouve dans des groupuscules d’extrême-droite. Génération Identitaire, groupuscule fondé en 2012 et dissous en mars dernier a fait de Thaïs d’Escufon, jeune fille de 21 ans à l’aise avec les réseaux sociaux, son porte-parole. Invitée par Touche pas à mon poste au moment de la dissolution de GI, Thaïs d’Escufon avait défendu les membres de son collectif avec qui elle s’était rendu à la frontière franco-espagnole pour empêcher de potentiels migrants de venir en France. Ses propos radicaux ont même provoqué la colère de Sébastien Chenu, l’un des dirigeants du RN (c’est dire), qui l’a démise de ses fonctions de community manager du parti de Marine Le Pen.
Un phénomène similaire s’est opéré avec l’instrumentalisation de l’affaire Mila par l’extrême-droite, qui a fait d’elle un martyr de la liberté d’expression et une victime de l’islamisation de la société française. Pourtant, si Mila a posté cette vidéo dans laquelle elle affirme « mettre son doigt dans le trou du cul de votre dieu » (en parlant d’Allah), c’est pour répondre à l’injure lesbophobe d’un homme religieux après qu’elle ait révélé son homosexualité sur les réseaux sociaux, ce que l’extrême-droite a tendance à oublier (d’un côté, si le RN luttait en faveur des droits LGBT+, cela se saurait).
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L’apparition de mouvements féministes d’extrême-droite
On le sait, le mouvement féministe est divisé sur certains sujets et il existe plusieurs courants de pensée en son sein : pro/anti-voile, abolitionnistes/pro-travailleurs du sexe, universalistes/essentialistes… Mais l’on avait rarement vu un « féminisme » (si tenté qu’on puisse considérer cela comme du féminisme) aussi particulier que celui d’extrême-droite, même s’il ne se revendique pas comme tel (il préfère le qualificatif d’ « anticonformiste »).
Le collectif Némésis fait partie de ces mouvements nationalistes et xénophobes. Né en 2019 après la prétendue agression d’une jeune femme blanche par un migrant à Calais, Némésis lutte contre les violences faites aux femmes qui, selon ses militantes, vont de pair avec l’immigration. En apparence féministe, le collectif est tout de même ambigu sur certains sujets de droits fondamentaux comme l’IVG (voir plus haut) ou la contraception. Dans une interview accordée à Charlie Hebdo, Alice Cordier explique à propos de la pilule ou de l’implant : « On est pour des moyens naturels, contre les grandes industries qui produisent des produits dangereux pour les femmes. » Des moyens naturels de contraception ? Vraiment ? On ne parlera même pas du sexisme intégré dont font preuve les militantes sur le compte Instagram de Némésis où elles expliquent que les féministes mainstream ont une capacité certaine à s’enlaidir, avant de conclure « C’est généralement comme ça quand on choisit le camp de la haine et de la rancœur. Rejoins Némésis », le tout en se présentant comme de véritables canons de beauté.
À un cran encore au-dessus, nous avons également fait la découverte de Solveig Mineo, une féministe néo-paganiste pour qui le RN et autres partis d’extrême-droite sont « des lobbies chrétiens régressistes ». Elle se définit comme appartenant à la mouvance occidentaliste, qui consiste en « l’acceptation de la supériorité de la civilisation occidentale et de ses valeurs ». Elle explique être « la seule femme au monde à bâtir un féminisme anti-islam et anti-immigration » et défend le concept de racisme humaniste (dont nous n’arrivons toujours pas à comprendre le principe).
Comment lutter contre l’appropriation de la cause féministe par l’extrême-droite ?
L’une des raisons de l’émergence de ce féminisme d’extrême-droite est la crise vécue par le féminisme universaliste de gauche. L’affaire Mila en est un parfait exemple. Délaissée des mouvements intersectionnels et féministes en raison de ses propos sur l’islam, Mila est devenue un symbole rêvé pour l’extrême-droite. Seules les associations féministes laïques ont pris sa défense.
Autre exemple : le Hijab Day, cette journée du hijab qui promeut le port du voile et incite les femmes non voilées à le porter en solidarité avec les femmes stigmatisées à cause de leurs convictions religieuses et de leur voile. Chez les féministes de gauche, les Femen ont été les seuls parmi les collectifs importants à s’y opposer. Ici aussi, l’extrême-droite a sauté sur l’occasion et Némésis a organisé un « No Hijab Day »…
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
– Interview de Marine Le Pen à Valeurs actuelles citée en introduction : https://www.valeursactuelles.com/politique/grand-entretien-les-secrets-de-marine-le-pen/
– Interview de l’historienne Michelle Perrot à Charlie Hebdo citée en introduction : https://charliehebdo.fr/2021/03/societe/feminisme/les-identitaires-du-collectif-nemesis/
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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