Il n’y a pas longtemps, j’ai été subjuguée par la réécriture de Barbara Pravi, « Notes pour trop tard ». J’ai eu l’impression qu’elle me comprenait dans mon intimité fondamentale. « Entoure-toi bien / De gens qui t’aiment / Regarde surtout ceux qui te donnent / Et pas ceux qui te prennent ». Barbara a ouvert d’un coup une brèche temporelle de 10 ans sur ma vie. Je me suis retrouvée nez à nez avec l’ado que j’étais, impertinente et rêveuse, qui voulait tout tout de suite et qui avait une soif d’exister incroyable. Ça m’a fait tellement plaisir ! Après avoir conversé un moment, elle m’a demandé des nouvelles du futur. J’ai essayé de lui donner des clefs sans la heurter, la brimer ou casser la joie de la découverte. Je te retranscris ici les 10 conseils que je lui ai donné, parce qu’il y a forcément 2-3 trucs auxquels tu as déjà été confrontée avec ton ado intérieure. Tu me diras !
Ne juge pas, jamais
Je sais bien que tu n’es pas d’accord, mais tu ne comprends pas vraiment ce que veut dire ne pas juger. Évidemment qu’on peut avoir un avis sur une situation ou une personne si c’est pour prendre des décisions personnelles à son égard : s’en éloigner, l’aider, la conseiller, etc. En revanche, on n’a pas le pouvoir de juger de la valeur d’un être humain, de le condamner par avance ou de le mettre sur un pied d’estale. S’octroyer cet orgueil finit toujours par se retourner contre nous. En vérité, « la vie a plus d’imagination que nous », comme le dit si bien Fanny Ardant, que tu adores. On ne sait jamais ce qu’une personne traverse, ce qu’elle a vécu et la résilience qu’elle est capable de déployer face aux évènements difficiles. Mettre ceux qu’on veut dénigrer dans des cases, c’est commode, jusqu’à ce que la roue tourne et qu’on se retrouve soi-même accablé par les regards désapprobateurs. Garde ton énergie pour rester sur ton chemin et comprends ceux qui ont décidé de faire pareil. Ne juge pas, jamais.
N’essaie pas de changer les gens
Je sais que tu détestes cette phrase. Tu voudrais qu’avec le temps, ton copain arrête de boire, qu’une de tes amies aille au bout de ses projets et que tes proches reconnaissent ta valeur. C’est donnant donnant, te dis-tu. En couple, tu échanges un peu de ta liberté contre la liberté de l’autre et tu entretiens l’illusion que c’est ok. Non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Parce qu’à force de t’amputer d’une partie de toi pour correspondre à l’autre et de demander la même en retour, vous allez vous aliéner. Quand on ne se reconnaît plus, on n’a plus l’énergie du don et ça capote. Ce qu’on aime chez quelqu’un quand on tombe en amitié ou en amour, c’est sa liberté. Je sais que de ne pas pouvoir changer les gens, c’est très dur à admettre. Il y a une sorte de fatalité qui te ronge l’estomac. « Alors il faut déserter ? Abandonner ses convictions ? » Oui. Parfois, c’est la seule alternative. Accepter cette idée, c’est la meilleure manière d’apprendre à aimer en restant soi, sans compromission. N’essaie pas de changer les gens.
Sois douce avec toi-même
La détermination n’est pas nécessairement un combat à mener. Tu peux être persévérante dans la douceur, réaffirmer sans cesse ce que tu crois juste sans t’énerver ou sans exiger que ce soit instantané. Je connais ton extrémisme, ton esprit critique aiguisé et l’énergie qui bouillonne en toi. Canalise tes déferlements d’humeur dans des domaines passionnants où il va être difficile d’exceller. Tu ne pourras en effet pas faire disparaître tes émotions négatives, comme la colère sourde qui hurle en toi quand c’est injuste. Par pitié, ne crois pas qu’il s’agit de ta personnalité. Dispose ta gloire dans la nuance, la justesse et le plaisir que tu t’octroies. Avance pas à pas et quand tu recules, ne stigmatise rien. Tu auras des centaines d’autres occasions de te rattraper ou de ne plus être intéressée par ce qui t’obsédait. Fais attention à ton véhicule de chair et de sang, c’est avec lui que tu traverseras l’existence d’un bout à l’autre. « Apprends à t’aimer toi, t’es quelqu’un de spécial, spécial c’est suffisant, pas besoin de s’la jouer originale » comme le dit Barbara Pravi. Sois douce avec toi-même.
Ne te fie pas aux apparences
Je te vois arriver à tes compétitions d’équitation au milieu des chevaux impeccablement toilettés, des strass et des paillettes. Tu es impressionnable. L’habit pourtant ne fait pas le moine. À chaque fois le classement final te surprend, mais à chaque fois tu recommences à douter de tes capacités. Au cours de ta vie, tu vas te rendre compte que ceux qui payent le moins de mines seront les plus surprenants. Tu vas t’acoquiner avec des prétentieux, qui vont te faire croire que tu es grandiose et que la vie qui t’attend n’est pas celle du commun des mortels. Tu seras prétentieuse, c’est courant à ton âge. Mais ceux qui ne font pas de bruit vont tracer leur route pendant que tu vas devoir encaisser de lourdes désillusions. Tu vas beaucoup apprendre, mais ça va faire très mal. Ça va briser tes croyances les plus profondes, celles sur lesquelles tu as bâti ton identité et il y aura des moments où tu ne voudras plus être de ce monde. Ça ira à la fin, rassure-toi. Cependant, si tu arrives déjà à voir au-delà des écrans de fumée qui te charment, tu gagneras un temps précieux pour avancer vers ce qui te correspond vraiment. Ne te fie pas aux apparences.
Fais ce que tu aimes
Ton esprit est très stratégique. Tu te mets des filets de sécurité à n’en plus finir dans l’attente d’un plus tard idyllique. Simultanément, ta vie n’a pas encore commencé et tous les possibles sont disposés devant toi. Résultat ? Tu te disperses et tu combles à la dernière minute les manquements et les loupés. Tu fais tout en même temps et tu le fais plutôt bien. Le problème, c’est que quand le niveau s’élève dans un secteur, tu es obligée de t’y consacrer et de mettre en pause ce qui te fait vibrer. Tu optes pour le secteur qui va te rapporter le plus d’argent, un statut, une réussite sociale. Arf, ce n’est pas une bonne stratégie, crois-moi. L’énergie, tu le verras, n’est pas illimitée. Quand on a dilapidé l’enthousiasme qui nous restait pour faire plaisir aux autres ou pour sauver les apparences, on s’en veut. Alors que, faire ce que tu aimes te donnera l’énergie d’avancer, quelles que soient les galères qui se présentent à toi. Fais ce que tu aimes.
Ne t’inquiète pas, la vie est bien faite
Je te vois passer du rire aux larmes en un quart de seconde. Quand tu es au fond du gouffre, tu as l’impression que ton problème enferme tout le champ des possibles et que plus jamais tu ne seras heureuse. Ça s’appelle l’état d’enfer. Bergson explique qu’il n’y a pas de degré dans la souffrance : quand on a mal, ce n’est jamais pour du semblant, quelles que soient les circonstances. Je te comprends. Pourtant, rien ne dure, tu sais, la vie est faite de cycles et de phases. Les mauvais moments t’entrainent à rebondir. Il n’y a rien qui ne t’arrive que tu ne puisses résoudre, crois-moi, tu as des ressources insoupçonnées. Tu sais dans la nature, tout corps qui grandit souffre. Une poussée de croissance ou une plaie qui cicatrise s’accompagne souvent de grandes douleurs. C’est bon signe, parce que le vivant est fait pour s’améliorer, se réparer, s’adapter, croître. Au niveau professionnel et relationnel, un échec est toujours le début de quelque chose. Les sorties sans issues n’existent pas : il y a des portes qui ouvrent sur de nouvelles portes. Tu ne sais pas encore ce que tu vas découvrir, ce que tu es capable de faire et la puissance qui dort en toi. Alors, ne t’inquiète pas, la vie est bien faite.
Profites des personnes que tu aimes, elles ne sont pas éternelles
Je vais dire une phrase de vieux. Le temps passe à une vitesse phénoménale. C’est la pure vérité. Jacques Prévert, que tu affectionnes déjà, écrit un très beau poème à ce sujet.
« On laisse tout pour plus tard, comme si « après » était à nous.
Car après ce qu’on comprend, c’est que :
Après, le café se refroidit ;
Après, les priorités changent ;
Après, le charme est rompu ;
(…) Après, les enfants grandissent ;
Après, les parents vieillissent ;
Après, les promesses sont oubliées ;
(…) Après, la vie se termine. »
Profite maintenant de l’essentiel. Ta grand-mère est encore vivante, va la voir. N’oublies pas de dire je t’aime, de serrer tes proches dans tes bras et de leur rendre service quand ils te le demandent. Profite des personnes que tu aimes, elles ne sont pas éternelles.
Ne t’enferme pas dans le regret, tire leçon
Lorsque tu échoues, en compétition notamment, ça pique ! Tu voudrais recommencer de suite, faire comme si rien ne s’était passé. Mais le travail que cette frustration va faire sur toi te rendra meilleure à la prochaine session. Moralement, c’est pareil. Il faut laisser reposer les erreurs et les fautes pour bien les comprendre. Regretter, c’est croire que quelque chose de magique va pouvoir te sortir instantanément de ta culpabilité et de ta frustration. Ce n’est pas comme ça que tu dois t’y prendre. Tu as besoin de digérer ce qui t’arrive avant d’espérer être quelqu’un de meilleur. Oh cette gaffe monumentale que tu as faite en n’invitant pas S. à ton anniversaire, alors que tu lui avait fais miroiter l’inverse ! Tu t’es sentie tout à coup démasquée, égoïste, méchante et tu es revenue en arrière artificiellement. C’était pire. Il va peut-être s’écouler des années avant que tu ne puisses sincèrement t’excuser. Ça ne fera plus mal à ton égo à ce moment-là parce que tu auras le recul nécessaire pour te regarder sans te condamner. Tu ne peux pas savoir à quel point cette situation est courante. Beaucoup de connaissances que tu croyais inébranlables vont t’avouer leurs erreurs passées avec humilité et tu en seras stupéfaite. Ne t’enferme pas dans le regret, tire leçon.
Fais simple, obstinément
Ah, les sensations tu aimes ça. Tu voudrais conquérir l’univers entier, lire tous les livres, connaitre tous les pays, avec une sociabilité ultra riche. Ta soif me fait envie, surtout parce que je sais comment on se sent quand on ne veut plus rien. Cependant, tu fais fausse route quand tu cherches à te désaltérer en cumulant du matériel, en dispersant à tout vent tes envies ou en multipliant les expériences superficielles. On ne peut pas tout connaitre, tout faire et découvrir la clé secrète du fonctionnement universel. Nos choix referment forcément l’étau des possibles sur nous au fil du temps, mais la simplicité ouvre la voie à un bonheur plus profond, moins volatile. Si tu choisis sciemment la sobriété, tu découvriras à quel point elle te nourrit. En vrai, tu as déjà tous les germes de ton futur bonheur en toi, aller chercher dans le sensationnel est un leurre pour ceux qui passent leur vie à se rêver. Je crois aujourd’hui que le sensationnel est le résultat d’un truc simple qui a été bien fait. Fais simple, obstinément.
Sois discrète, pour vivre heureux vivons cachés
Quelle pipelette ! Tu es capable de raconter ta vie entière à un mec que tu viens de rencontrer et de le regretter après, quand il se sert de tes faiblesses contre toi. « Il ne peut pas faire ça ! ». Si et tous les suivants feront sûrement pareil. Protège-toi. Reste en observation avant de t’impliquer, de te blesser ou de t’engager. Regarde comment les autres font, aussi longtemps que nécessaire, pour choisir en conscience quel comportement adopter. Je sais à quel point tu aimes donner ton avis, être considérée, valorisée. Ce sont tes actes qui conduiront à ce résultat, pas ce que tu dis de toi ou que tu promets de faire. Il y aura peut-être des années d’anonymat, Madame je veux tout tout de suite, mais c’est le prix à payer. D’ailleurs, ne gaspille pas ton énergie pour convenir aux autres, mais entretiens assidûment la flamme au fond de ton cœur. Je suis culcul la praline hein ? Ça se peut 😉
Voilà, j’ai fini en tout cas. Ça fait bizarre de se faire traiter de vieille relou par une merdeuse comme toi, mais je t’aime, tu sais. On est lié pour la vie toi et moi. Ce qui te fait souffrir décuple mon mal-être, alors s’il te plaît, essayes d’écouter mes conseils avant de te prendre des gamelles. C’est pas que je sache mieux que toi ce qui m’attends, mais si j’ai pu te donner quelques astuces pour t’orienter dans le noir, c’est chouette !
Alors, chère lectrice, est-ce que ces clefs toutes subjectives ont fait vibrer quelque chose en toi ? Qu’est-ce que tu aimerais lui dire à ton ado intérieure ?
Charlotte, web journaliste pour Celles qui Osent
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