En matière d’avortement, les États-Unis sont particulièrement régressifs. Au début du mois de septembre, le Texas a, par exemple, fait passer une loi interdisant toute pratique d’IVG au-delà de six semaines de grossesse. Avant cela, d’autres États conservateurs ont également statué sur la durée réglementaire pour avorter ou sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, notamment en fermant les cliniques le pratiquant. Sur le long terme, l’objectif est simple : déposséder les femmes de leur propre corps, dans un but religieux et politique.
Le Texas : un État conservateur anti-IVG
Le 1er septembre dernier, l’État texan, majoritairement républicain et conservateur, a voté une loi interdisant l’avortement dès que les battements de cœur du foetus sont perceptibles, c’est-à-dire à partir de la sixième semaine de grossesse environ. Un tel texte pose problème, car au bout d’une telle durée, les femmes sont nombreuses à ignorer qu’elles sont enceintes. Par exemple, 85 % des Texanes avortent une fois les six semaines de grossesse dépassées. De plus, inutile de rappeler que se faire avorter nécessite parfois un temps de réflexion nécessaire pour certaines femmes qui seront contraintes, avec cette nouvelle mesure, à agir dans l’urgence.
Ce texte de loi s’applique également aux victimes de viol et d’inceste. Seule une raison médicale permettrait de déroger à la règle des six semaines. Joe Biden, l’actuel président des États-Unis, a réagi à la loi votée par l’État du Texas en déclarant qu’elle était inconstitutionnelle, car contraire à l’arrêt Roe vs Wade, le texte à l’origine de la légalisation de l’avortement aux États-Unis en 1973. L’administration Biden a ainsi porté plainte contre le Texas, alors que la Cour Suprême a pour l’instant refusé d’intervenir. Contrairement aux autres États américains ayant tenté de faire passer une telle loi dans le passé, ce nouveau texte incite les citoyens à faire respecter la mesure anti-avortement en les encourageant à dénoncer toute organisation ou personne qui aiderait une femme à avorter au-delà du délai de six semaines. Il s’agit d’une première dans l’histoire de l’interruption volontaire de grossesse aux États-Unis, car jusqu’à maintenant, les autres États considéraient qu’il revenait aux autorités – et non aux citoyens – de faire régner les mesures réduisant l’accès à l’avortement. La loi prévoit que les Américains qui engageront des poursuites percevront au moins 10 000 dollars de dédommagement en cas de condamnation.
Les défenseurs de cette loi ont d’ailleurs déjà posté des formulaires en ligne pour ceux souhaitant y entrer des « informations anonymes ». Face à une telle mesure, Merrick Garland, le ministre de la Justice américain, a déclaré que cela allait inévitablement mener à un phénomène de délation et transformer les citoyens en « chasseurs de prime ». Concernant les ONG et associations de défense des droits des femmes, la vice-présidente Kamala Harris a reçu les représentantes du planning familial américain et a déclaré :
« Le droit des femmes à disposer de leur corps est non négociable. »
Roe vs Wade : la légalisation de l’avortement aux États-Unis
Aux États-Unis, l’avortement est protégé par l’arrêt Roe vs Wade, datant de 1973. Selon le texte de loi, le droit à la vie privée est garanti par l’amendement 14 de la constitution américaine et s’étend à la décision d’une femme de se faire avorter. En 1970, une Texane de 21 ans du nom de Norma McCorvey a tenté, pour avoir recours à l’IVG de manière légale, de faire croire aux autorités qu’elle avait été violée. Les lois texanes régulant l’avortement étant assez floues à l’époque, il est alors difficile de savoir si un viol peut légalement justifier une interruption de la grossesse, et l’affaire est vite classée. Sarah Weddington, une avocate pro-choice (c’est ainsi que l’on appelle les militants en faveur de l’avortement aux États-Unis) s’empare du cas de Norma McCorvey et gagne le procès en appel. Durant le procès, Norma prend le nom de Jane Roe pour rester anonyme. Henry Wade est alors le gouverneur de Dallas en fonction, et représente l’État du Texas au cours du procès. Le texte de loi porte depuis leurs deux noms.
Fun fact : Norma McCorvey a finalement accouché d’un enfant qui a été adopté par la suite. Elle s’est convertie au protestantisme et est devenue farouchement pro-life, c’est-à-dire opposée à l’avortement. Elle a plus tard déclaré que le rôle qu’elle avait joué dans Roe vs Wade était en réalité la plus grosse erreur de sa vie.
Interruption volontaire de grossesse aux USA : une véritable croisade
Depuis les années 1980, le parti Républicain, à majorité anti-IVG, mène une véritable croisade contre l’avortement dans le sud du pays, là où il est le plus présent en raison de la forte implantation d’une communauté fondamentaliste protestante. Il s’agit de la fameuse Bible belt, la « ceinture de la Bible », qui désigne les États du Sud et du Midwest.
Selon le Guttmacher Institute, un institut de recherche américain dont le travail porte essentiellement sur la santé sexuelle, 40 % des Américaines en âge de procréer vivent dans un État hostile à l’avortement. C’est six fois plus qu’en 2000. Aujourd’hui, les lois restrictives envers l’avortement se multiplient : l’Alabama, le Missouri, la Caroline du Sud, la Géorgie, la Louisiane… Au total, douze États américains ont déjà tenté de faire passer une loi similaire à celle que le Texas vient d’adopter. Mais contrairement au Texas où ce sont les citoyens qui sont encouragés à dénoncer les IVG dépassant les six semaines réglementaires, les autres États prévoyaient d’encadrer et de surveiller les citoyennes par le biais de leurs autorités, ce qui a été jugé anticonstitutionnel. Pour le moment, la Cour Suprême, majoritairement républicaine depuis la présidence de Donald Trump, a refusé de se prononcer sur la constitutionnalité du texte de loi texan. Les Républicains ont plusieurs fois tenté de réviser l’arrêt Roe vs Wade, et l’opinion publique américaine est de plus en plus clivée quant à la question de l’avortement.
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Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
Sources :
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/07/avortement-au-texas-washington-promet-de-proteger-les-cliniques-pratiquant-des-ivg_6093655_3210.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/02/pourquoi-la-loi-tres-restrictive-au-texas-menace-le-droit-a-l-avortement-aux-etats-unis_6093173_3210.html
https://www.guttmacher.org/united-states/abortion
https://information.tv5monde.com/info/etats-unis-la-deferlante-anti-avortement-303516
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