L’histoire de Madam C. J. Walker, née Sarah Breedlove, est digne d’une success-story. Elle est la première Afro-Américaine à devenir millionnaire en partant de rien. En faisant fortune aux États-Unis grâce au développement et à la vente de produits capillaires, elle s’est imposée comme l’une des pionnières de l’entrepreneuriat féminin. Philanthrope, elle est également reconnue comme une femme engagée, ayant défendu les droits civiques et l’émancipation des noires dans son pays. Celles qui osent revient sur la biographie de Madam C. J. Walker et retrace le parcours et les évènements qui ont mené cette fille d’esclaves à la tête d’un empire de la cosmétique.
Les prémices du parcours audacieux de Sarah Breedlove
Une enfance difficile dans les champs de coton
C’est en Louisiane, aux États-Unis, que naît Sarah Breedlove le 23 décembre 1867. Deux ans seulement après l’abolition de l’esclavage, elle est la première de sa fratrie à naître libre. Ses parents, anciens esclaves, continuent à travailler dans les plantations de coton et vivent dans des conditions déplorables, comme des milliers d’Afro-Américains. À l’âge de 7 ans, Sarah perd sa mère. Deux ans plus tard, son père meurt à son tour. Des Breedlove, il ne reste alors que les enfants : Sarah, ses quatre frères et sa sœur aînés.
D’orpheline à mère veuve
La jeune Sarah est alors prise en charge par sa sœur et son beau-frère, Jesse Powell. Ils s’installent à Vicksburg, dans le Mississippi. À 14 ans, pour fuir le comportement violent de Jesse et obtenir un semblant d’indépendance, Sarah épouse un certain Moses McWilliams. De cette union naîtra A’Lelia, en juin 1885. En 1888, la mort de son mari la laisse seule pour subvenir aux besoins de sa fille. Sarah décide de partir à la recherche d’une meilleure vie et s’installe à Saint-Louis, dans le Missouri, où elle retrouve ses frères.
La vie à Saint-Louis
Pour entretenir A’Lelia, Sarah devient blanchisseuse pour des familles de la ville. Elle s’installe dans un petit logement situé dans une rue bien connue de la police pour les meurtres et les agressions qui y ont lieu. Régulièrement, la précarité et le climat de terreur la poussent à déménager. En 1893, une nouvelle tragédie frappe sa famille lorsque son frère aîné meurt. C’est pendant cette période de deuil que Sarah entame une relation avec John Davis. Cet homme, avec qui elle se marie pour obtenir un peu de respectabilité selon les mœurs de l’époque, s’avèrera violent, alcoolique, peu travailleur et menant une double vie. Comme un coup du sort, la maladie emporte deux autres de ses frères en l’espace d’un an.
Alors que son union avec John Davis se termine, une nouvelle commence. Sarah rencontre celui qui devient son troisième époux en 1906, Charles Joseph Walker. Ils divorceront quatre ans plus tard, mais elle conservera son nom, avec lequel elle se fera connaître.
Madam C. J. Walker : bio d’une incarnation du rêve américain
L’origine du succès
Deux facteurs sont à l’origine de ses débuts dans la vente de produits capillaires : l’éducation de son enfant et ses propres problèmes de cheveux. En effet, après avoir mené une existence difficile, la seule priorité de Madam C. J. Walker est de scolariser sa fille et lui offrir une bonne qualité de vie. Comme l’explique sa descendante A’Lelia Bundles :
« Quelles que soient les aspirations que Sarah avait pour elle-même, ses espoirs pour Lelia étaient encore plus grands. La possibilité que sa fille passe sa vie à fréquenter les bars ou à se pencher sur une planche à laver a motivé Sarah à travailler plus dur. »
Par ailleurs, à l’époque de sa relation avec John Davis, Sarah commence à souffrir de sérieuses affections du cuir chevelu qui causent une calvitie partielle. Le stress, un environnement hostile, le manque d’hygiène dû à des conditions précaires et les produits utilisés en blanchisserie sont sûrement à l’origine de ses problèmes. Elle découvre alors les soins capillaires d’une certaine Annie Turnbo Malone et devient une de ses commerciales. Convaincue par l’efficacité des baumes et voyant là une opportunité d’être plus indépendante, elle se lance dans la confection de sa propre formule et crée le Wonderful Hair Grower.
Un business florissant
Depuis ses débuts dans la vente de produits capillaires, l’ambition de Madam C. J. Walker ne cesse de croître. En créant sa propre marque, elle prend enfin l’envol dont elle rêve. Elle fait d’abord connaître son Wonderful Hair Grower localement et reçoit ses clientes dans un modeste salon.
Sa fille A’Lelia vient lui prêter main-forte. Elle s’occupe des affaires de sa mère lorsque celle-ci parcourt le pays pour présenter son baume et former ses commerciales. En l’espace de deux ans, le soin rencontre tellement de succès qu’il devient difficile de faire face aux nombreuses commandes. Vers 1908, la famille s’installe à Pittsburgh où leur salon de coiffure accueille de plus en plus de clientes. La cheffe d’entreprise, toujours en quête d’évolution, part ensuite pour Indianapolis avec un rêve en tête : faire construire une usine. En 1910, la Madam C. J. Walker Manufacturing Company voit le jour. Elle ne fermera qu’en 1981.
À sa mort en 1919, elle est à l’origine d’une marque ayant déjà créé des milliers d’emplois, des salons spécialisés à travers le pays et toute une gamme de produits capillaires reconnus. En somme, elle est un exemple de leadership au féminin. Prévoyante, elle investit également dans différents biens immobiliers, s’assurant ainsi des rentes au cas où son business viendrait à couler sous le poids de la concurrence grandissante dans le domaine des cosmétiques.
L’art du marketing
Madam C. J. Walker est bien consciente qu’une grande importance est accordée à la chevelure d’une femme. L’apparence des cheveux d’une personne témoigne de sa classe sociale. Au début du 20e siècle, les femmes noires, dépourvues de droits civiques et d’opportunités économiques à cause de leur couleur et de leur sexe, souffrent d’oppression. Elles tentent par tous les moyens de répondre aux critères de beauté fixés par la société américaine. À cette époque, c’est la Gibson Girl, personnage créé par l’illustrateur Charles Dana Gibson, qui représente l’idéal féminin. Sarah ose alors s’affranchir du conformisme et aller contre ces standards en se servant de sa propre image pour promouvoir ses soins. Elle s’adresse ainsi à toutes les femmes de couleur en ciblant leurs besoins.
L’entrepreneure ingénieuse est très innovante dans sa manière de faire connaître ses produits. Elle est par exemple la première à utiliser des photos « avant-après » pour démontrer l’efficacité de ses soins. À une époque où Internet et Photoshop n’existent pas, c’est un argument plus que convaincant.
Une femme engagée en faveur des droits civiques des Afro-Américains
En plus d’être un exemple de réussite dans sa carrière, Madam C. J. Walker marque les esprits par son côté philanthrope et engagé. Durant sa vie, elle soutient financièrement diverses associations luttant en faveur des droits civiques des Afro-Américains comme l’African American Young Men’s Christian Association (YMCA). Elle indique également dans son testament qu’une grande partie de ses profits à venir devraient être reversés à des orphelinats et des œuvres de bienfaisance. Elle s’assure ainsi que sa fortune permette aux Afro-Américains les plus défavorisés d’avoir accès à une éducation, des soins médicaux, etc.
Elle ne cesse de dénoncer les discriminations et les injustices sociales opprimant le peuple afro-américain. Cette activiste condamne notamment les lois Jim Crow qui prévoyaient la ségrégation des noirs et des blancs dans les lieux publics et milite contre le lynchage. Pour son époque, elle est révolutionnaire.
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Success-story de Madam C. J. Walker : une source d’inspiration
Self Made, la mini-série Netflix
Le succès de l’entrepreneuse partie de rien a tellement inspiré qu’en 2020, le géant américain retrace sa carrière à travers une mini-série de 4 épisodes. En se basant sur On her own ground, The life and times of Madam C. J. Walker, une biographie écrite par son arrière-arrière-petite-fille A’Lelia Bundles, Netflix adapte à l’écran le parcours de l’autodidacte. Bien que cette série soit inexacte, ne montrant pas certains faits réels et ajoutant quelques éléments fictifs, elle donne une bonne idée de ce qu’a été la vie de Sarah Breedlove, interprétée par l’actrice Octavia Spencer.
MCJW Beauty : une marque inspirée de Madam C. J. Walker
Près d’un siècle après sa disparition, cette femme ambitieuse et son ascension dans le milieu cosmétique suscitent toujours autant d’admiration. Dans les rayons des magasins Sephora aux États-Unis, on trouve aujourd’hui des soins capillaires de la marque MCJW Beauty, qui s’est inspirée de cette personnalité courageuse et de sa gamme de produits.
Madam C. J. Walker est donc un modèle incontesté de réussite qui a charmé plusieurs générations et influence encore de nos jours. Elle a bâti un empire en partant de rien et a contribué à faire progresser la cause de sa communauté, s’inscrivant dans l’histoire comme une icône incontournable.
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Adeline Cransac pour Celles qui Osent
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW
Sources :
- Bundles (A’Lelia), On her own ground, The life and times of Madam C. J. Walker. Éd. Scribner, New York, 2001
- https://www.britannica.com/biography/Madam-C-J-Walker
- https://aleliabundles.com/
1 Comment
Article très intéressant, et finalement d’une actualité brûlante (malgré le siècle et demi qui nous sépare de la naissance de Sarah Breedlove) à l’heure où la civilisation occidentale s’efforce d’éradiquer les discriminations homme-femme d’une part, les discriminations raciales d’autre part. Le combat vient de loin et sera encore long, mais le progrès est en marche.