Le terme woke est issu de l’anglais et signifie « éveillé » en français. Il décrit un état d’éveil, de prise de conscience face à l’injustice, notamment en ce qui concerne les inégalités de genre et raciales. Le mot, qui existe depuis les années 1960, a été réactualisé aux États-Unis avec la naissance du mouvement antiraciste Black Lives Matter en 2014. Aujourd’hui, une partie de la droite intellectuelle et politique française dénonce la woke culture, qu’elle appelle aussi le « politiquement correct », ou la « bien-pensance ». Mais au fait, qu’est-ce que le wokisme et que veut dire « être woke »?
L’origine de la culture woke
Le mot woke est issu de la lutte des années 1960 en faveur des droits civiques pour les Afro-Américains. Martin Luther King avait d’ailleurs, dans un discours prononcé en 1965 à l’université d’Oberlin (Ohio), appelé les jeunes générations à rester éveillées et à s’engager sur ces questions-là :
« Il n’y a que trop de gens qui, dans une grande période de changement social, ne parviennent pas à adopter les nouvelles perspectives mentales que la nouvelle situation exige. Il n’y a rien de plus tragique que de dormir pendant une révolution. Il est indéniable qu’une grande révolution se déroule aujourd’hui dans notre monde. Il s’agit d’une révolution sociale, qui balaie l’ordre ancien… Le vent du changement souffle, et nous assistons aujourd’hui et à notre époque à un développement important. … Le grand défi auquel est confronté chaque individu diplômé aujourd’hui est de rester éveillé à travers cette révolution sociale. »
Selon plusieurs historiens, le terme woke serait même issu du XIXe siècle, où les anti-esclavagistes se décrivaient alors comme wide awake (« bien éveillés ») sous la présidence d’Abraham Lincoln.
La woke culture est réactualisée en 2014 avec les émeutes du mouvement Black Lives Matter (BLM), né à la suite du meurtre, par la police, de Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans. Le mouvement BLM se diffuse sur les réseaux sociaux et ses militants appellent les citoyens américains à être « éveillés » face à l’oppression systémique et raciste que subissent les Noirs aux États-Unis.
Plus tard, le mot s’est également retrouvé au cœur des luttes féministes. En 2017, lors de la marche des femmes (un rassemblement politique et féministe s’étant déroulé dans plusieurs villes aux États-Unis pour protester contre l’élection de Donald Trump), la woke culture est au cœur des panneaux brandis par les militantes, qui prônent l’intersectionnalité des luttes.
Que veulent les personnes qui se disent woke ?
La culture woke s’inscrit dans une vision intersectionnelle de la lutte féministe, qui rejoint le combat des mouvements anti-racistes et écologiques. L’intersectionnalité est un concept proposé pour la première fois par Kimberley Williams Crenshaw dans les années 1990. L’universitaire afro-américaine évoque l’ensemble des discriminations simultanées subies par les femmes noires en raison de leur genre et de leur couleur de peau. Le sens du terme a été élargi et inclut aujourd’hui toutes les formes de discriminations (validisme, classisme…) ainsi que la lutte écologique.
L’historien Pap Ndiaye, spécialiste de l’histoire sociale des minorités aux États-Unis écrit à propos de la culture woke :
« Il est question de changement de mode de vie, de manière d’habiter, de se déplacer, de cohabiter sur la Terre avec ses habitants non humains. Les assignations de genre et les identités sexuelles sont profondément remises en question ».
Que reproche-t-on au wokisme ?
En juillet 2021, Jean-Michel Blanquer, ministre chargé de l’Éducation nationale, avait annoncé lancer à la rentrée 2021 un « laboratoire républicain » contre le wokisme, au sein duquel on retrouve une cinquantaine de parlementaires comme Aurore Berger ou Francis Chouat, de LREM, et des intellectuels et essayistes comme Caroline Fourest et Jacques Julliard. Selon Jean-Michel Blanquer, « ces mouvements sont une profonde vague déstabilisatrice pour la civilisation. Ils remettent en cause l’humanisme, issu lui-même de longs siècles de maturation de notre société » et contribuent à l’essentialisation des identités. Pour autant, le lancement d’un tel projet paraît disproportionné quand on sait que selon un sondage IFOP, 14 % des Français déclarent avoir déjà entendu parler de wokisme, et seulement 6 % d’entre eux savent le définir.
Ce que l’on reproche également à la culture woke, c’est le manque de nuances. Selon le politologue François-Bernard Huyghe, le wokisme met en place un manichéisme construit sur le prisme dominant / dominé, dont on ne peut sortir :
« Tout est genre, race, ethnie, identité sexuelle, religieuse, phobie et haine… Bref c’est culturel (rien n’est naturel). On se range forcément entre clan des oppresseurs et camp des victimes. Et, « verticalement », on joue société contre individu, vilain monde contre gentil. »
Aujourd’hui, le débat public et médiatique est gangrené par la question woke. On est soit « éveillé », donc prêt à assurer le tournant social, soit réactionnaire, conservateur, voire raciste ou misogyne. Pour éviter de tomber dans des discussions passionnées et dominées par le prisme de la droite et de la gauche, rappelons-nous du sens originel du mot woke, à savoir la sensibilité à toutes les formes d’injustice sociale.
Ainsi considérée, comment être contre la culture woke ?
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Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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1 Comment
Bonjour,
Merci pour cet article équilibré. Voilà ce que disait feu le regretté Pierre Desproges, à une époque pas si lointaine. C’est applicable au wokisme, selon moi. Quand on se prétend éveillé, il faut tout voir, c’est tout de même le minimum.
« J’adhérerai à SOS-racisme quand ils mettront un S à racisme. Il y a des racistes noirs, arabes, juifs, chinois et même des ocre-crème et des anthracite-argenté. Mais à SOS-Machin, ils ne fustigent que le Berrichon de base ou le Parisien-baguette. C’est sectaire. Mais attention, il ne faut pas me prendre pour un suppôt de Le Pen sous prétexte que je suis contre tous les racismes ».
Philippe Asensio.