Le jour des Morts doit-il toujours être funèbre ?

La mort est un phénomène naturel. La Terre a vu naître et disparaître des milliards d’êtres humains. À l’échelle de la France, 1 français sur 4 vit le deuil chaque jour*. Dans l’Histoire, la vie et la mort ont toujours été intimement liées. Assimilée à un voyage, à une libération, à un sommeil ou au néant, elle est joyeuse ou triste selon les cultures. La plupart des rites mortuaires résultent de la religion. Dans nos sociétés occidentales, la perte d’un proche est une épreuve tragique, qui met le moral en berne. Célébrée le 2 novembre, la fête des Morts est le jour où la tradition chrétienne invite à se recueillir sur la tombe des proches disparus. Elle est souvent synonyme de tête… d’enterrement. Pourtant, il existe d’autres traditions ancestrales dans le monde qui honorent les défunts dans la joie. Car, après tout, pourquoi fêter les morts devrait être triste ? Décryptage non morbide avec Celles qui Osent d’un phénomène qui peut être… festif !

Le jour des Morts le 2 novembre : une fête chrétienne plutôt morose

Selon le dictionnaire Larousse, la mort est la « perte définitive par une entité vivante des propriétés caractéristiques de la vie, entraînant sa destruction ». Elle se définit par le moment où les organes s’éteignent et signent la cessation de la vie. Pas de quoi se réjouir…

Progressivement, nos sociétés occidentales ont évacué la mort de la scène sociétale. Les mourants, isolés, meurent, loin de chez eux, et sont pris en charge par des professionnels de santé, dans des institutions spécialisées. Contrairement à une idée répandue, la fête des Morts n’a pas lieu le 1er novembre, jour de La Toussaint (la fête de tous les saints), mais le lendemain, le 2 novembre. Ce jour-là, il est d’usage d’aller se recueillir sur la tombe de nos défunts, chrysanthèmes et parapluie à la main. Pourtant, d’année en année, on constate une baisse progressive de la fréquentation des visiteurs des cimetières. L’éloignement géographique des familles, le désamour pour la foi catholique et l’augmentation des crémations (pour lesquels les lieux de mémoire ne sont pas forcément au cimetière) sont des facteurs qui expliquent ce désintérêt croissant.

L’hommage aux défunts évolue, notamment pour la jeune génération. D’après une étude de 2019 intitulée « Les Français et les obsèques » menée par la Chambre syndicale nationale de l’art funéraire (CSNAF), 38 % des 18-39 ans ne se rendent jamais au cimetière ! Le rapport indique que pour les millenials, la célébration du souvenir ne se déroule pas au crématorium, mais dans le simple recueillement, « en pensant au défunt ». Le souvenir s’invite désormais sur les réseaux sociaux, et pas uniquement le jour de la fête des morts. Les applications comme Instagram, Twitter ou Facebook se chargent de rappeler à leurs utilisateurs les dates d’anniversaire… de nos morts ! De plus, il est possible pour la famille ou les proches de créer une page Facebook spécifiquement dédiée au défunt. Le deuil et le chagrin s’affichent désormais en ligne, comme une nouvelle façon moderne d’honorer l’être disparu.

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La fête des Morts au Mexique : se recueillir dans la joie

Avez-vous vu le dessin d’animation Coco de Disney-Pixar ? Dans ce film, le jeune Miguel se retrouve propulsé dans le Pays des Morts, un endroit coloré et flamboyant dans lequel évoluent les défunts, représentés par des squelettes.

La mort prend alors une tout autre dimension, plus festive. La traditionnelle fête des Morts remonte à la civilisation des Aztèques. C’est l’un des événements les plus populaires du pays. Los díos de los muertos est l’occasion de célébrer, joyeusement, les proches qui nous ont quittés. Le 1er novembre est traditionnellement consacré aux « angelitos », les enfants morts et le jour suivant aux adultes décédés. Les Mexicains dressent des autels tels des offrandes au sein de leurs maisons et se retrouvent joyeusement, entre vivants et morts. On chante et danse autour des tombes décorées avec des bougies et des fleurs orange, les zempaxuchitl (rose d’Inde). « Pour les Mexicains, il s’agit de recréer une connexion avec les amis, les proches et les ancêtres décédés en mêlant le souvenir et la célébration festive », affirme Andrew Chesnut, professeur d’études religieuses à l’université de Virginie. Le poète et essayiste Octavio Paz écrivait :

« Pour l’habitant de Paris, New York ou Londres, la mort est ce mot qu’on ne prononce jamais parce qu’il brûle les lèvres. Le Mexicain, en revanche, la fréquente, la raille, la brave, dort avec, la fête, c’est l’un de ses amusements favoris et son amour le plus fidèle. »

La fête des Morts est aussi célébrée dans d’autres pays d’Amérique latine, dans le sud-ouest des États-Unis parmi la communauté hispanique, au Guatemala, mais aussi aux Philippines. Le jour des Morts est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.

 

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Les croyances religieuses ritualisent le deuil

« La mort n’est qu’une étape dans le grand cercle de la vie. Elle renforce une relation spirituelle avec les ancêtres tout en assurant une consolidation de nos rapports avec la jeune génération. » Gilles Ottawa, historien

Pour les athées, la mort ne recèle aucun mystère : le cœur s’arrête, le corps plonge dans un sommeil éternel et la vie s’éteint. Woody Allen a déclaré « La mort est un état de non-existence. Ce qui n’est pas n’existe pas. Donc la mort n’existe pas. »

Pour les croyants en revanche, mourir est un rite de passage symbolique et spirituel.

Une des caractéristiques communes à toutes les religions est de proposer une conception de l’au-delà de la mort. D’ailleurs, cet « au-delà » n’est atteignable que si l’on a respecté les recommandations divines tout au long de sa vie. La ritualisation de la mort résulte de notre besoin d’agir, de symboliser et de rendre cohérent cet évènement. Dans certaines religions (hindouisme, jaïnisme, bouddhisme, etc.), la croyance en la réincarnation est forte ; l’âme migre, au moment de la mort, et passe dans un autre corps. Dans le Christianisme, la mort sépare le corps de l’âme, immortelle. Au moment de la mort physique, l’âme du défunt subit un jugement particulier, pour atteindre le Paradis.

D’une certaine façon, quand on croit que la vie ne s’arrête pas, que l’âme quitte le corps et perdure dans l’au-delà, la mort n’est pas tragique.

Des rites religieux célèbrent la mort joyeusement

Historiquement, dans l’Égypte Ancienne, la mort ne signifiait pas la fin de la vie, mais le début de celle dans l’au-delà. Cela nécessitait de préserver le corps au mieux, grâce à des procédés comme la momification, première étape pour parvenir à la renaissance et à la vie éternelle.

Dans la Grèce Antique, une pièce était déposée sur les yeux du défunt ; ainsi, il pouvait payer le passeur pour traverser le Styx, fleuve mythique séparant le monde des vivants de celui des morts.

Pour les Vikings, la mort ne signifiait pas la fin absolue, mais seulement le passage à une autre forme d’existence.

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L’hindou croit en une vie après la mort, le corps n’étant qu’une enveloppe matérielle temporaire. Au moment du décès, l’esprit est séparé du corps. Le défunt est enveloppé dans un drap mortuaire, parsemé de fleurs, de senteurs et de « pindhs » (boules de farine et de riz) fabriquées par le prêtre de la communauté. Dans une coupelle, le « dia » est brûlé afin de nourrir l’âme du défunt. L’homme le plus proche du défunt se rase la tête et fait don de sa chevelure. En Inde, l’incinération est très pratiquée, car elle simplifierait la réincarnation. Le Gange étant un fleuve sacré, les cendres du défunt y sont souvent déposées.

En Haïti, la célébration traditionnelle des Guédés est aussi commémorée les 1er et 2 novembre. Typiques de la religion vaudou, les Guédés représentent les esprits de la mort. En cette occasion, les vodouisants organisent des cérémonies et célèbrent les dieux de la mort. Elles donnent lieu à des moments d’exaltation et de danses intenses, témoignages de gratitude des vivants envers leurs ancêtres.

En Afrique, vie et mort sont liées. Inséparables. Elles constituent, ensemble, les deux faces de l’existence humaine ; la mort est la conséquence de la vie. Le décès est un moment heureux, car l’âme du défunt vient rejoindre le royaume des ancêtres. Un proverbe africain résume bien cette idéologie :

« La mort est l’aînée, la vie sa cadette ; nous, humains, avons tort d’opposer la mort à la vie. »

Dans le rite musulman, la mort est considérée comme un état de passage. Durant une période de 40 jours, l’âme reste dans la tombe. L’inhumation doit être faite très rapidement, dans les 24 heures suivant le décès, et se fait en pleine terre. Alors, commencent les rites traditionnels et funéraires qui se termineront au 40e jour après l’inhumation. La maison du défunt est ouverte aux visites pour les condoléances. La toilette purificatrice du défunt s’effectue en plaçant le corps tête vers la Mecque. Il est lavé trois fois, essuyé puis enveloppé dans un nombre impair de tissus blancs.

Au Japon, les pratiques funéraires sont empreintes des croyances religieuses dominantes : le bouddhisme et le shintoïsme. Après la mort, les proches humidifient les lèvres du mort pour qu’il puisse se réincarner. Un juzu, chapelet bouddhiste composé de 108 perles représentant les 108 karmas, est placé entre les mains du défunt : ainsi l’âme du mort va devoir renoncer aux désirs humains afin d’atteindre la vertu. Parfois, la famille dispose un couteau sur la poitrine du mort, pour éloigner les mauvais esprits. Le blanc est d’usage pour la veillée funèbre, contrairement au monde occidental dans lequel la tendance est à la couleur noire.

 

La Toussaint ravive les souvenirs des défunts, et questionne souvent notre rapport à la mort. Mystérieuse, existentielle, universelle et taboue, la mort fascine. Pour chacun d’entre nous, la vie s’arrêtera, un jour. Cette idée est terrifiante. Dans nos sociétés modernes individualistes, les rites funéraires, jadis collectifs, se vivent désormais en privé. La jeune génération rend des hommages virtuels, sur les réseaux sociaux, comme une nouvelle façon de se recueillir, publiquement. Certains font le choix de se connecter aux croyances et aux rites religieux afin de donner un sens à cette inéluctable fin. Cependant, les religions ne mettent évidemment pas à l’abri de la souffrance du deuil. Elles peuvent l’atténuer, en entretenant l’espoir de retrouver celui ou celle qui est mort. Ainsi, fêter les morts n’est pas triste. Et vous, Celles qui Osent, comment la célébrez-vous ?

 

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Violaine B – Celles qui Osent

 

Sources :

*https://csnaf.fr/actualites/etude-francais-obseques-2019-en-video
https://www.filsantejeunes.com/le-deuil-a-travers-les-cultures-5238
https://www.etonnants-voyageurs.com/La-fete-des-morts.html

En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent

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