Virginie Despentes est l’un des personnages les plus décriés de France. Tantôt encensée, tantôt dénigrée, la féministe la plus célèbre du pays exerce une étrange attraction mêlée de répulsion. Mais pourquoi un tel déchaînement des passions ? Parce que l’autrice, cinéaste, théoricienne du féminisme et du genre est profondément révoltée, et elle le fait savoir. Despentes est clivante, mais elle n’en a cure. Son combat ? Écraser le patriarcat, créer de nouveaux imaginaires culturels et érotiques et, surtout, envoyer bouler des règles sociales rancies. Découvrez la biographie de Virginie Despentes, écrivaine française reconnue et militante infatigable.
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La jeunesse torturée d’une rebelle ivre de liberté
Virginie Daget voit le jour le 13 juin 1969 à Nancy, au sein d’une famille modeste. Son père, postier syndiqué à la CGT, lui transmet le virus de la contestation. À l’école primaire, c’est une élève bagarreuse qui préfère les BD de Wolinski à la Bibliothèque rose. Adolescente, Virginie s’ennuie. Pour tuer le temps, elle vagabonde avec ses amis punks et cherche les embrouilles. Indisciplinée, extravagante et impulsive, elle multiplie les fugues… Ses parents, désemparés, la font interner de force en hôpital psychiatrique à seulement 15 ans. L’expérience, loin d’être thérapeutique, va entraîner sa déscolarisation et la pousser à se tenir loin des institutions.
Virginie a 17 ans, elle revient d’Angleterre avec une amie. Prise en stop puis piégée, elle subit un viol. Cet évènement traumatique nourrira sa réflexion et formera la matière de ses futures créations. Elle niera d’abord l’impact tragique de cette agression sur sa psyché, pour confier, 20 ans plus tard :
« Il est fondateur, de ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus tout à fait une. C’est à la fois ce qui me défigure et me constitue. »
Biographie de Virginie Despentes : de la galère à la gloire
L’exploration des bas-fonds
Virginie obtient son baccalauréat en candidat libre et vit de petits ménages. Elle décide de se consacrer au cinéma et s’inscrit dans une école lyonnaise, l’actuel ARFIS. Hébergée dans le foyer La Croix-Rousse, elle sombre dans l’alcool et se passionne pour Bukowski, qui accompagne son ivresse alcoolique d’une ivresse littéraire. La jeune femme enchaîne les jobs précaires comme baby-sitter, vendeuse de disques ou pigiste pour des magazines rock. Elle complète son salaire en se prostituant occasionnellement grâce au Minitel rose, les salons de massage et autres peep-shows.
Baise-moi : l’entrée fracassante de Despentes en littérature
En un mois, Virginie écrit le roman qui va lancer sa légende : Baise-moi. Elle n’a que 23 ans ! Dans la sphère littéraire, l’accueil est glacial. À l’époque, trouver des textes féministes, a fortiori traitants du viol est un réel défi. Son manuscrit circule, mais uniquement dans des cercles alternatifs. Elle intègre un squat parisien et vit pleinement l’effervescence anticonformiste de cette époque.
En 1994, elle est vendeuse en librairie et a écarté toute ambition littéraire. Mais un ami présente son texte à Florent Massot, un éditeur promouvant la contreculture ; il est séduit. Virginie choisit le nom de plume de Despentes : un hommage aux pentes de la Croix-Rousse à Lyon, mais aussi aux reliefs accidentés, aux aléas de la vie.
Elle envoie son livre à Patrick Eudeline qui en tire une chronique passionnée. Thierry Ardisson en fera ensuite la publicité dans son émission Paris Dernière. L’ouvrage se vend à plus de 40 000 exemplaires ; il n’est plus question de diffusion sous le manteau, mais d’accueil sur les plateaux. Laurent Chalumeau dans Nulle Part ailleurs sur Canal + va promouvoir le roman qui devient subitement branché. Mais la critique littéraire s’empourpre et peine à présenter l’œuvre pour ce qu’elle est. Despentes arrache ce voile de pudeur pour affirmer haut et fort que oui, elle a bien été « pute ».
Découverte des microcosmes parisiens et célébration du style Despentes
En 1995, elle rencontre Ann Scott : les deux autrices explorent ensemble le milieu parisien lesbien et transgenre. L’année suivante, elle publie Les chiennes savantes, son premier roman policier. Suite à la faillite de son éditeur, elle collabore avec les éditions Grasset qui publient son troisième roman Les jolies choses. C’est un succès ; elle reçoit le prix de Flore de 1998 puis le prix littéraire Saint-Valentin l’année d’après. Plus rien ne semble stopper la fougueuse artiste qui, à 30 ans, prend la décision d’arrêter l’alcool, drogue trop violente et insidieuse.
Le film Baise-moi : un nouveau scandale médiatique
En 2000, Despentes entreprend d’adapter à l’écran le livre-choc qui l’a fait connaître. Les scènes doivent être percutantes et authentiques, hors de question de simuler. Elle s’entoure de professionnelles aguerries ; Coralie Trinh Thi est co-réalisatrice tandis que Karen Lancaume et Raffaëla Anderson forment un duo d’actrices troublant.
Le film sort en juillet 2000, et la critique est profondément choquée. Une tribune intitulée Sexe, violence, le droit d’interdire relayée par le Nouvel Observateur sera portée par des activistes de tout bord. Le Conseil d’État rétropédale et annule le visa d’exploitation. D’abord interdit aux moins de seize ans, le film est finalement classé X, mais la censure attire, et l’œuvre circule à l’international.
La liberté de créer et d’être
Despentes est une artiste très sollicitée ; elle signe nombre de nouvelles, de préfaces et de tribunes dans de grandes revues nationales, tourne des clips, des documentaires et surtout, solidifie sa réputation littéraire. En 2002, elle s’éloigne de son image sulfureuse avec son quatrième roman Teen Spirit. Deux ans plus tard, elle publie Bye Bye Blondie, roman inspiré de sa propre vie.
Après un passé ponctué d’histoires d’amour hétérosexuelles, elle jette son dévolu sur la philosophe Beatriz Preciado (devenue Paul. B. Preciado) théoricienne de la déconstruction du genre. Leur relation, entre Paris et Barcelone, durera dix ans.
La bombe King Kong théorie
L’écrivaine publie en 2006 l’une de ses œuvres majeures King Kong théorie, livre magistral entre l’autobiographie et l’essai, qu’elle présente comme un manifeste pour un nouveau féminisme. Ses idées bousculent les codes et influencent toute une génération. Ses propos scandalisent, mais déploient de nouvelles perspectives politiques, sociales et philosophiques.
Profitons-en pour rappeler que non, Despentes n’a rien contre les hommes. Elle dénonce au contraire les terribles dégâts occasionnés par le système patriarcal, quel que soit son genre :
« La tradition machiste est un piège, une sévère restriction des émotions, au service de l’armée et de l’État. Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité. Qu’est-ce que ça exige, au juste, être un homme, un vrai ? Répression des émotions. Taire sa sensibilité. Avoir honte de sa délicatesse, de sa vulnérabilité. Quitter l’enfance brutalement, et définitivement : les hommes-enfants n’ont pas bonne presse. Être angoissé par la taille de sa bite. […]. Afin que, toujours, les femmes donnent les enfants pour la guerre, et que les hommes acceptent d’aller se faire tuer pour sauver les intérêts de trois ou quatre crétins à vue courte. »
L’art de la représentation
En 2010, Despentes publie Apocalypse bébé, un thriller tout aussi sombre et inquiétant que drôle et tendre. Du pur Despentes ! L’écrivaine remporte le prix Virilo, puis le prestigieux prix Renaudot la semaine suivante…
Elle repasse derrière la caméra en 2012 pour l’adaptation de Bye Bye Blondie, et choisit deux comédiennes iconiques : Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart. Despentes modifie l’intrigue originale au profit d’une histoire d’amour homosexuelle :
« Je suis devenue lesbienne […] j’ai découvert d’un coup que je n’étais plus représentée au cinéma, à moins d’aller dans les festivals gays et lesbiens. En France, il n’y a eu aucun film à gros budget depuis Gazon maudit […]. »
Virginie Despentes : une écrivaine française reconnue
L’autrice écrit rapidement le premier tome de Vernon Subutex et ce qui ne devait être qu’un petit roman se transforme en trilogie devenue culte, publiée entre 2015 et 2017, puis adaptée par Canal +.
Puis, un étrange tour de force s’opère : la marginale pointée du doigt devient officiellement juge du bon goût littéraire. Elle est choisie comme jury du prix Fémina en 2016, puis comme jury du Goncourt ! Ne pouvant cumuler les deux titres, elle rejoint le second. Virginie profitera de sa position pour promouvoir des auteurs marginalisés, puis quittera l’assemblée quatre ans plus tard.
En 2019, elle reçoit le prix de la BNF pour l’ensemble de son œuvre. La punk sans bagage académique prouve qu’il n’y a pas besoin de transiger pour faire entendre sa voix.
Une femme profondément engagée
Despentes profite de son aura pour mettre en lumière les injustices. Ce fût notamment le cas après la tumultueuse 45e cérémonie des Césars, durant laquelle Adèle Haenel quitta la salle suite à la victoire polémique du cinéaste Roman Polanski. Ce geste courageux inspire l’écrivaine féministe qui en tire une tribune passionnée dans Libération. De ce texte devenu viral, on retiendra cette phrase forte : « Désormais, on se lève et on se barre ».
Cette guerrière enragée dénonce, au sein d’une société blanche et bourgeoise, le manque de diversité criant en politique comme dans les médias et la culture, en bref, dans toutes les sphères d’influence. Étant devenue elle-même une privilégiée, la légitimité de sa parole est fréquemment remise en question, mais Despentes rappelle :
« Je suis passée d’un monde à l’autre. De la marge et de la classe moyenne qui galère, au monde des artistes pleins de thunes […]. Ça fait 20 ans que je n’ai pas bossé […]. Et en même temps, je ne peux pas dire : « Je ne comprends plus de quoi tu parles, je ne me souviens plus. » »
Une géante de la culture française
Virginie se fait la chroniqueuse de son temps et décrit avec force de détail ce qui fait une époque ; son art, ses mots, ses luttes, ses rêves et ses interdits… Le clodo ou la pute, sous la plume de Despentes, retrouve noblesse, intelligence et sensibilité, en bref, une humanité arrachée de force par une société effrayée par la marge. Despentes, c’est aussi l’histoire d’une culture underground devenue mainstream, et d’une féministe révoltée qui laisse à la littérature française ses nouveaux classiques contemporains. On partage ses idées ou pas, mais on ne peut rester insensible face à la puissance de ses convictions et la passion avec laquelle elle les défend.
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Marie-Ange Fernandez, pour Celles qui osent.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Références
Teen Spirit, Grasset, 2002
Bye Bye Blondie, Grasset, 2004
King Kong Théorie, Grasset, 2006
https://www.franceculture.fr/personne-virginie-despentes.html#biography
https://www.bnf.fr/fr/virginie-despentes-prix-de-la-bnf-2019-bibliographie
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[…] de son interdiction). En France, le point de vue pro-sexe est par exemple incarné par l’autrice Virginie Despentes , qui écrit dans son essai King Kong […]
[…] pensée ne fait pas l’unanimité, mais est incarnée à travers des figures publiques, comme Virginie Despentes par exemple, qui se revendique héritière de la pensée de […]
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