Le couple hétéro est-il une arnaque pour les femmes ? C’est la question à laquelle tente de répondre Lucile Quillet, journaliste indépendante, dans son dernier livre Le Prix à payer, ce que le couple hétéro coûte aux femmes. Auteure du livre Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière, celle qui écrit sur la société et la vie professionnelle des femmes brise le tabou de la corrélation entre argent et amour. « Où passe l’argent des femmes, celui qu’elles ont et celui qu’elles n’auront jamais ? […] J’ai réalisé tout ce que l’idéal du couple hétéronormé leur coûtait. » Son analyse porte sur la condition financière des femmes avant, pendant et après le couple. Certes, compter est un tue-l’amour. D’ailleurs, l’argent n’a rien à voir avec l’amour, symbole du don de soi par excellence. Pour la journaliste, le constat est sans appel : le ménage hétéro est défavorable aux femmes. En quoi y a-t-il tromperie ? Pour le savoir, commençons par compter !
Pas le temps ou l’envie de nous lire ? Écoutez cet article lu par l’équipe de CQO ! ⬇️
Former un couple hétéro : un choix coûteux pour les femmes
L’intrigue du film Bridget Jones illustre parfaitement le combat qui anime des millions de femmes depuis des siècles : celui de ne pas rester célibataire ! Car l’être, c’est rétrograder, devenir une ratée, inutile. Même Dalida le chante, il faut trouver quelqu’un, Pour ne pas vivre seule. Pourquoi former un couple hétéro est-il la norme ? Parce que l’hétérosexualité constitue une supériorité idéologique qui sacralise la reproduction, la survie de notre espèce, la grande œuvre de l’Humanité. Il symbolise un idéal de bonheur, un objectif pour s’intégrer dans la société. Être en couple avec un homme fait de nous quelqu’un de normal. Dès l’enfance, nous sommes éduquées pour devenir de vraies femmes, celles qui aiment, donnent, comprennent, enfantent et épousent. Selon Monique Wittig, les lesbiennes dérangent, car elles « sont la preuve vivante que les femmes ne sont pas nées les domestiques naturelles des hommes ».
Afin de devenir « la meilleure version de soi-même », les femmes investissent beaucoup de temps, d’énergie et d’argent dans la beauté et la séduction. Dans le livre King Kong Théorie, Virginie Despentes s’interroge d’ailleurs sur le coût du ticket d’entrée sur le fameux marché de la « bonne meuf ». Incarner l’idéal hétérosexuel glabre et mince a un prix ! Comparez la somme de vos produits avec celle de votre partenaire, et vous verrez que ce jeu coûte cher !
Dans une vidéo hilarante sur Instagram, l’humoriste Inès Reg imagine une dispute de couple dans laquelle elle propose à son compagnon de sortir dîner. Mais celui-ci lui propose d’aller dans un célèbre fast-food. Elle énumère alors son budget « la veste que j’ai sur moi, Zara 35 euros, le débardeur Mango, 20 euros, le pantalon 25 euros Uniqlo […] Les calculs sont pas bons Kevin ! »
Simone de Beauvoir écrivait à propos de la femme dans Le Deuxième sexe que « le but des modes auxquelles elle est asservie n’est pas de la révéler comme un individu autonome, mais au contraire de la couper de sa transcendance pour l’offrir comme une proie aux désirs mâles. » C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le male gaze, regard masculin dominant qui établit ce qu’est une belle femme aux yeux d’un homme. Le rapport de l’ISAPS estime que 87,4 % des clientes de la chirurgie esthétique sont des femmes. Un chiffre sans appel…
Pour certaines, hétérosexualité et féminisme semblent être incompatibles. Ainsi, Olympe de G. a déclaré récemment faire une « une grève de l’hétérosexualité » sur son compte Instagram. Mais découvrez comment allier hétérosexualité et féminisme.
Les femmes : les « nulles de l’argent », dépensières ou altruistes ?
Dépensières, mauvaises en maths, entretenues, oisives ou frivoles, les femmes sont, au regard de la société, les « nulles de l’argent ». Celles qui en ont sont rapidement cataloguées comme vénales ou dangereuses.
Rappelons que les femmes ont dû attendre 1965 pour ouvrir leur propre compte en banque et n’ont pu pénétrer la Bourse de Paris qu’en 1967. Le sexisme demeure toujours présent, car dans l’imaginaire commun, l’argent reste un attribut de pouvoir viril, puissant, stimulant l’ego des hommes.
Beaucoup de femmes se pensent nulles en argent. Pourquoi sont-elles si frileuses quand il s’agit de parler et de gérer leur argent ? Catherine Lott-Vernet, consultante et co-auteure du livre Les filles, osons parler argent ! encourage les célibataires, mariées ou divorcées à prendre les commandes de leur patrimoine.
En couple, 64 % des partenaires se font confiance et mettent leur argent en commun. Certains optent pour la politique du 50/50, en principe égalitaire. Sauf que les femmes gagnent probablement moins que leurs conjoints et que les calculs ne peuvent donc pas être équitables. Quand on opte pour le prorata, l’écart de niveaux de vie et les choix de vie (vacances, voyages) qui en découlent peuvent s’avérer problématiques et renforcer l’idée de « dette » entre les partenaires.
La statisticienne Delphine Roy, dans son étude L’argent du ménage, qui paie quoi ?, a conclu que les femmes mettent davantage en commun leur argent dans des dépenses collectives et celles du quotidien (qui semblent dérisoires à ceux qui ne les payent pas sur le long terme…). Pour les femmes, l’argent est un moyen de mettre en sécurité la famille alors que pour les hommes, c’est un vecteur de plaisir et de réussite personnelle.
La charge sexuelle du couple hétéro est attribuée… aux femmes
Ensuite, il faut maintenir ce niveau d’exigence corporel, rester désirable, acheter de la lingerie, surveiller son poids même après une grossesse. Pour nous faire passer la pilule, on associe les rituels cosmétiques à des sources de plaisir et de détente. Bien sûr, nous avons entièrement le choix de ne pas investir des milliers d’euros dans notre apparence. Arrêter de s’épiler (et ainsi d’économiser des centaines d’euros par an chez l’esthéticienne) ou ne plus porter de soutien-gorge push-up. Mais il faudra faire face aux remarques désobligeantes. « Tu pourrais faire un effort… » La société de consommation a tout intérêt à ce que les femmes dépensent pour être belles ; l’économie de la beauté appartient à des hommes puissants…
Les femmes portent aussi la charge sexuelle du couple : elles doivent anticiper d’éventuelles grossesses et investir dans une contraception, qui n’est pas toujours remboursée. D’après la Haute Autorité de santé, pour les pilules prises en charge, il reste à la charge des patientes entre 18 et 38 euros annuels. De plus, peu de partenaires s’informent de savoir si la femme prend ou non la pilule avant l’acte. La contraception semble être un problème de femmes…
Les femmes se chargent aussi d’allumer la flamme, séduire et maintenir le désir. Elles investissent davantage dans les livres de développement personnel pour préserver leur couple et faire en sorte que tout aille bien (car bien sûr, le bien-être de la relation est supporté par les femmes en grande majorité). D’après les principes conventionnels hétérosexuelles, il faut tenir pour « finir ensemble » et pouvoir solder « une vie réussie ».
Les mères apportent le « salaire d’appoint » dans un couple hétérosexuel
Une fois mères, il incombe aux femmes une implication et une disponibilité totale dans leurs emplois du temps vis-à-vis de leurs enfants. On exige d’elles qu’elles fassent passer l’intérêt de leur progéniture avant le leur. Elles limitent aussi leurs vies professionnelles et donc leurs salaires pour être disponibles. Près de 40 % modifient leurs activités après l’arrivée d’un enfant, leurs salaires deviennent ceux d’appoint. D’après une étude de l’Insee Première de 2014, les femmes gagnent en moyenne 42 % de moins que leur conjoint. Dans 75 % des couples, le « gros salaire » est celui de l’homme. Sa carrière devient prioritaire, se construisant sur le temps altruiste offert par la femme qui prend soin du foyer, gratuitement, sans obtenir de reconnaissance sociale.
« Quand un homme se marie, il épouse une femme de ménage gratis », Delphine Seyrig, actrice, 1972
D’après l’Insee, les hommes bénéficient de 38 minutes de temps de loisirs en plus par jour. Les femmes passent 30 289 millions d’heures par an aux tâches ménagères contre 11 779 millions d’heures pour les hommes (données 2012). Pourtant, nombre de femmes témoignent de leur gratitude vis-à-vis de leurs maris. « J’ai de la chance, il m’aide ». Dans le sens inverse, peu d’hommes renvoient le compliment à leurs conjointes. Les gains sont invisibles, mais réels : l’épouse offre un confort de vie, entretient les relations sociales, éduque les enfants et déleste le cerveau de leur conjoint de la charge mentale du foyer. Pour le travail domestique, d’après l’Insee et Eurostat 2017, 80 % des femmes font le ménage et/ou la cuisine tous les jours contre 36 % des hommes. Une femme en couple ajoute 7 h de travail domestique à sa semaine, quand un homme en enlève 2.
La dessinatrice de BD Emma a d’ailleurs très joliment illustré le concept de charge mentale en exprimant l’injustice ressentie au sein du couple.
Celles qui refusent de faire le choix de la carrière ou des enfants, que l’on félicite d’être des wonder women, s’épuisent. À choisir, vous préférez le burn-out professionnel ou parental ?
Pour mettre en place une répartition plus juste des tâches ménagères au sein du couple, lisez notre résumé de l’ouvrage de la journaliste Titiou Lecoq, Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale
Vous ne savez pas comment faire face à votre charge mentale au quotidien ? Suivez nos conseils.
Mère au foyer, la « profiteuse » sous dépendance
En France, on comptabilise 2,1 millions de femmes au foyer. « Être mère est le plus beau métier du monde », mais il n’est pas pourtant considéré comme tel. Dans nos sociétés, un homme qui entretiendra toute sa vie une femme grâce à son salaire sera bien plus valorisé que ce que la femme lui a offert en don domestique. L’épouse qui reste à la maison demeure la profiteuse, celle qui a une belle vie. Pourtant, personne ne valorise ce qu’elle produit. Peu de gens pensent à leur culpabilité de dépenser l’argent qu’elles ne gagnent pas. La société a encouragé ce modèle au 20e siècle, car une épouse dévouée au foyer stabilisait et permettait aux hommes d’être de meilleurs ouvriers, plus productifs.
Aujourd’hui, l’État entretient ce modèle inégalitaire, par économie, en se basant sur l’entraide et la solidarité financière entre conjoints, même si cela alimente les rapports de domination et de dépendance, terreau des violences conjugales.
Vieillir seules et pauvres
Séparées ou veuves, les femmes ne récoltent pourtant que peu de gratitude. D’après une étude de l’Insee de 2016, 1 mariage sur 2 conduit à un divorce. Après la séparation, une femme perd 20 % de son niveau de vie contre 3 % pour un homme. Un cinquième des femmes divorcées deviennent pauvres suite à une séparation (d’après une analyse de l’Insee 2020). Nombre d’épouses ignorent le patrimoine de leur mari, ou se contentent d’une maigre pension alimentaire. Pire, d’autres doivent courir après l’argent qui leur est dû.
Les femmes décèdent souvent après leurs conjoints et s’occupent parfois de leurs maris jusqu’à leur mort, leur évitant le coût d’une prise en charge en maison de retraite.
D’après la DREES, les retraitées perçoivent 40 % de pension en moins que les hommes (merci le temps partiel ou le congé parental…)
Aimer un homme n’appauvrit pas une femme. Vivre dans un couple hétéro, si. Les hommes, mais aussi l’État, qui maintient le patriarcat comme la norme, tirent des bénéfices de leur dévotion invisible, car d’après Lucile Quillet, « les femmes donnent dans la vie et sont censées ne jamais s’arrêter de donner. » La société entière, basée sur un système hétéronormé, fait des économies sur l’abnégation des femmes. Pourtant, les hommes dépendent de leur bon vouloir sans quoi, ils n’auraient pas pu s’enrichir. Grâce à son livre, Lucile Quillet rend justice à toutes celles qui renoncent à leur argent, sans le savoir, par amour. Il serait peut-être intéressant d’envisager une politique qui revalorise le travail invisible des femmes… Qu’en pensez-vous ?
Vous ne savez pas dire non ? Celles qui Osent vous aide à affirmer vos refus, oser dire non et à mener une communication constructive.
Violaine B — Celles qui Osent
Sources :
– Le prix à payer, ce que le couple hétéro coûte aux femmes, Lucile Quillet 2021
– Insee
3 Comments
[…] Pour aller plus loin : ce que le couple hétéro coûte aux femmes […]
[…] La journaliste Lucile Quillet, dans son dernier livre Le Prix à payer, s’interroge sur ce que le couple hétéro coûte aux femmes. […]
[…] 👀 Découvrir l’article : Le couple hétéro est-il une arnaque pour les femmes ? […]