Pendant longtemps, l’abstinence, dans l’imaginaire public, concernait les membres du clergé, les PAM (ces couples qui affirment être opposés au sexe avant le mariage), ou autres catégories de personnes jugées étranges et anormales. Dans nos représentations collectives, la sexualité positive est celle qui correspond à la « norme ». Avoir trop de rapports sexuels est considéré comme anormal et malsain, tout comme c’est le cas pour ceux qui n’en ont pas du tout. Or depuis quelques années, l’abstinence semble être devenue un choix féministe assumé. Celles qui Osent s’interroge : en quoi renoncer à la sexualité, est-ce un acte engagé ?
Revendiquer la chasteté pour libérer les femmes
Certaines figures se sont démarquées au fil de l’histoire par un choix assumé de chasteté, qui n’avait rien à voir avec le religieux. Par exemple, dans Lysistrata, une pièce de théâtre écrite par l’auteur grec Aristophane, les femmes entament une grève du sexe pour dissuader leur mari de continuer à faire la guerre.
Madeleine Pelletier, elle, n’était pas mariée. Née en 1874, elle est la première femme à être médecin psychiatre, à une époque où les fonctions libérales sont encore inaccessibles aux femmes. Son engagement est multiple, et elle est sans doute l’une des figures les plus intéressantes du féminisme du début du XXe siècle. Habillée en homme, les cheveux courts, Madeleine Pelletier défendait publiquement une virginité militante, et rejetait toute forme de sexualité, qu’elle soit hétérosexuelle, ou homosexuelle. Contre le mariage et le couple, elle défend l’égalité totale des hommes et des femmes, ainsi que l’avortement, et considère la maternité comme constamment avilissante. Elle mourra d’ailleurs dans un asile psychiatrique, suite à une condamnation par la justice française en raison d’un avortement qu’elle aurait pratiqué sur une patiente. Dans son podcast « Sortir de la sexualité », la documentariste Ovidie rend hommage à cette femme, trop peu connue.
Le lesbianisme politique : bannir les relations hétérosexuelles
Le lesbianisme politique, ou lesbianisme radical est une pensée majoritairement initiée par la philosophie Monique Wittig, dans son livre La pensée straight. Selon ce courant, le seul moyen de lutter contre le patriarcat et la domination systémique des femmes, notamment dans le couple, est de tout simplement bannir les relations hétérosexuelles. Les femmes pourront ainsi s’émanciper de tout carcan oppressif, sans se rendre « complices », selon Wittig, d’un système dominateur, le couple hétérosexuel étant considéré comme tel.
Attention, Monique Wittig ne souhaite pas que toutes les femmes deviennent lesbiennes, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Les femmes peuvent être lesbiennes, oui, mais aussi bisexuelles, ou choisir le célibat et l’abstinence. Cette pensée ne fait pas l’unanimité, mais est incarnée à travers des figures publiques, comme Virginie Despentes par exemple, qui se revendique héritière de la pensée de Wittig.
La révolution asexuelle : quand la sexualité déçoit
Longtemps considérées comme tabous, l’abstinence et l’asexualité, qui ne désignent pas les mêmes choses, sont de plus en plus abordées dans les médias et la littérature contemporaine. D’un côté, l’abstinence a une valeur morale, tandis que l’asexualité concerne les personnes n’éprouvant aucun désir sexuel. Et cette dernière semble de plus en plus acceptée. D’après une enquête du journal Le Monde, plus de 4 jeunes de 15 à 24 ans sur 10 n’ont pas eu de rapport sexuel en 2021. Cette abstinence est révélatrice d’une manière de résister à la dictature de la performance : la révolution asexuelle est en marche.
Dans son livre La révolution asexuelle, ne pas faire l’amour, l’essayiste Jean-Philippe de Tonnac a justement enquêté sur ces personnes dont la sexualité est inexistante. Après la révolution sexuelle des années 1970, l’accès à la contraception et à l’avortement, la normalisation et l’accessibilité aux centres de santé sexuelle et reproductive, c’est comme si la sexualité, aujourd’hui, était devenue plus difficile à obtenir. C’est la thèse défendue par l’écrivain. Il est vrai que quand on consulte les réseaux sociaux, quand on regarde des films, ou lisons des livres contemporains : une bonne sexualité, celle qui nous fait jouir et nous rend heureux, semble acquises d’office. Comme s’il ne restait plus rien à conquérir. Et dans son essai, Jean-Philippe de Tonnac évoque justement la sexualité comme quelque chose qui peut forcément être amenée à nous décevoir, d’où le rejet de cette dernière par certains, comme une espèce d’instinct de protection.
Pour aller plus loin, découvrez notre article qui vous explique pourquoi les droits sexuels sont à défendre au Maroc à travers le recueil de témoignages intitulé Sexe et mensonges — Histoires vraies de la vie sexuelle des femmes au Maroc de la journaliste et écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani.
Voici aussi notre sélection des 3 meilleurs podcasts qui parlent de sexualité.
Victoria Lavelle, Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
2 Comments
L’asexualité comme refus du patriarcat et de tous les abus sociétaux qui lui sont liés (violences sexuelles et psychologiques, viols, inceste). Une attitude de défense. Un (non) acte militant. Peut-on aimer sans sexe : oui ! Peut-on avoir des enfants sans sexe : oui ! À moi, ça me va très bien. Merci d’avoir traité ce sujet 🙏💪
[…] idée inspirée du socialisme, dont elle se revendique. Elle défend d’ailleurs une « virginité militante », voyant la sexualité, le couple, le mariage et la maternité, comme de facto […]