La fin du XIXe siècle voit la naissance d’une invention qui révolutionne l’art : le cinématographe. Alice Guy est la première femme à avoir eu l’idée de faire rêver le public grâce à cette invention. Elle veut raconter des aventures qui sortent le public de son quotidien. Ce nom ne vous dit probablement rien alors qu’elle est la réalisatrice de plus d’un millier de films. Qui est-elle ? Comment une femme avec tel impact a-t-elle pu être passée sous silence ? Découvrez la première cinéaste de l’histoire.
Sa reconnaissance par l’industrie française
Alice Guy est née à Saint-Mandé, le 1er juillet 1873. Ses parents tiennent une chaîne de librairies au Chili, où ils repartent quelque temps après sa naissance. Elle sera confiée à ses grands-parents pour vivre en Suisse jusqu’à ses 3 ans. Les aller-retour entre le Chili et la France vont ponctuer la vie de la jeune femme qui entreprend des études de sténographie — Écriture abrégée qui permet de noter la parole à la vitesse de prononciation normale —. C’est un métier rare et demandé à cette époque.
Elle devient secrétaire au comptoir général de la photographie à 21 ans. Léon Gaumont rachète l’établissement en 1894, soit un an après son arrivée. La même année, elle assiste à une démonstration privée de l’invention en vogue : le cinématographe. Elle a pu admirer la projection de l’Arroseur arrosé, par les frères Lumières.
La majorité des diffusions de cette époque représentent des séquences de la vie quotidienne. Alice veut faire rêver les spectateurs en captant d’autres scènes plus proches du théâtre. Cependant, elle a besoin de matériel de tournage pour montrer sa vision du cinématographe. Léon Gaumont accepte de lui prêter sa caméra pour s’exercer à condition qu’elle expérimente en dehors de ces horaires de travail.
« M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu son consentement. Ma jeunesse, mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. » | Alice Guy
La Fée aux choux sort en 1896. Alice Guy en est la productrice et la réalisatrice, ce qui fait d’elle la première réalisatrice de l’histoire de l’industrie cinématographique. À la suite du succès de ce premier film, Gaumont la nomme directrice de production de la société L. Gaumont et Cie.
Sa carrière est lancée. Loin de rester sur ses acquis, elle continue à explorer l’univers de la fiction en utilisant de nombreuses techniques de narration tirées de la littérature. Elle affine la psychologie de ses personnages, développe des procédés de trucage, exploite la double exposition, les flash-back, ose tourner en extérieur, et prône un jeu d’acteur naturel. Ce dernier point s’éloigne de l’interprétation « outrée » très en vogue à cette époque.
En plus d’être pionnière sur la fiction, elle réalise le premier péplum avec La Vie du Christ en 1906. La production impressionne avec ses 35 min de films, plusieurs centaines de figurants et d’autant plus de costumes.
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La conquête des États-Unis d’Alice Guy
En 1907, elle épouse Herbert Blaché. Les amants se sont rencontrés quelques années plus tôt, lorsqu’il était le représentant de l’entreprise L. Gaumont et Cie en Allemagne. Léon Gaumont propose à Blaché de diriger le studio The Flushing à New York, opportunité qu’il accepte. Le couple s’envole vers la côte est des États-Unis.
Trois ans plus tard, Alice Guy devient la première femme à créer une société de production avec la fondation de la Solax Film Compagny. Dans un premier temps, Léon Gaumont lui loue un plateau de tournage pour ses films.
Lorsque l’opportunité se présente, elle fait construire son studio particulier à Fort-Lee. Pathé ou encore Goldwyn Pictures Corporation louent ses espaces. De par la superficie du lieu et la diversité de ses pièces, l’endroit devient incontournable sur la côte est. Elle devient l’une des femmes les mieux payées du cinéma.
Ce statut ne l’empêche pourtant pas de repousser les limites posées par l’industrie et les mœurs du début du XXe siècle. En 1912, elle produit le premier Western gay avec Algie the Miner. La même année, elle réalise le premier film dont tous les rôles sont distribués à des acteurs noirs avec A Fool and his Money.
En plus d’inventer le concept de making-of — l’idée de filmer un tournage —, elle travaille sur l’une des premières superproductions de son époque. Elle tourne Dick Whittington and his cat au sommet de sa carrière. Pour cette pellicule de plus de 35 minutes, le budget exorbitant s’élevait à 35 000 $. À l’image de nos mégaproductions actuelles, un véritable bateau explose pour les besoins de l’œuvre.
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Pourtant, l’activité commence à changer au fil des années. Les courts métrages sont de plus en plus délaissés pour les longs. Cependant, les studios rentabilisent difficilement la production des longs métrages. Alice Guy accepte alors plusieurs films de commande pour continuer à exercer.
Au début des années 1920, le bouleversement se fait plus radical que jamais. Hollywood devient la nouvelle plaque tournante du cinéma américain. Le métier tout entier migre sur la côte ouest. C’est l’une des raisons pour laquelle la Solax Film Company fait faillite.
C’est à la même période que son mari la quitte pour une actrice, et suit le mouvement vers l’Ouest américain. Dans un premier temps, Alice le rejoint avant que le couple ne divorce quelques mois plus tard. Âgée de 50 ans, elle réalise son dernier film. Une âme à la dérive est produit pour un budget de 12 000 $. Ce budget relativement conséquent ne suffira pas à éponger les dettes accumulées ces précédentes années.
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Une pionnière passée sous silence
Ruinée et divorcée, elle décide de rentrer en France. Elle ne trouvera pas d’emploi dans le cinéma, ni à la Gaumont ni dans d’autres sociétés de production. Son succès est presque invisible en France puisque Gaumont a signé la plupart de ses films. Ses collaborateurs masculins se sont attribué ses mérites. Certains n’ont même pas été diffusés en France.
Elle retourne aux États-Unis en 1927 pour tenter de retrouver la trace de ses pellicules. Malgré tous ses efforts, elle en récupère seulement trois.
Après de nombreux déplacements, elle s’arrête dans la ville de Wayne où elle rédige des contes pour enfants sous différents pseudonymes. Au début des années 1930, Léon Gaumont publie l’histoire des productions Gaumont en occultant ceux tournés avant 1907. Outrée à juste titre, elle en exige la réécriture. Sa demande sera acceptée, mais ne sera éditée qu’après sa mort.
En 1947, elle participe à plusieurs conférences pour expliquer son travail et commence l’écriture de ses mémoires. Louis Gaumont, fils de Léon Gaumont, donne une conférence en 1953 pour restituer ses lettres de noblesse à Alice Guy-Blaché. Trois ans plus tard, elle reçoit un hommage de la cinémathèque française en reconnaissance de son œuvre.
Ce n’est qu’en 1963 que la presse s’intéresse à sa vie et publie sa biographie. Elle meurt aux États-Unis en 1968, à l’âge de 94 ans. Bien qu’elle ait commencé à écrire ses mémoires depuis 1947, aucun éditeur ne souhaitait les éditer. Elles seront imprimées à titre posthume en 1976.
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L’invention et la démocratisation du film ont mis de nombreux noms sur le devant de la scène : les frères Lumières, Gaumont, ou encore Méliès pour les plus pointilleux. D’autres ont été injustement effacés et passés sous silence par les historiens du cinéma. C’est le cas d’Alice Guy, pionnière dans la fiction, la production et la réalisation.
Plusieurs acteurs de l’industrie se battent pour la reconnaissance de son œuvre et de son travail. Sans compter les productions à sa mémoire, l’instauration d’un prix Alice Guy permet de lui rendre hommage tous les ans depuis 2018. Ce prix récompense la meilleure réalisatrice de l’année, pour que sa flamme féministe et novatrice continue de guider les cinéastes d’aujourd’hui.
Alex RÉAULT, pour Celles Qui Osent
Sources :
Le Monde, Avec « Alice Guy, l’inconnue du 7e art », Arte redonne vie à la pionnière du cinéma
Prix Alice Guy, Qui est Alice Guy ?
Close Up — Cinéma et Séries : ALICE GUY-BLACHÉ, LA CINÉASTE OUBLIÉE — PIONNIÈRES — ÉPISODE 9
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