Ariane Mnouchkine, femme de culture engagée pour un théâtre social

Elle fait partie des premières metteuses en scène contemporaines à avoir initié un théâtre social, collectif, où comédiens et comédiennes de sa troupe touchaient les mêmes salaires, et ce avant même l’ouverture de l’intermittence aux artistes de théâtre et de cinéma, en 1968. Ariane Mnouchkine, 85 ans, fondatrice du Théâtre du Soleil et artiste de génie sera bientôt l’invitée de notre podcast. Pour l’occasion, Celles qui Osent vous propose de revoir son œuvre à travers une biographie de la metteuse en scène, qui continue d’animer le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes.

La première Société coopérative ouvrière de production au théâtre

Ariane Mnouchkine naît en 1939 à Boulogne Billancourt. Son père, Alexandre Mnouchkine, est un producteur de cinéma russe naturalisé français, dont la société, les films Ariane, a entre autres produit des films de Jean Cocteau, Philippe de Broca ou Claude Lelouch. Sa mère, June Hannen, est issue d’une famille de comédiens britanniques. Les grands-parents d’Ariane Mnouchkine, des Juifs russes convertis à la religion orthodoxe pour pouvoir rester vivre à Saint-Pétersbourg, alors interdite aux Juifs, sont décédés à Auschwitz après avoir exilé en France.

Après son baccalauréat, Ariane Mnouchkine effectue une année à l’université d’Oxford où elle devient membre de l’association de théâtre. Dans une interview accordée à la revue Eléphant, elle explique :

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« Un jour – et je m’en souviens parfaitement –, je suis sortie d’une répétition de Coriolan de Shakespeare épuisée, avec des bleus sur les bras, car je faisais partie de la foule qui récupérait le corps mort du personnage se jetant d’un rocher, et nous avions répété cette scène tout l’après-midi. À cet instant, j’ai su que ce serait ma vie. J’ignorais encore comment et si je deviendrais metteur en scène, comédienne ou accessoiriste, mais c’était décidé. On était alors en 1958 et j’avais 19 ans. « 

A son retour en France, elle se lance dans des études de psychologie pour « faire plaisir à son père », mais passe son temps à l’Association théâtrale des étudiants de Paris, fondée avec des amis qui deviendront plus tard ses coopérateurs au Théâtre du Soleil. Elle se forme alors à l’école de Jacques Lecoq, comédien et fondateur de la prestigieuse Ecole internationale de théâtre et de mime.

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En 1964, à 25 ans, Ariane Mnouchkine et ses amis de l’Association théâtrale des étudiants de Paris fondent le Théâtre du Soleil, la première troupe de théâtre ayant les statuts d’une Société coopérative ouvrière de production  (SCOP). Inspirées des premières associations ouvrières nées au XIXème siècle, les SCOP sont des entreprises dont le capital et le pouvoir de décision sont détenus par les salariés de manière égalitaire.

L’aventure du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine

C’est ainsi que naît le Théâtre du Soleil, qui conserve ce statut de SCOP aujourd’hui et son fonctionnement des années 1960 : même salaire pour toutes et tous, maquillage et habillement en public, dîner servi aux spectateurs avant la représentation, prix très abordables, notamment pour les plus jeunes, avec, en bonus, Ariane Mnouchkine elle-même qui déchire les tickets et salue les spectateurs à l’entrée du théâtre… Toujours dans cette même interview accordée à Eléphant, elle expliquait :

« Notre base, notre fondation, c’était la troupe, comme celle de Molière, comme celle du capitaine Fracasse, c’était par elle que nous serions heureux. Les règles que nous avons établies alors en fondant la compagnie en 1964 sont restées : le salaire demeure le même pour tous les membres de la troupe et nous prenons les grandes décisions, celles qui peuvent changer le destin de la troupe, de façon collective. « 

Ariane Mnouchkine se démarque par des mises en scène assez longues, très visuelles et poétiques. Une grande importance est accordée aux décors colorés et oniriques, aux costumes et au maquillage des comédiens qui rappellent parfois le théâtre de masque. Au cours de sa carrière, elle a mis en scène plus d’une vingtaine de pièces, allant d’un répertoire classique avec des pièces d’Eschyle, mais aussi beaucoup de Shakespeare et surtout des créations imaginées par le Théâtre du Soleil et souvent co-écrites avec la dramaturge Hélène Cixous. Elle ne distribue aucun rôle et n’impose pas de personnages à ses comédiens. Ses pièces sont pensées telles de grandes créations collectives.

Un théâtre d’engagements

Ariane Mnouchkine a pris position à divers reprises sur des sujets variés. En 1997, elle défend la libération du Tibet, envahi par la Chine,  avec sa pièce « Et soudain, des nuits d’éveil », dans laquelle elle a fait jouer des artistes tibétains en exil, et organisera par la suite de nombreux événements sur la question. Elle montre également un fort intérêt pour le théâtre asiatique, et considère le théâtre oriental comme supérieur au théâtre occidental, car « non réaliste », et constitué de mythes et d’épopées qu’elle aime mettre en scène, comme lors de ses deux dernières pièces, « Une chambre en Inde » pour laquelle elle collabore avec des Tamouls, et « L’Ile d’or », d’inspiration japonaise.

Son théâtre, inspiré par les mythologies orientales, est également très actuel. Dans « L’Ile d’or », on retrouvait notamment une critique vivace de la Chine, de Donald Trump, ou encore du changement climatique. En mars 2023, Ariane Mnouchkine et sa troupe sont partis à Kiev, dans une Ukraine en guerre et envahie par la Russie, pour monter une école de théâtre. Fin 2023, elle accueille le metteur en scène Richard Nelson et la pièce « Notre vie dans l’art », qui raconte l’histoire d’une troupe russe en tournée aux Etats-Unis dans les années 1920, après la révolution bolchevique, et interroge sur la liberté de création et l’importance du théâtre au sein des régimes totalitaires. En juin 2024, Ariane Mnouchkine publie une tribune dans Libération dans laquelle elle condamne la montée du Rassemblement national en France et la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, et écrit :

« Concrètement, à quel moment la démocratie est-elle subrepticement, puis notoirement, attaquée ? Que fait-on à la première loi qui passe et qui restreint arbitrairement les libertés ? A quel moment j’arrête ? Quand décide-t-on de fermer le Soleil ? Ou, au contraire, va-t-on se raconter qu’on résiste de l’intérieur ? (…) J’ai 85 ans et j’ai grandi avec cette certitude partagée par ma génération qu’on allait vers le mieux, grâce notamment au programme du Conseil national de la Résistance. La situation actuelle était donc, pour moi, inenvisageable, jusqu’en 2002, quand, pour la première fois, le FN est arrivé au second tour de l’élection présidentielle. Depuis, c’est ma hantise. »

Vous aimez le théâtre ? Vous pouvez lire notre interview de Sandra Vollant, fondatrice du Phénix festival. 

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