Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, a récemment été au cœur de l’actualité internationale lors du putsch de l’armée en Birmanie au mois de février dernier. Femme d’État à la renommée internationale, celle que l’on appelle la Dame de Rangoun a lutté toute sa vie contre la dictature et l’oppression. La dissidente suscite aussi de nombreux débats, notamment en raison de son inaction face au génocide des Rohingyas, minorité musulmane vivant dans l’État d’Arakan au sud-ouest du pays. Icône pour le peuple birman, mais paria pour la communauté internationale, Celles qui Osent revient, à l’occasion d’un article, sur la biographie d’Aung San Suu Kyi.
Études et engagement d’Aung San Suu Kyi : de la Birmanie aux États-Unis
Aung San Suu Kyi, née en 1945, fait partie d’une illustre famille birmane, familière de la lutte en faveur de la démocratie. Son père, le général Aung San, a négocié l’indépendance de la Birmanie auprès des Anglais et sera assassiné par des opposants six mois après la naissance de Suu Kyi. Sa mère, Khin Kyi, a été la première femme ministre birmane, puis la première femme ambassadrice de Birmanie.
Suu Kyi a d’abord été scolarisée dans un établissement anglais, hérité de l’histoire coloniale de la Birmanie. Elle a ensuite étudié en Inde où sa mère était ambassadrice. Après son lycée, elle part étudier la « PPE », Philosophy, Politics, Economics, un prestigieux cursus réservé à l’élite qu’elle suit à l’université d’Oxford, en Angleterre.
À 24 ans, Suu Kyi obtient un travail en tant que secrétaire-assistante du comité des questions administratives et budgétaires à l’Organisation des Nations unies, à New York. Trois ans plus tard, elle épouse Michael Aris, un jeune Anglais rencontré à Oxford, avec qui elle aura deux enfants.
Les débuts politiques de la Dame de Rangoun
En 1988, Aung San Suu Kyi retourne en Birmanie pour rendre visite à sa mère, alors très malade. À cette époque-là, la Birmanie est dirigée d’une main de fer par le général socialiste Ne Win, au pouvoir depuis 1962. Le pays, indépendant depuis 1948, n’a connu que de brefs épisodes démocratiques. Au début des années 1960, Ne Win fait un coup d’État militaire et se proclame Premier ministre.
L’année de retour de Suu Kyi en Birmanie, de nombreuses manifestations pro-démocratie éclatent, et le général Ne Win est contraint d’abandonner le pouvoir au profit d’une nouvelle junte militaire. Fortement marquée par son séjour en Inde lorsqu’elle était adolescente et par la philosophie du Mahatma Gandhi, Aung San Suu Kyi décide, avec l’aide de deux anciens généraux birmans, de créer la Ligue nationale pour la démocratie (LND), un parti politique opposé à la dictature birmane.
Assignations à résidence de la dissidente et prix Nobel
Très vite après la fondation de la Ligne nationale pour la démocratie, Aung San Suu Kyi lance un mouvement de grève, à la suite duquel elle se fait arrêter par la junte au pouvoir. Elle reste assignée à résidence pendant six ans. Malgré sa détention, les soutiens en faveur de Suu Kyi se multiplient, et elle devient connue de la communauté internationale. Sous la pression du peuple, la junte militaire est contrainte en 1990 d’organiser des élections libres et démocratiques, durant lesquelles la Ligne nationale pour la démocratie remporte largement le scrutin.
En l’absence de ses dirigeants et notamment d’Aung San Suu Kyi, la LND refuse de collaborer avec la junte qui interdit aux députés pro-démocratie de siéger au parlement. Les dirigeants birmans annoncent également que la transition vers un régime démocratique se fera sur le très long terme, et nécessitera la rédaction d’une nouvelle constitution. Durant l’année 1991, Suu Kyi reçoit le prix Nobel de la paix et prononce son fameux discours « Freedom from fear », « libérez-nous de la peur ». Devenu un plaidoyer reconnu pour les droits humains, son discours débute ainsi :
« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime… »
« Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. […] Dans un système qui dénie l’existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’État, fut-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de ressurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé. »
Officiellement libérée en 1995, Aung San Suu Kyi ne peut aller en Angleterre rendre visite à ses enfants et à son mari malade, sous peine de ne pouvoir rentrer à nouveau en Birmanie. Entre 1995 et 2002, elle essuie de nombreuses intimidations de la part de la junte militaire. Elle parvient tout de même, grâce à des négociations entre le régime birman et l’Organisation des Nations unies, à être libérée de son lieu de détention. Mais malgré la pression de la communauté internationale, les arrestations aléatoires se poursuivront.
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Libération d’Aung San Suu Kyi et carrière parlementaire
En novembre 2010, la police birmane ôte les barrières obstruant la porte de la maison d’Aung San Suu Kyi. Elle vient de passer, en tout, quinze ans assignée à résidence. Autorisée à se présenter aux élections législatives de 2012, Suu Kyi devient députée et son parti, la LND, rafle les sièges au Parlement, même si ce dernier n’a que peu de pouvoir face à la junte militaire toujours en place.
Engagée pour la Birmanie, Aung San Suu Kyi effectue plusieurs voyages politiques, au cours desquels elle affirme se sentir prête à diriger son pays. En juin 2012 à Oslo, elle reçoit même son prix Nobel de la Paix avec vingt ans d’écart.
La transition démocratique suit son cours et Aung San Suu Kyi remporte à nouveau les élections parlementaires en 2015. Ne pouvant briguer la présidence (un·e candidat·e ne peut se présenter à la présidentielle s’il·elle a été marié·e avec un·e étranger·e, ce qui est le cas d’Aung San Suu Kyi), elle devient conseillère spéciale de l’État et porte-parole de la Présidence. Le 15 mars 2016, Htin Kyaw, proche de la LND, est élu Président de la République birmane. Il est le premier Président à avoir été élu démocratiquement depuis 1957.
Aung San Suu Kyi : une biographie ternie par l’inaction face au génocide des Rohingyas
La popularité internationale de Suu Kyi s’effrite à partir de 2016, alors qu’elle reste adulée en Birmanie. Cette année-là, l’ONU publie un rapport dénonçant de possibles exactions commises à l’encontre de la minorité musulmane des Rohingyas, lors de la mandature précédente. En effet, depuis des années ils sont persécutés par les bouddhistes de la région et les autorités birmanes.
La crise des Rohingyas s’accentue en 2017 lorsque 750 000 d’entre eux sont contraints de se réfugier dans des camps de fortune au Bangladesh. La Birmanie est alors accusée de crime contre l’humanité devant la Cour internationale de justice. En 2019, Aung San Suu Kyi nie toute intention génocidaire de la part de la Birmanie envers les Rohingyas et s’attire les foudres de la communauté internationale, qui lui reproche sa passivité et son inaction.
Coup d’État et dernière arrestation
Peu convaincue par la transition démocratique et avide de pouvoir, la junte militaire a accusé en février 2021 la Ligne nationale pour la démocratie d’avoir falsifié les résultats de l’élection législative de novembre 2020, remportée à 80 % par le parti d’Aung San Suu Kyi. Les militaires instaurent un état d’urgence d’un an et arrêtent, une fois encore, Suu Kyi et ses proches. Plusieurs chefs d’inculpation sont retenus contre elle : mauvaise gestion de « catastrophes naturelles » (covid-19), « possession illégale de talkie-walkie », « viol d’une loi sur les télécommunications ». Un nouveau procès pour corruption, dans lequel on accuse Aung San Suu Kyi d’avoir touché des pots-de-vin, s’ouvrira au mois d’octobre 2021.
Nous espérons que ce portrait d’Aung San Suu Kyi vous a plu ! Nos stories vous intéressent ? N’hésitez pas à aller jeter un coup d’œil sur les dernières que nous avons publiées : Emma Watson, Agatha Christie, Megan Rapinoe…
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
Sources :
https://www.sudouest.fr/international/birmanie-aung-san-suu-kyi-jugee-en-octobre-pour-corruption-5938494.php
https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210201-aung-san-suu-kyi-la-chute-d-une-ic%C3%B4ne-devenue-paria-hors-de-son-pays
https://www.la-croix.com/Monde/aung-san-suu-kyi
https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/birmanie-aung-san-suu-kyi-aux-cases-proces-20210614_ETA5462DMVB6BCELKETICRVDSM/?redirected=1&redirected=1
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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