Quand la guerrière viking de Birka vient bouleverser l’Histoire

En 1878, un tombeau viking est mis au jour sur le site archéologique de Birka, en Suède. Cette sépulture exceptionnelle, richement garnie, témoigne du passé guerrier et de la haute position sociale de celui ou celle qui y repose. Mais à l’époque, pour la communauté scientifique, il ne peut s’agir que de la dernière demeure d’un valeureux combattant. Son rang élevé et son armement ne laissent aucun doute quant à son appartenance au genre masculin. Et pourtant… Dans sa chambre funéraire de Birka, une guerrière viking aura patienté plus d’un siècle pour passer enfin de la légende à l’Histoire. Celles qui Osent revient sur le parcours d’une reconnaissance tardive.

Site archéologique de Birka : de la cité viking à la nécropole

Sur l’île de Björkö en Suède, entre le VIIIe et le Xe siècle, Birka est une cité active et prospère. Elle se situe à la croisée de voies maritimes et d’un vaste réseau de routes menant jusqu’à l’Oural et l’Empire byzantin. 700 à 1 000 personnes vivent ici : des artisans, des guerriers, des négociants… La ville est une importante place commerciale, culturelle et sociale. On s’y échange toutes sortes de produits (de l’ambre, des fourrures, des métaux, de l’argent…) ainsi que des esclaves. Les nombreux contacts avec les autres cultures apportent de nouvelles influences à ce peuple viking.

De nos jours, le site archéologique de Birka, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, est l’un des plus vastes ensembles de sépultures vikings connus de Scandinavie. Sur les 3 000 tombes identifiées, 1 100 ont été fouillées. Elles ont ainsi révélé le riche passé de la ville. À l’écart, sur un promontoire dominant une ancienne garnison militaire, l’une d’elles se distingue par sa situation et le rocher qui marque son emplacement. C’est à la fin du XIXe siècle que l’archéologue Hjalmar Stolpe fouille cette chambre funéraire que l’on nomme Bj.581.

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La tombe viking d’un chef de guerre de haut rang

Dans une excavation rectangulaire tapissée de bois, un corps a été inhumé assis. Il est richement paré de vêtements de soie cousus de fils d’argent. Un remarquable équipement guerrier l’entoure : une lance, une épée, une hache, un couteau, des flèches, deux boucliers et des pièces d’un jeu de stratégie. Deux chevaux sacrifiés, un étalon et une jument, reposent l’un contre l’autre aux pieds de la dépouille.

Tous ces symboles martiaux ne laissent aucun doute aux scientifiques. Le défunt est un combattant viking, très certainement un stratège militaire, ainsi que le suggèrent les pions du jeu retrouvés près de lui. Les éléments observés indiquent qu’il occupait une place très particulière dans la hiérarchie de son clan qui l’a porté en terre avec tous les honneurs.

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Mais si cette tombe est considérée comme étant celle d’un homme, ce n’est pas parce que les restes humains l’affirment. C’est parce que les vestiges découverts sont, pour les archéologues, des attributs forcément masculins. Une conviction qui va perdurer pendant un siècle.

À Birka, une femme guerrière viking sort de l’ombre

Dès 1970, des études ostéologiques émettent l’idée que les restes humains de la tombe Bj.581 pourraient ne pas appartenir à un homme. Une interprétation très controversée alors. En 2014, les travaux de l’archéobiologiste Anna Kjellström, de l’Université de Stockholm, viennent pourtant soutenir cette thèse. Son examen minutieux des os du bassin et de la mandibule lui permet d’affirmer qu’au vu de leurs dimensions, ils ne peuvent être attribués qu’à une femme. Mais ces nouvelles conclusions sont loin d’emporter l’adhésion de la communauté scientifique spécialiste du peuple nordique.

Pour les chercheurs, l’organisation de la société viking est basée sur un système patriarcal. Une certitude ancrée de si longue date est difficile à remettre en question. Certains archéologues restent ainsi convaincus qu’une guerrière nordique tacticienne et meneuse d’hommes, qui plus est d’une telle position sociale, n’a pas pu exister. Ils réfutent donc cette nouvelle interprétation. Ces ossements, depuis leur découverte, ont pu être déplacés, mal référencés ou confondus avec ceux d’une autre sépulture. Ce squelette n’était peut-être pas le seul dans la tombe et on a pu mélanger les os…

En 2017, une équipe suédoise de l’université d’Uppsala, dirigée par l’archéologue Charlotte Hedenstierna-Jonson, procède à de nouvelles analyses. L’extraction de deux types d’ADN va alors apporter de précieuses informations. L’ADN mitochondrial, qui ne se transmet que de la mère à l’enfant, dira si ces ossements sont issus d’un ou de plusieurs squelettes. L’ADN nucléaire déterminera le genre biologique.

Les résultats sont sans équivoque. D’une part, on ne retrouve aucun chromosome Y, d’autre part, l’ADN mitochondrial est le même partout. Par conséquent, les restes humains appartiennent tous à la même personne et cette personne est une femme ! On sait encore qu’elle mesure environ 1,70 mètre et a une trentaine d’années au moment de son décès.

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La guerrière au bouclier, mythe ou réalité ?

La guerrière de Birka n’est ni le seul ni le premier témoignage de ces femmes du Nord portant les armes. De nombreux documents médiévaux décrivent les skjaldmös, personnages féminins en armure, arborant l’épée et le bouclier. Vêtues comme les hommes, elles combattent à leurs côtés. Dans la Geste des Danois, document de référence rédigé vers l’an 1200, le moine et historien Saxo Grammaticus, évoque plusieurs centaines de skjaldmös ayant pris part à la bataille de Brávellir. Un historien byzantin du XIe siècle, Jean Skylitzès, témoigne de leur présence au combat durant la campagne militaire de Bulgarie en 971.

Des sagas nordiques, telles que la Volsunga saga et la Saga de Hervor et du roi Heidrekr, mentionnent, elles aussi, de jeunes femmes guerroyant avec les hommes. De même, la Groenlendiga saga décrit une redoutable combattante brandissant son épée face aux Amérindiens lors d’une expédition en Amérique du Nord. Les références sont nombreuses : Gudrid, Lagertha, Sigrid, Hervor, Freydis… , et leurs noms sont passés à la postérité.

De telles figures féminines sur les champs de bataille sont vraisemblablement à l’origine du mythe des Valkyries, les divinités nordiques. Ces dernières distribuent la mort lors des combats et conduisent l’âme des guerriers au Valhalla, le grand palais d’Odin. Et c’est ce que certains archéologues voient dans les guerrières au bouclier : des représentations mythologiques visant à embellir les récits.

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La difficile reconnaissance d’une guerrière médiévale nordique

Les conclusions de l’étude suédoise, publiées dans l’American Journal of Physical Anthropology, viennent bouleverser la vision communément admise du peuple viking. Elles questionnent également sur l’interprétation donnée aux découvertes archéologiques où un attirail guerrier est systématiquement attribué à un homme.

Pourtant, plusieurs tombeaux de femmes contenant des armes ont été retrouvés. Bien qu’aucun n’ait jamais témoigné d’un tel rang social, ils ont établi depuis longtemps l’existence de guerrières vikings. Malgré cela, « les spécialistes de cette société ont toujours été assez réticents à reconnaître leur existence », affirme Charlotte Hedenstiema-Jonson. Il est donc possible que d’autres tombes aient pu, elles aussi, faire l’objet d’erreurs d’interprétation.

La défiance persiste chez certains membres de la communauté scientifique. Pour eux, rien n’indique que cet équipement appartient bien à la défunte. Ces armes peuvent être « des héritages, des symboles ou des objets funéraires reflétant le statut et le rôle de la famille plutôt que de l’individu ». Les auteurs de l’étude rappellent alors que « l’interprétation des biens funéraires n’est pas simple, mais […] doit être faite de la même manière, quel que soit le sexe biologique du défunt. »

Les femmes dans la société viking : vers un nouveau regard

Les technologies modernes et les découvertes récentes ouvrent la voie à de nouvelles interprétations, plus proches de la réalité historique. La sépulture Bj.581 de Birka et sa guerrière viking suggèrent que certaines femmes ont pu occuper des places importantes au sein de leurs clans, y compris dans des domaines habituellement dévolus aux hommes. Sans attester d’une parfaite égalité des sexes dans la hiérarchie viking, ces vestiges témoignent d’une civilisation bien singulière. Les rôles de chacun semblent s’y déterminer d’une manière différente que dans le reste du monde occidental. Une conception dont on apprécie aujourd’hui toute la modernité !

La bravoure des guerrières vikings se retrouve, au XXe siècle, chez les femmes entrées en résistance ; une autre histoire de courage et d’engagement féminins.

Sylvie Bourgitteau-Guiard pour Celles qui Osent

Pour aller plus loin :

Découvrir le site archéologique de Birka
Visiter la tombe de la guerrière viking de Birka

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