À quoi pensez-vous si je vous parle de Camille Claudel ? À Rodin sans doute ? À son frère, Paul Claudel ? Ou peut-être à la folie ? Il serait bien dommage de la résumer à cela. Le côté dramatique de son destin ne doit surtout pas masquer le génie de l’artiste et les chefs-d’œuvre majeurs qu’elle nous a laissés. C’est une femme à l’indépendance farouche, passionnée et courageuse. La vie de la sculptrice française est un roman tragique. Comment cette artiste a-t-elle fini ses jours dans un asile ? Pourquoi a-t-il fallu attendre les années 1980 pour que son talent soit reconnu ? Découvrez la biographie de Camille Claudel avec Celles qui Osent.
Camille Claudel ou la volonté d’être sculptrice dès l’enfance
Camille Claudel est née le 8 décembre 1864 dans l’Aisne. Elle grandit dans une famille de notables un peu particulière où ni la culture ni la tendresse ne sont très présentes. Tous les membres de ce petit clan hargneux et farouche se querellent à qui mieux mieux. C’est avec son frère Paul, le futur poète et diplomate, qu’elle s’entend le mieux. Ils ont tous les deux reçu un don, elle pour la sculpture, lui pour les mots.
Dès l’âge de 12 ans, la fillette se passionne pour le modelage de la terre glaise. Le sculpteur Alfred Boucher lui donne ses premiers cours. Camille a une très bonne intuition artistique. Alfred Dubois, directeur des Beaux-Arts à l’époque, s’exclame en voyant ses premières créations : « Vous avez pris des leçons avec monsieur Rodin ! ». Simple signe du destin, car Camille ne connaît pas encore le sculpteur.
Pour sa mère, c’est une déchéance. Elle déteste les idées extravagantes de sa fille. Une jeune femme de bonne famille ne devient pas artiste. Heureusement, Camille a une volonté terrible. Elle a 17 ans et veut être sculptrice. Avec le soutien de son père, elle entraîne toute la famille à Paris, boulevard Montparnasse.
Elle fréquente un atelier de femmes, car les Beaux-Arts ne sont pas mixtes. Elle trépigne de la compagnie de ses consœurs qui lui rappellent la condition féminine de l’époque. Se marier et avoir des enfants est la seule voie à prendre. Camille est trop indépendante pour s’y plier.
Sa relation passionnée avec Auguste Rodin
Camille a 20 ans lorsqu’elle rencontre le sculpteur Auguste Rodin. Elle entre rapidement dans son atelier, d’abord comme modèle puis comme praticienne. Elle y taille au burin des blocs de marbre ou de pierre. C’est un travail physique, technique et ingrat. Seul le maître signe l’ouvrage terminé. Malgré cela, la jeune femme s’impose dans un univers très masculin.
Rodin admire son talent, son efficacité. Il a 43 ans et tombe amoureux de la sculptrice. Rapidement, une passion tumultueuse naît entre les deux artistes. Elle devient la maîtresse clandestine et joue un rôle majeur dans l’œuvre de Rodin.
Leur relation enflammée dure 15 ans, mais les conflits sont fréquents. Camille accepte difficilement que Rodin s’approprie ses créations. Et surtout, Rodin est lié depuis 20 ans à Rose, sa concubine, et il refuse de la quitter.
En 1886, excédée, Camille rompt et part pour l’Angleterre. Le sculpteur est dévasté. Il promet le mariage et une relation exclusive pour la reconquérir. Rodin ne tiendra jamais parole.
Dans les années 1890, Camille est enceinte de Rodin. Elle perd l’enfant, avortement demandé par Auguste ou fausse couche, selon les sources. C’est un drame douloureux pour elle qui la traumatise. Elle ne reçoit aucun soutien, ni de sa famille ni de son amant. Camille rompt définitivement le lien artistique et amoureux qui existe avec le sculpteur. Elle décide de prendre son indépendance.
La difficulté d’être une femme sculptrice en 1890
Camille s’installe sur l’île Saint-Louis. Elle ouvre son propre atelier. À partir de 1893, elle vit des années de créations solitaires. Elle travaille avec acharnement, mais sans l’appui de Rodin, les commandes se font rares.
Camille est pratiquement la seule femme sculptrice de l’époque. Il est bien difficile à Paris pour une personne si singulière de trouver une position sociale et de s’imposer dans un univers masculin. Trop sauvage, elle fuit les mondanités.
Ses amis artistes et son frère essaient de la faire connaître. Des expositions et des salons sont organisés, mais les amateurs et les mécènes ne sont pas séduits. En façonnant des nus avec la même liberté que les hommes, elle défie la morale sexiste du monde de l’art de l’époque.
Dès 1901, elle est fatiguée jusqu’au désespoir, elle veut abandonner la sculpture. Ses créations deviennent toujours plus hallucinées au fur et à mesure qu’elle s’enfonce dans sa vie intérieure. Elle commence à briser une partie de ses moules en plâtre de peur que la bande à Rodin spolie ses idées et vole ses œuvres. Peu à peu, elle est réduite à la solitude et la quasi-détresse matérielle.
Paul passe la voir de temps en temps. Il écrit dans son journal en 1909
« À Paris, Camille folle, le papier des murs arraché à longs lambeaux, un seul fauteuil cassé et déchiré, horrible saleté. Elle, énorme et la figure souillée, parlant incessamment d’une voix monotone et métallique. »
Son atelier est de plus en plus sordide et vide quand sa famille décide de l’interner.
L’internement forcé de l’artiste
Son père, son dernier soutien financier, meurt en 1913. La famille ne la prévient pas et elle n’assistera pas aux obsèques. Huit jours plus tard, elle est internée de force sur demande de sa mère et Paul, d’abord à l’asile psychiatrique de Ville-Evrard puis à celui de Montfavet dans le Vaucluse. Elle vit cela comme un rapt.
L’artiste si éprise de liberté n’acceptera jamais son internement. Commence une vie de recluse pour Camille qui durera 30 ans. Sa mère refuse de lui rendre visite. Les médecins proposent par deux fois de la faire sortir, mais sa famille s’y oppose.
Pendant les deux guerres mondiales, les conditions de vie des aliénés sont horribles. Elle meurt le 19 octobre 1943 à 78 ans de malnutrition. Aucun membre de sa famille n’assiste à son enterrement. Elle est inhumée dans un caveau collectif destiné aux pensionnaires de l’asile. Paul se préoccupe trop tard de ses obsèques et ne pourra pas retrouver le corps.
Camille Claudel, une biographie à travers ses œuvres
Camille fixe ses plus grandes émotions et son âme dans ses créations. Elle y aborde tous les thèmes de la vie : l’enfance, la vieillesse, l’amour ou l’abandon. Ses personnages sont souvent en équilibre incertain. Les yeux clos ou baissés, ils ne regardent jamais en face.
Le travail de Camille Claudel est autobiographique :
- Lorsqu’elle réalise L’Abandon, Rodin lui a promis de l’épouser. Cette statuette en bronze est un gage d’amour à son amant.
- La Valse est sculptée alors qu’elle vit une relation enflammée avec Rodin. C’est le chef-d’œuvre majeur de Camille, mais ce tourbillon de passion est trop sensuel pour l’époque et choque ses contemporains.
- Quand elle crée le buste de La Petite Châtelaine au regard inquiet, Camille vient de perdre son enfant.
- L’Âge mûr est une statue ciselée par Camille quand elle quitte Rodin pour de bon.
Si la renommée de Camille Claudel commençait à exister lors de son internement en 1913, elle n’a pas connu de vrai succès de son vivant. C’est dans les années 1980, notamment grâce au livre d’Anne Delbée et au film de Bruno Nuytten, que la sculptrice est reconnue à la juste valeur de son génie. En 2017, le musée Camille Claudel ouvre ses portes à Nogent-sur-Seine.
Si vous avez compris Camille, voyez là, non comme une victime, mais comme une héroïne inspirante qui montre le chemin du courage. Elle a été jusqu’au bout de son art et est aujourd’hui un des sculpteurs majeurs de son temps.
Vous souhaitez découvrir plus de femmes artistes indépendantes ? Vous pouvez lire le portrait de Berthe Morisot sur Celles qui Osent.
Marion Moisa, pour Celles qui Osent
Les sources, pour aller plus loin :
Le site du Musée Camille Claudel
Une femme, Camille Claudel, le livre d’Anne Delbée
Camille Claudel, film de Bruno Nuytten avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu
Camille Claudel, 1915, film de Bruno Dumont avec Juliette Binoche
Podcast La marche de l’histoire sur Camille Claudel
Podcast Toute une vie « L’or de Camille (1864 – 1943) »
Camille, la chanson de Serge Reggiani
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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Camille a été l’objet d’un assassinat collectif ! Si Rodin n’a pas été le pygmalion qu’il aurait dû être alors qu’il était l’être idéal pour apprécier ses créations sculptées, Paul n’a pas été non plus, le frère qu’il aurait dû être qui ne l’a visitée que trois fois en trente ans durant sa réclusion, et n’a pas daigné procurer les subsides nécessaires afin qu’elle ne meurt pas de faim, malgré les demandes répétées du directeur de l’asile de Montfavet !
Un bien piètre croyant, de peu de miséricorde, lui qui a eu la révélation de sa foi durant un te deum à Notre Dame de Paris, un dimanche, à midi !!!