L’effet Matilda, cela vous parle ? Il est bien là, imperceptible jusqu’à ce qu’on démasque ce qu’il cache. Cet effet consiste à minimiser ou simplement à omettre les femmes à l’origine de découvertes importantes. Aujourd’hui, nous nous intéressons à Cecilia Payne, l’une des premières femmes astronomes féminines, au parcours difficile dans une époque où celles-ci ont encore du mal à se faire une place. Discriminée et raillée pour ses résultats, découvrez comment elle s’est imposée dans un monde scientifique qui ne l’attendait pas.
« Votre récompense sera l’élargissement de l’horizon à mesure que vous grimperez. Et si vous obtenez cette récompense, vous n’en demanderez pas d’autres. » — Cecilia Payne-Gaposchkin
Une intelligence remarquable depuis l’enfance
Un esprit scientifique qui se démarque très tôt
Née en 1 900 à Wendover en Angleterre, Cecilia Helena Payne est l’aînée de trois enfants et fille de la peintre Emma Petz et d’Edouard John Payne, avocat et historien. Sa mère prend en charge la totalité du foyer lorsque son père meurt prématurément. Elle n’a alors que quatre ans.
Sa précocité intellectuelle se manifeste très tôt : au cours de ses premières années d’études, la jeune Cecilia applique avec rationalité un protocole pour tester l’efficacité de la prière. Après une analyse statistique, elle ne reconnaît pas le pouvoir de la croyance religieuse comme étant réel : elle devient donc agnostique.
Sa famille déménage à Londres lorsqu’elle n’a que 12 ans. Là-bas, elle se passionne pour la botanique au sein de l’école de filles de Saint Paul. Mais alors que sa mère fonde ses espoirs sur les études de son frère, la jeune fille prouve que le cerveau n’a pas de sexe en obtenant une bourse pour entrer au Newnham College en 1919. C’est dans cet établissement que sa vie prend un tournant radical.
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Son coup de foudre pour l’astronomie
Cette même année, elle rencontre Sir Arthur Stanley Eddington. L’astrophysicien cherche à prouver la théorie de la relativité en la mettant en corrélation avec l’étude des éclipses qu’il a photographiées dans le Golf de Guinée.
Cela agit comme un électrochoc pour Cecilia qui se désintéresse de la botanique pour se pencher corps et âme vers l’astronomie et la physique. Seulement, à cette époque, Cambridge refuse d’accorder un diplôme à une femme. La jeune scientifique se retrouve bloquée, sans possibilité d’évoluer vers un poste de recherche.
Elle rencontre alors le directeur de l’observatoire de l’université d’Harvard, Harlow Shapley, qui souhaite promouvoir la place des femmes dans les sciences. Cecilia décide de le suivre et obtient une aide réservée à la gent féminine : la bourse Pickering. Cette somme d’argent (qu’elle est la deuxième à obtenir après Adelaïde Ames en 1922) lui permet d’accompagner le directeur jusqu’aux États-Unis pour poursuivre ses études.
Des découvertes importantes qui bousculent le monde de la science
Son déménagement pour Harvard
Placée sous la direction de Shapley, Cécilia travaille sur les spectres stellaires. Elle rencontre notamment Annie Jump-Cannon qui travaille sur la classification des astres et réussit à identifier sept catégories différentes. Alors qu’elle est encore étudiante, elle entre dans le cercle des membres de la Royal Astronomical Society puis de l’American Astronomical Society un an plus tard.
En 1925, Cecilia Payne devient la première personne à obtenir le doctorat d’astronomie après seulement deux ans de recherches. Après avoir étudié la classification d’Annie Jump-Cannon et les travaux de Meghnad Saha sur l’ionisation des atmosphères stellaires, la jeune docteure fait deux découvertes qui vont changer les croyances de l’époque. Au fil de ses observations, elle constate qu’il est possible de calculer la température des étoiles à partir des spectres qui leur sont attribués, mais qu’il est également envisageable d’établir leur composition grâce à ce même spectre.
Suite à ses résultats, elle devient en 1926 la plus jeune scientifique inscrite dans le livre American Men of Science (il faudra attendre 45 ans pour que celui-ci change de nom pour devenir l’American Men and Women of Science)
Nouvelle victime de l’effet Matilda
Au cours de sa thèse, Cecilia réalise que l’atmosphère des étoiles serait composée majoritairement d’hydrogène. La structure du soleil avoisinerait les 73 % de ce gaz alors qu’à l’époque, la pensée scientifique admet une configuration des astres proche de celle de la Terre. Et c’est bien cela le problème. Les calculs de Cecilia Payne remettent en question tout ce que l’on pensait savoir de l’univers. Avec ses observations, la jeune femme de 25 ans se place en avant-gardiste et bouscule les conventions du siècle. Sa thèse sera d’ailleurs décrite comme « la plus brillante jamais écrit en astronomie » par l’astronome Otto Struve en 1962.
Néanmoins, lorsqu’elle présente ses comptes rendus à son directeur, Harlow Shapley, celui-ci préfèrera se tourner vers l’une des plus grandes figures scientifiques du pays : Henry Norris Russel. Au vu des résultats obtenus par l’étudiante, Henry Russel dénigre la conclusion de ses études et dissuade l’assistante de Shapley de publier sa thèse. Cecilia remettra alors ses propres notes en doute en inscrivant ce constat : « bien que l’hydrogène et l’hélium soient manifestement très abondants dans les atmosphères stellaires, les valeurs actuelles […] semblent fausses ».
Pourtant, seulement quatre ans plus tard, Henry Russel parvient à démontrer, avec de nouveaux calculs, une composition des étoiles proche de celle avancée par Cecilia. Il publie un papier sur cette découverte et mentionne l’antériorité des études de la jeune scientifique. L’effet Matilda se met en place : l’article de Russel sera considéré comme la référence et le mérite lui sera totalement attribué, aux dépens de la jeune femme.
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Cécilia Payne, la réussite d’une femme courageuse et pugnace
Un début de reconnaissance grâce à ses travaux sur la classification
Au cours d’une conférence en 1933, Cecilia Payne rencontre celui qui deviendra son mari un an plus tard : Sergei I. Gaposchkin. En 1934, sa contribution dans le domaine de l’astronomie est enfin reconnue lorsque l’American Astronomical Society lui décerne le prix Annie Jump Cannon. Cependant, malgré son génie, la trentenaire ne voit pas sa situation changer et reste l’assistante d’Harlow Shapley jusqu’en 1938 où elle obtient finalement le titre d’astronome.
Heureusement, le mari de Cecilia est lui aussi un homme de science. Ensemble, ils s’intéressent à l’évolution de la luminosité des étoiles variables et rassemblent une base de données gigantesque d’impressions de novae sur plaques photographiques. Grâce à celles-ci, ils créeront en 1957 un modèle de classification, encore utilisé aujourd’hui. Cecilia Payne-Gaposchkin reste de nos jours plus connue pour cette méthode que pour sa découverte de la composition des étoiles.
Une scientifique dévouée à la recherche
Durant sa carrière, Cecilia Payne n’aura de cesse de se battre pour la reconnaissance de ses travaux. Malgré plusieurs distinctions honorifiques (elle est faite membre de la Société philosophique américaine en 1936, et de l’American Academy of Arts and Sciences en 1943), l’astronome doit attendre le remplacement de Harlow Shapley en 1956 pour être nommée professeur. Elle sera la première directrice du département d’astronomie de l’université, mais également la première à occuper un poste qui n’est pas spécifiquement dédié aux femmes.
Cecilia combat le sexisme de la cour scientifique et le manque de reconnaissance dont elle est victime par un refus des conventions et un acharnement au travail. Elle consacre sa vie aux sciences et poursuit ses enseignements durant ses trois grossesses (fait choquant pour l’époque). Elle devient professeur d’Harvard en 1967 et obtient en 1976 le prix de l’American Astronomical Society. Elle sera encore une fois la première femme à recevoir cette distinction. Engagée, Cecilia continue d’exercer en tant qu’enseignante jusqu’au 7 décembre 1979 où elle décède des suites d’un cancer du poumon.
Cecilia Payne démontre toute sa vie un caractère courageux et indépendant qui va à l’encontre de toutes les normes de son époque. Elle fait partie de ces pionnières oubliées, victimes de leur temps. On lui doit deux découvertes majeures qui ont permis à l’astronomie d’avancer dans la compréhension de l’univers au complet. Elle représente la femme forte et ambitieuse que nous pouvons être et est un modèle pour toutes les scientifiques du monde.
Chloé DAVID, pour Celles qui Osent
Sources :
- Cécilia Helena Payne-Gaposchkin — Photoniques.com
- Cecilia Payne-Gaposchkin, astronome pionnière – L’Histoire par les femmes
- Astronome pionnière, 1900-1979, Cécilia Payne Gaposchkin — Etab.ac-réunion
1 Comment
hannah0256@hotmail.com
DUPRÉ Marie-Hélène intéressé par le fait que cette grande dame et avoir au moins un titre en français pour connaître mieux son destin merci