Celui qui ose gravir le Kilimandjaro avec une sclérose en plaques

Julien est chercheur en actuariat, dans l’évaluation, la modélisation et la gestion des risques économiques, assurantiels et financiers. En clair, il travaille dans un laboratoire de math, à composer des formules mathématiques complexes. Il a fait des conférences dans le monde entier et même à l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) en Autriche. Pourtant, à la base, Julien rêve de travailler en salle de marché. Logiquement, il choisit un parcours scientifique de haut niveau : bac S, prépa math sup, école d’ingénieur statisticien économiste, puis la filière actuariat de l’ENSAE ParisTech. Il a besoin de prendre du recul, pour « voir autre chose », alors il intègre Sciences Po Paris en finance et stratégie. Il choisit des cours complémentaires tels que la philosophie publique et la science des religions, « des trucs qui m’amusent beaucoup plus que de faire des maths en salle de marché ». Il termine par un doctorat en actuariat pour achever ses dix années d’études. Une tête ce Julien. Sauf que dans sa tête, justement, il se trame autre chose que des formules de calculs…

À la fin de tes années d’études à l’ENSAE, en 2011, tu commences à voir apparaître des troubles anormaux dans ta vie : des problèmes urinaires, une fatigue chronique intense, des difficultés à la marche, à l’effort. À ce moment-là, tout le monde pense que cela est dû à l’anxiété. Tu perds ton père. C’est un choc émotionnel fort. Tu deviens l’homme de la famille, alors il faut être fort. On t’oriente vers des psys qui te shootent de médicaments contre l’anxiété, des « pilules pour te détendre ». Cela ne va pas mieux donc on augmente les doses… jusqu’à cet événement de septembre 2014…

En effet, lors d’une randonnée sur les falaises de Calvi avec mes copains, je perds subitement l’équilibre sur le chemin. Heureusement, des ronces amortissent ma chute : j’échappe de peu à la mort. Mes amis me rattrapent comme ils le peuvent en me traînant par les pieds. En rentrant à Paris, je décide d’arrêter les médicaments des psys. Je consulte un neurologue qui me prescrit tout un tas de tests : ponction lombaire, bilans sanguins, IRM. Il s’attend peut-être à un cancer. « J’ai une sclérose en plaques docteur, non ? » La sclérose en plaques (SEP) est une affection auto-immune inflammatoire destructrice de la myéline qui conduit à une dégénérescence des fibres nerveuses. Le diagnostic tombe et c’est la DÉLIVRANCE. En soi, la SEP n’est pas mortelle. Il n’y a pas plus de risques de mourir, l’espérance de vie n’est quasiment pas réduite. Il existe plusieurs types de SEP. Moi, j’ai une forme primaire progressive, sans poussées inflammatoires.

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Ta famille est sous le choc. Ils vivent mal cette maladie, tandis que toi, tu tentes d’avoir une approche positive : « la vie d’avant n’est pas finie, mais il va falloir l’adapter ». Pourtant, tu avales onze comprimés par jour, contre la spasticité, les relâchements urinaires, les petites pilules du bonheur… et tu dois te sonder. Dur pour un trentenaire.

Je préfère en effet le mot adaptation à l’idée d’acceptation. Dans l’acceptation, il y a le renoncement et je pense que l’on peut « kiffer » sa vie tout autant, malgré la maladie. Bien sûr, avant d’avoir ce discours, j’ai mis trois ans avant d’appeler la ligue française contre la SEP. Il faut se débarrasser de la peur du regard des autres…

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L’année dernière, tu entreprends un tour d’Europe d’un mois en solitaire, en train. Tu fais du coachsurfing, concept que tu as découvert à Paris et que tu trouves trop sympa, pour t’immerger dans la culture du pays et forcer les rencontres locales. Tu traverses la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la République tchèque et la Pologne. Tu n’as pas voulu partir avec des « valides que tu aurais emmerdés », pour marcher à ton rythme. Ce que tu pensais impossible devient possible. De là naît un challenge complètement fou.

Je décide en septembre 2021 de tout faire pour réaliser l’ascension… du Kilimandjaro ! Je cherchais « un gros truc faisable », mais difficile pour moi qui ai des difficultés à marcher (perte d’équilibre, problème d’endurance, etc.). J’ai choisi ce chemin de 5895 mètres, jalonnés de plusieurs camps de base. Chaque jour, je réaliserai plus ou moins une étape. Le retour se fera dans un fauteuil roulant tout terrain, une goélette. Cette randonnée dure en moyenne quatre à cinq jours pour les « valides » : je l’effectuerai en 8 à 10 jours. Le but de ce projet est de sensibiliser à cette maladie qui touche plus d’une personne sur 1 000 en France, à donner de la motivation aux malades et à valoriser les capacités de dépassement de soi.

Heureusement, tu ne vas pas réaliser cette ascension seul ! Tu vas être entouré d’une équipe de quatre personnes, qui à tour de rôle t’aideront dans ton ascension. Tu as besoin d’un marcheur à l’avant, un à l’arrière et un autre en renfort, pour maintenir une barre que tu tiendras tout au long de la montée pour t’équilibrer.

J’ai besoin d’une aide humaine, mais également matérielle : un exosquelette. Cela coûte un demi-bras alors je suis soutenu par la ligue nationale contre la sclérose en plaques. J’ai lancé une cagnotte KILI SEP 2021 sur Helloasso pour récolter des fonds. Les dons sont défiscalisés à hauteur de 66 %. Vous pourrez suivre mon aventure sur PROJET KILI SEP 2021.

Où sont les femmes qui osent dans ton expédition ?

Je réaliserais ce challenge avec Vanessa Morales, infirmière toulousaine, qui détient le record du monde de rapidité du Kilimandjaro (record malheureusement non homologué, car elle a dû s’arrêter pour aider son guide…). Elle viendra me coacher. Cette grimpeuse, mordue de course à pied en altitude, a réalisé la montée et la descente de la voie difficile du Kili en dix heures ! Depuis 2015, elle enchaîne les prouesses sportives au profit de la Ligue contre la sclérose en plaques.

J’imagine que pour réaliser cette performance, tu dois t’astreindre à un entraînement physique d’athlète…

En individuel, je fais beaucoup de sport : marche 4 à 5 km par jour, kinésithérapie, musculation, montée de dénivelé sur tapis de course, etc. En groupe, je m’entraîne toutes les semaines à monter le mont Thou, un parcours de 4,5 km avec 450 m de dénivelé. Côté alimentation, je suis végétarien alors je mange beaucoup d’œufs !

Tu développes un grand intérêt pour la psychanalyse, l’équilibre de l’esprit et du corps, pour comprendre et te défendre contre l’adversité. Dans ta volonté d’aider les autres dans leur cheminement d’adaptation de la maladie, d’écoute de la souffrance, tu deviens référent local à Lyon de la Ligue contre la sclérose en plaques.

Il faut oser parler de sa maladie, vidanger sa colère, mettre des mots sur ses ressentis. Au lieu de ressasser la négativité, il faut engranger le processus d’adaptation et si possible de sublimation de la maladie, artistique, sportive ou même scientifique. C’est difficile également pour le conjoint ou la conjointe, de trouver sa place avec la maladie. Personnellement, j’aime beaucoup être seul avec moi-même. Je sais à quel point être en couple peut apporter. J’ai de l’amour à donner et à recevoir. Mais je suis bien seul actuellement.

Pour le moment, je souhaite avant tout réussir mon challenge : OSER gravir le Kilimandjaro !

Violaine B.

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