Dans son sketch sur l’amour des débats à la française, Marina Rollman caricature ce que nous avons vécu tant de fois au cours des dîners de famille. Le silence après une prise de nouvelles consensuelle, un petit spasme d’envie qui chatouille l’assemblée et puis soudain, une voix qui s’élève innocemment « Je suis d’accord hein, MAIS EN MÊME TEMPS ». Et c’est parti pour des heures de débats enflammés et dramatiques, où les protagonistes qui paraissent jouer leur vie sont simplement appelés par l’amour du sport « Il viennent de se traiter de nazis et au moment du café « Et au fait, les enfants ça va ? » » Cette frénésie du verbe toute hexagonale n’est pas des plus reposantes. Ne serait-il pas judicieux de prendre exemple sur nos amis Suisses, « La fabrique à consensus du monde », pour qu’à défaut de mettre du piquant dans nos vies grâce à la joute verbale, nous soyons un peu plus sereins dans nos échanges ? Alors, du coup, comment avoir des discussions constructives ?
Être conscient que la vérité absolue n’existe pas
Le Larousse donne la définition suivante de la vérité « Caractère d’une connaissance, d’une information, qui est conforme à la réalité ». Étant donné que des centaines de philosophes, de scientifiques et de sages se sont échinés à trouver un accord sur ce qu’était la réalité, sans jamais y parvenir, on peut en conclure que LA VÉRITÉ N’EXISTE PAS. Ou en tout cas qu’elle est toujours relative à un point de vue qui reste SUBJECTIF. Même un système scientifique est voué à être infirmé par de prochaines découvertes, comme Galilée à remis en cause le paradigme de Copernic et Einstein celui de Galilée et la physique Quantique celui d’Einstein. C’est encore plus vrai en ce qui concerne nos échanges et les arguments qui s’habillent en vérité universelle.
Comprenons que, quelles que soient nos orientations politiques, notre caractère et les actions qu’on a mené, aucune personne ne peut être mise dans une case et y demeurer. Une opinion est toujours le fruit d’une expérience, d’un certain regard et d’une émotion à un instant T. Le pouvoir de résilience d’un être humain étant incommensurable, il semble difficile d’arrêter un jugement sur la valeur de nos semblables et de leurs idées. Nous restons tous très humblement logés à la même enseigne et ne disposons que de bribes infimes de vérité, à différentes périodes de notre existence. En effet, qui peut affirmer que sa façon de vivre est la meilleure, qu’il ne fera jamais d’erreurs et qu’il ne blessera jamais personne ? La réponse est dans la question. En ayant la chance de se prendre quelques gifles morales, on fait sienne la maxime de Socrate qui veut qu’on sait seulement qu’on ne sait rien. On peut bien sûr essayer de s’approcher de toutes ses forces vives de la meilleure interprétation des faits, en fonction du débat qui est lancé, mais en se délestant de cette prétentieuse certitude qui ne mène nulle part. Être conscient de cette limite inhérente à l’être humain est un préalable d’une sagesse inégalée pour avoir des discussions constructives. C’est-à-dire ? Des discussions qui servent à construire une base pour s’entendre et pour agir dans un but commun, qui s’approche d’un idéal partagé.
Avoir des discussions constructives en insistant sur nos points communs
Dans le superbe ouvrage d’Amin Maalouf, « Les identités meurtrières », ce dernier constate que mettre en avant nos différences plutôt que de nos points communs instille les conflits les plus virulents dans le monde. Or, à quoi aspirent un mendiant, un chargé de communication, un maçon, un mafieux ou un paysan perdu au fond d’une montagne ? Sans trop s’avancer, on peut dire à peu près aux mêmes choses : avoir un toit, de quoi manger, du lien social et les moyens d’être en sécurité avec sa famille. Pourtant, au lieu d’honorer nos quêtes communes, qui sont évidentes, nous préférons renforcer ce qui nous oppose et nous nous délectons de mettre le doigt là où ça fait mal (moi la première). Pour quelles raisons ? Par goût de la confrontation peut-être, mais sûrement aussi parce qu’affirmer ses différences, c’est un peu se sentir exister. À l’heure actuelle, n’est-ce-pas la course à l’exceptionnalité, au buzz, aux prodiges spectaculaires, y compris dans la déchéance ? Être différent, anti-conformiste, s’inventer des opinions originales qui font qu’on se souviendra de nous, est devenu un Graal. Bien sûr, ne pas être d’accord et apporter la contradiction à une discussion l’enrichit et permet le cas échéant de mettre à l’épreuve la pertinence de chaque idée. Tout cela est essentiel pour tester la légitimité d’une opinion. Mais le faisons-nous vraiment pour les bonnes raisons ?
Si nous nous sentons menacés par des détails insignifiants, c’est que nous avons une fâcheuse tendance à exacerber ce qui nous déplait et à en faire une affaire personnelle. Or, comme les extrêmes se renforcent, il est fréquent de se braquer sur les 10 % qui nous déplaisent… alors qu’on est d’accord sur 90 % des faits ! ll est d’ailleurs curieux de constater que les guerres de religions sont particulièrement violentes entre les branches d’un même culte. Protestant et Catholiques, Wahabites et Chiites, Boudhisme Zen et Shintoïstes, etc. N’est-on jamais aussi véhément qu’avec ce qui nous sépare d’un cheveu, parce qu’une vision absolue de la vérité s’est tout à coup transformée en dogme ? Force est toutefois de constater que notre plus grand point commun est de traverser la vie à tâtons, en faisant de notre mieux pour trouver du sens à nos actions. Jusqu’à preuve du contraire, cette quête fragile et incertaine demeure ce qui nous relie en priorité, bien au-delà de nos insignifiantes différences.
Chercher non pas la victoire individuelle, mais le progrès commun
Pourquoi débattons-nous si ce n’est pour tomber d’accord et pour définir ensemble les actions concrètes qui vont améliorer la vie du collectif ? Chercher à avoir raison, c’est passer complètement à côté de la richesse de la conversation. Imaginez par exemple qu’une personne défende que la porte est fermée et l’autre ouverte et que pour déterminer qui a raison, chaque protagoniste s’engage dans un combat acharné, à coup de poings et de pieds. Celui qui gagnera n’aura pas avancé sur le chemin de la vérité. C’est le même mécanisme dans la plupart des débats mal menés. Chacun arrive avec son idée, se lance dans une joute verbale piquante et repart avec son opinion intacte voire renforcée. Le problème à résoudre s’en trouve occulté. Imaginons maintenant des politiciens qui diraient : « Oui, vous avez peut-être raison. Votre remarque est pertinente, je vais réfléchir à changer d’avis sur ce point. » Cette attitude n’inviterait-elle pas le camp d’en face à entamer un pas vers l’autre, en laissant tomber la méfiance ?
Julia Dhar, consultante en communication, en parle très bien dans sa conférence « How to have constructive conversations ? » en prônant une écoute active et bienveillante. 70% du langage étant non verbal, une discussion constructive commence par une intention constructive, qui va se ressentir plutôt que se comprendre. Elle ajoute qu’il est important de prendre le temps de se mettre à la place de l’autre au lieu de se situer impulsivement dans la contradiction. En effet, dans son système de pensée, ce qu’une personne dit est vrai, parce que ça fonctionne concrètement dans sa vie ! Cela suppose qu’il y a toujours quelque chose à garder dans un argumentaire auquel quelqu’un tient. Trouver les chemins pour être inclusifs et ne faire aucun perdant dans la discussion est une des clefs fondamentales d’un dialogue fructueux.
Beaucoup de démarches participatives vont dans ce sens, en rejetant la compétition au profit de la collaboration. Le vote par consensus par exemple consiste à prendre une décision commune à l’unanimité, à force de discussions et d’argumentations renseignés. Après une proposition, un vote est lancé. Ceux qui sont contre expliquent les raisons de leurs désaccords. Si le reste du groupe n’arrive pas à les convaincre du bien fondé de la mesure ou à la réadapter pour qu’elle convienne à tous, elle est abandonnée. Pour avoir assisté à ce genre de réunion, on remarque que les cas d’un refus irréversible restent extrêmement rares. Il est donc possible d’avoir des discussions constructives en cherchant le progrès commun.
Pouvoir changer d’avis et en être fier
Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Cet adage est si répandu qu’on en néglige sa force. Avouer que sa première opinion est incomplète sans l’intervention d’une opinion complémentaire ne devrait pas être une honte mais une gloire. C’est le principe de la dialectique aristotélicienne aussi appelée Maïeutique, l’art de faire accoucher de la vérité. Comment ? Précisément en posant des questions qui vont avoir un rôle de ciment entre les idées, pour en fabriquer de nouvelles, bien plus solides et complètes. C’est la fameuse thèse, antithèse, synthèse qu’on trouve dans toutes les dissertations littéraires. Mais pas seulement. Ce sont 2 termes opposés qui vont en créer un troisième, avec une existence propre, comme le chaud et le froid produisent le tiède, la tension entre la droite et la gauche produit la ligne droite, ou l’association de l’intuition et de l’analyse produit le choix parfait. L’harmonisation des contraires se produit dans notre quotidien sans que nous ayons besoin d’y penser. Nous sommes sans cesse confrontés au changement et vouloir y résister est utopique. Autant le devancer en laissant parler notre curiosité et en changeant habilement de cap au besoin.
Cette philosophie n’empêche aucunement de se faire sa propre opinion et de persévérer dans une vision du monde qui nous tient à cœur. Mais être ouvert à la critique permet d’affirmer ses choix en étant certain que sa valeur peut très bien cohabiter avec la valeur de l’autre.
Et voilà ! Si vous arrivez à la fin de cet article sans être d’accord, c’est tant mieux ! Cela nous fera sûrement l’occasion d’avoir des discussions constructives. Alors chères lectrices et chers lecteurs, à vos claviers et à vos contradictions et le cas échéant, à vos terrasses et à vos discussions de comptoir. Car sous les yeux ébahis de nos amis Suisses, champions du consensus, les débats à la française vont bientôt reprendre du service autour d’une bonne bière et là, ce sera le bonheur !
Charlotte Allinieu, pour Celles qui Osent
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