Corinne Masiero | Biographie d’une actrice insoumise

Lors de la dernière cérémonie des César, Corinne Masiero arrivait sur scène déguisée en Peau d’âne ensanglantée avant de se dénuder entièrement sous l’œil mi-amusé mi-médusé du public. Habituée à bousculer les codes de la bienséance, l’interprète du personnage principal de la série désormais culte, Capitaine Marleau, créait l’évènement en interpellant le Premier ministre. Figure décapante et subversive du cinéma français, elle est une actrice insoumise, engagée depuis longtemps aux côtés des plus précaires et particulièrement des femmes. En lisant ce qui suit, vous comprendrez que faire la biographie de Corinne Masiero, c’est conter l’unité d’une femme soucieuse de mettre en cohérence ses choix artistiques avec son parcours de vie et ses engagements politiques.

Biographie de Corinne Masiero : de la rue à la scène

Corinne Masiero naît en 1964, à Douai, dans ce Nord industriel où la vie est rude et le militantisme une seconde peau. Ses parents sont issus de la classe ouvrière qu’elle n’aura de cesse d’incarner et de représenter. Son père est d’abord mineur puis dirige une auto-école. Sa mère, elle, est femme de ménage. De cette expérience de vie, Corinne hérite d’un franc-parler âpre, expression de sa colère contre les injustices sociales. À 15 ans, elle milite au Parti communiste français. Mais à fleur de peau, Corinne chute et s’abîme.

Devenue jeune adulte, elle connaît en effet une période de grande précarité. SDF, tombée dans les affres de la drogue, de l’alcool et de la prostitution, elle doit son salut à sa pulsion de vie autant qu’au théâtre. Elle monte sur les planches à 28 ans pour ne plus en redescendre. Pourtant, Corinne Masiero ne joue jamais la comédie. Elle a le souci de l’authenticité et incarne des anti-héroïnes pour mieux prêter sa voix à celles que l’on entend rarement. Ses premiers rôles au cinéma serviront déjà les causes qui lui tiennent à cœur. Ce sera Germinal de Claude Berri en 1993 puis La Vie rêvée des Anges d’Erick Zonca en 1998. Ces thèmes de prédilection sont déjà saillants : précarité, violences de toutes natures, place des femmes dans la société.

Côté cœur, elle rencontre son compagnon, Nicolas Grard, dans les années 2000. Il est alors à la tête d’une troupe de théâtre de rue. Dans la biographie de Corinne Masiero, l’engagement politique n’étant jamais loin, c’est à une manifestation contre le syndicat patronal, le MEDEF, qu’elle croise sa route. Pas-à-pas, elle tisse un parcours d’une rare cohérence où son expression artistique est mise au service de luttes sociales.

Les années 2010 : la percée d’une actrice engagée

Corinne Masiero est longtemps abonnée aux seconds rôles. Il faut attendre 2012 pour que le réalisateur Cyril Mennegun lui taille un personnage sur mesure. La justesse de sa composition dans Louise Wimmer la révèle alors au grand public. Elle y apparaît sous les traits d’une femme qui, à l’approche de la cinquantaine, se retrouve à la rue à la suite d’une séparation. Hors de question d’édulcorer : ce qui est violent doit être représenté sans fard et sans filtre. Le sourire généreux de Louise reflète néanmoins l’espérance que Corinne nourrit pour une forme de progrès social. Avec ce personnage, elle impose son style : une démarche atypique, un phrasé populaire et une tonalité tragi-comique.

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Elle puise sa matière première dans son parcours de vie et dans ses vieux démons. Ils conditionneront désormais ses choix artistiques et justifieront ses allers-retours entre la scène et la tribune politique. Proche du député insoumis de la Somme, François Ruffin, journaliste et réalisateur du très mordant documentaire Merci Patron !, elle est candidate sur la liste du Front de gauche aux élections municipales de 2014 à Roubaix.

Elle revient devant la caméra en 2015 et incarne pour le petit écran Capitaine Marleau dans la série éponyme réalisée par Josée Dayan. Elle y joue une capitaine de gendarmerie gauchiste, affublée d’une chapka et dotée d’un humour grinçant. Caustique et facétieuse, elle y décape le vernis bourgeois pour mettre à nu la réalité sociale. Son talent comique lui permet cependant de ne jamais tomber dans une noirceur excessive.

En 2017, dans les Invisibles, elle est Manu, la directrice de l’Envol, un centre d’accueil pour femmes SDF menacé de fermeture. Tout sera envisagé et tenté pour réinsérer ses pensionnaires y compris la désobéissance à la règle. Au travers de ce rôle, elle se fait le porte-voix des invisibles, en mettant à l’honneur des figures souvent occultées par souci d’esthétisme. Dans sa vie, Corinne revendique d’ailleurs d’être « moche, populaire et vulgaire ».

Corinne Masiero, une actrice insoumise

Effacer l’historique ou la dénonciation loufoque de l’emprise des data sur nos vies

À regarder Corinne Masiero évoluer devant la caméra avec autant de naturel, on en finit par se demander ce qui est le plus important pour elle : le jeu ou la parole politique qui l’émaille. En réalité, tout se passe comme si les deux étaient intimement liés. C’est donc logiquement qu’en 2020, Gustave Kervern et Benoît Delépine font appel à elle pour incarner Christine dans Effacer l’historique aux côtés de Blanche Gardin et Denis Podalydès. Voisine des deux autres, Christine cherche à améliorer l’e-réputation de sa petite entreprise de VTC. Avec l’humour qu’on leur connaît, les deux réalisateurs peignent un portrait doux-amer et tendre d’une classe moyenne qui galère. Prise en tenaille, elle oscille entre, d’un côté, l’injonction à surconsommer et à livrer ses données privées et, de l’autre, la difficulté à boucler les fins de mois. Au cri de « Fuck les GAFA », Christine se lance dans une guerre vaine contre les géants du numérique car le sujet est moins l’emprise des GAFA sur les individus que les solidarités de classe qui se recréent à l’heure des Gilets jaunes et des réseaux sociaux.

L’art de provoquer les défenseurs du patriarcat

Lors de la 46e cérémonie des César, en mars 2021, sa performance irrévérencieuse et presque outrancière scandalise ou ravit, un an après le courageux coup d’éclat d’Adèle Haenel. Alors que dix députés LR (Les Républicains) dénoncent un acte d’exhibition sexuelle, d’autres approuvent, y voyant un acte militant salvateur. Mais comment ne pas voir dans les critiques qui lui sont opposées l’indigence du débat politique ? Comment ne pas y voir également les tentatives désespérées de certains pour sauvegarder les fondements d’une société patriarcale ? Ces « fesses en ruine » comme elle le dit elle-même, elle les expose sans complexe. Acte révolutionnaire s’il en est, elle encourage les femmes à ne pas se plier au diktat du « sois belle ou tais-toi ! ». Louise, Corinne, Christine…toutes assument leur âge et le vieillissement de leur corps. Et c’est ce qui les rend belles. La précarité des femmes est un leitmotiv et ses personnages mettent en exergue les ressorts de la domination masculine. C’est d’ailleurs en juin 2021 que Corinne rendra publiques les violences sexuelles qu’elle a subies dans son enfance et son adolescence. Entre la fiction cinématographique et la critique sociale, la frontière est décidément ténue.

Le soutien aux intermittents du spectacle

En toute circonstance, Corinne Masiero s’appuie sur sa célébrité pour servir de caisse de résonance aux luttes sociales. En mars 2021, c’était la précarisation des intermittents du spectacle. On se rappelle des mots tatoués en rouge sur son corps entièrement nu – « Rends-nous l’art, Jean ! » – à l’adresse du Premier ministre, Jean Castex, et de son gouvernement. S’ensuit le mouvement des 63 théâtres. Les intermittents les occupent pour dénoncer l’impact économique dramatique de la crise sanitaire dans le monde de la culture. À leurs côtés, Corinne Masiero fait le siège du théâtre Sébastopol de Lille et relaie leurs revendications.

 

Avec elle, le cinéma social français a trouvé son icône, terme qu’elle récuserait sans aucun doute. Elle en manie la poétique de la laideur et de la trivialité avec ce talent propre aux gens instinctifs. Corrosive sans jamais être méchante, Corinne Masiero est une agitatrice de conscience. Jamais moralisatrice, elle cultive toujours l’espoir d’une société plus humaniste. Et c’est sans doute ce qui la rend indispensable à notre époque chahutée pour ne pas dire déboussolée.

Myriam Charbit pour Celles Qui Osent 

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