Le mardi 22 juin, ils étaient 13 prévenus à comparaître au tribunal judiciaire de Paris pour le deuxième et dernier jour du procès de « l’affaire Mila », cette jeune fille victime de cyber-harcèlement ayant reçu plus 100 000 messages haineux pour avoir insulté la religion musulmane. Dix hommes, trois femmes, âgés de 18 à 29 ans, en apparence sans histoire. Ils sont inculpés d’harcèlement et/ou de menaces de mort. À la barre, chacun est appelé à répondre des délits dont il est accusé. En général penauds, intimidés et nerveux, les prévenus assurent avoir cliqué sur « envoyer » sans réfléchir et avoir été « choqués » par les propos de Mila à l’encontre de l’islam. Certains regrettent, d’autres s’excusent.
Le cyber-harcèlement est un maux fréquent et répandu dans nos sociétés contemporaines. C’est bien connu : les réseaux sociaux peuvent être synonymes du pire comme du meilleur. Les femmes, les personnes de couleur et/ou issues des minorités sexuelles en sont les premières victimes. Saviez-vous que, selon l’European Women’s Lobby, les femmes sont 27 fois plus susceptibles de se faire harceler que les hommes ? Les misogynes ont fait d’internet leur terrain d’attaque, et tous les jours des « sale pute » n’en finissent pas d’être envoyés, en plus de menaces de mort et de viol. Celles qui Osent s’est rendu au tribunal judiciaire de Paris et a assisté au deuxième jour du procès de certains des harceleurs de Mila. Dans cet article, nous analysons le phénomène du cyber-harcèlement et les situations auxquelles il peut mener.
Mila : du live Instagram au bannissement social
Quand on regarde l’âge des prévenus ainsi que celui de la plaignante, on se dit que cette affaire n’aurait pu finalement être qu’un « épiphénomène de cour de récré » comme l’a dit l’un des avocats. Pourtant, les peines requises (six mois de prison avec sursis pour les menaces de mort, trois mois pour le harcèlement) sont bien réelles et Mila est aujourd’hui placée sous surveillance policière 24 heures sur 24. Elle a dû quitter son lycée dans lequel l’Éducation Nationale a jugé qu’elle n’était plus en sécurité. La raison d’un tel bannissement social ? Un vidéo Instagram réalisée en janvier 2020 dans laquelle elle raconte avoir assumé son homosexualité auprès d’un homme qui l’aurait insultée pour des raisons religieuses. Elle rétorque alors : « Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir ». Dix mois plus tard, elle sort une nouvelle vidéo pour répondre à ses détracteurs dans laquelle elle qualifie le Coran de « religion de haine ». Depuis, Mila vit un véritable enfer et les messages haineux continuent de défiler sur ses réseaux sociaux.
Tous les prévenus ont une chose en commun : ils ne sont pas de dangereux djihadistes, ni des salafistes en devenir. Ils et elles sont en licence de psychologie ou d’anglais, boulanger, assistant d’éducation, en formation de bagagiste ou de douanier. Certains avouent même avoir oublié qu’ils avaient envoyé un message menaçant et violent à Mila, tant les injures et la haine sont devenues choses courantes sur internet. Ils sont nombreux à ne pas connaître la définition de l’harcèlement telle qu’elle apparaît dans l’article 222-33 du code pénal. Pour l’un des prévenus, 18 ans et étudiant en DUT d’informatique, « le harcèlement s’étend sur plusieurs jours et consiste en une centaine de messages ». Pour d’autres, « on harcèle quand on envoie un message privé à la personne, pas quand on publie un tweet sur sa page personnelle ». Or selon la loi « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende ». Les propos en cause peuvent être des commentaires d’internautes, des vidéos, des montages d’images et le cyber-harcèlement est punissable que les échanges soient publics ou privés.
Le cyber-harcèlement, fléau de la nouvelle génération ?
L’un des prévenus accusé d’harcèlement en ligne et d’avoir menacé Mila de mort a envoyé à la jeune fille les mots suivants : « Famas, Kalash, neuf millimètres, Uzi et P-38/Les armes sont payantes mais les rafales sont gratuites » issus d’une chanson de Kaaris et Kalash Criminel. Quand le président du tribunal lui demande s’il est conscient de la gravité de telles paroles et de leur sens concret malgré le fait qu’elles soient extraites d’une chanson de rap, ce dernier répond avoir déjà envoyé ces mêmes phrases à un ami « pour rigoler ». Une autre prévenue à l’origine d’un mail intitulé « commande de dessin » (Mila dessine et publie ses oeuvres sur les réseaux sociaux) écrit vouloir « lui lacérer le corps avec son couteau » et autres horreurs. Quand le tribunal l’interroge sur la raison de cet objet trompeur, elle répond « je voulais lui commander un dessin, mais je trouve vraiment dommage qu’elle gâche son talent avec des insultes à la religion ».
La génération dont je fais partie, celle qui est née avec un ordinateur dans les mains, perd de plus en plus la notion du poids des mots. On peut souhaiter lacérer quelqu’un à coups de couteau à 2h34 du matin et l’écrire sur internet, en étant tranquillement dans son lit et sur le point de s’endormir. « Les réseaux sociaux sont devenus des mégaphones offerts à tous, pour le meilleur et pour le pire » a dit le procureur de la République présent lors du procès. La génération dont je fais partie, c’est aussi une génération « d’offensés professionnels » comme l’a expliqué Richard Malka, l’avocat de Mila et connu pour sa défense de Charlie Hebdo. On s’offusque des propos tenus dans une vidéo Instagram, on écrit des messages d’une violence inouïe, et le jour où l’on est convoqué au commissariat pour répondre des menaces que l’on a proférées, on ne sait même plus ce que l’on a envoyé et à qui, tant l’injure et le harcèlement sont devenus banals. Bienvenue dans le monde de la génération Z, que le procureur de la République a qualifié de « nuancier de la bêtise humaine et de la haine de proximité ».
Les femmes, premières victimes du cyber-harcèlement
Dans #SalePute, un documentaire réalisé par Florence Hainaut et Myriam Leroy, les journalistes s’attaquent au cyber-harcèlement et à la manière dont celui-ci a touché des femmes ayant une certaine notoriété. Elles sont humoristes, actrices, youtubeuses, journalistes, femmes politiques et ont toutes en commun d’avoir été harcelées en ligne à un moment de leur carrière. La journaliste radio Nadia Daam, après avoir fait une chronique de deux minutes sur le harcèlement (ironie du sort), a été cyber-harcelée et la vie de sa fille a même été menacée. Manonolita, streameuse, a subit un cyber-harcèlement de la part d’un autre streameur qui, à l’origine, souhaitait simplement qu’elle le cite dans l’une de ses vidéos. Alice Barbe, directrice d’une ONG d’aide aux migrants, a reçu plus de 300 messages en deux heures du type : « qu’elle se fasse violer par des centaines de réfugiés ».
La menace de mort est fréquente, mais la menace de viol est systématique. Le « je vais te violer » n’est jamais très loin du « sale pute », message archétypal du cyber-harcèlement. Tout ceci fait du cyber-harcèlement un phénomène à la rhétorique sexiste et profondément misogyne. Bien sûr que les hommes peuvent être victimes d’harcèlement en ligne et que les femmes peuvent se transformer en harceleuses. La preuve, il y avait trois femmes prévenues au procès de l’affaire Mila. Mais les femmes demeurent les premières victimes du harcèlement en ligne. Dans #SalePute, la youtubeuse Sara Lou explique avoir subi une vague de messages et commentaires haineux. Son mari, qui apparaît dans certaines de ses vidéos, a également été harcelé, mais les messages portaient uniquement sur Sara Lou.
Comment lutter contre le cyber-harcèlement ?
Le problème du cyber-harcèlement, c’est qu’il représente un phénomène nouveau. En France, il a fallu attendre 2020 pour que la députée Laetitia Avia présente un projet de loi contre les contenus haineux sur internet. Il est difficile de lutter contre la haine en ligne. Les messages disparaissent, les auteurs expliquent avoir été hackés, les injures sexistes ou menaces de viol ne sont pas prises au sérieux et sont assimilées à de la liberté d’expression.
Comme l’explique l’une des femmes interviewées dans le documentaire de Florence Hainaut et de Myriam Leroy : « On a tendance à caricaturer les kaïds d’internet en marginaux psychotiques. On en fait des monstres, c’est plus pratique ! En réalité, le type qui te traite de salope, c’est certainement un bon voisin ». Comme on a pu le constater lors du procès de l’affaire Mila, les accusés ne sont pas des terroristes ou de dangereux individus, mais bien de jeunes adultes confus et anonymes.
Si jamais vous êtes victime de cyber-harcèlement, il est primordial de sauvegarder les messages/commentaires/mails que vous avez reçus et dont le caractère est insultant, voire menaçant. Ce sont les principales preuves. Ensuite, vous pouvez signaler votre harceleur aux plateformes qui hébergent son compte, comme Twitter ou Instagram. Il est également possible de le signaler à Pharos, la plateforme du gouvernement de lutte contre la haine en ligne. Enfin, vous pouvez aller voir un avocat spécialisé en droit de la presse ou droit du numérique.
Il est important de rappeler que le cyber-harcèlement brise des vies : selon Amnesty International, 55% des femmes ayant été victimes de haine en ligne ressentent du stress, de l’angoisse ou subissent des attaques de panique. L’estime de soi peut être détruite en quelques clics et la sécurité d’une personne compromise à vie pour un seul tweet.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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