Chaque mois, nous sommes 2 milliards à nous connecter sur le réseau social Instagram, et à nous lancer dans un concours de beauté et de popularité permanent. Nous y partageons 100 millions de photos quotidiennement, en adoptant, presque intuitivement, les « codes Instagram ». Lancé il y a un peu plus de dix ans par deux jeunes étudiants, Mike Krieger et Kevin Systrom, Instagram a conquis la planète. L’application mobile la plus téléchargée au monde permet aux utilisateurs de partager leurs expériences, leurs bons plans et leurs moments de vie à travers des photos et de courtes vidéos. Instagram a révolutionné notre moyen de communiquer avec les autres, mais a largement contribué à la standardisation de nos goûts et de nos vies. En imposant son diktat de la beauté, l’application, très addictive, cherche par tous les moyens à captiver son audience et à faire vendre. L’injonction à « devoir être parfait » impacte particulièrement la santé mentale des adolescents : anxiété, insécurité, isolement, dépression… Celles qui Osent vous dévoile 5 dérives d’Instagram, afin de rester vigilant face à l’utilisation excessive de ce réseau social.
1. Une application de photographies très addictive
L’histoire d’Instagram débute en 2010, en Californie, au cœur de la silicone valley, au sein de la prestigieuse université de Stanford. Deux étudiants, Mike Krieger, ingénieur, et Kevin Systrom, qui a étudié l’art et la photographie, rêvent de se faire une place dans le business du numérique.
Alors qu’Apple sort un iPhone très élaboré améliorant considérablement la qualité des appareils photo intégrés, notre rapport à la photographie évolue. Les deux jeunes hommes imaginent alors la première application qui exploite cette évolution technologique et le fait de bénéficier d’un appareil photo directement accessible grâce à nos téléphones. Ils lancent alors, le 06 octobre 2010, leur propre réseau social dédié au partage de photographies, levant 300 000 dollars auprès d’investisseurs.
L’application Instagram, gratuite, élégante, intuitive et spécifiquement imaginée pour les Smartphones, aligne notre vie connectée et notre vie réelle. Des filtres photographiques directement intégrés à l’application servent à sublimer le réel, à transformer la réalité pour poster du contenu qui fait rêver. De façon très addictive, les gens publient des photos, en attendant des likes ou des réactions de leur communauté. Le but de ce réseau est d’apparaître plus célèbre, plus glamour, que l’on ne l’est dans la « vraie vie » (quitte à mentir un peu.) La vie doit être parfaite, plus colorée, plus fun, glamour ou tendance.
Instagram semble alors agir comme une drogue sur les utilisateurs. Le succès est fulgurant. Trois mois après son lancement, l’application comptabilise 1 million d’abonnés. Rapidement, les célébrités investissent Instagram, comme les célèbres sœurs Kardashian, reines de la télé-réalité. Elles ont compris que plus vous partagez votre vie privée sur les réseaux sociaux, plus votre communauté se sent proche de vous.
2. Un outil marketing qui cherche à influencer et à captiver son audience
Lorsque le réseau social atteint les 150 millions d’utilisateurs, Mark Zuckerberg, qui l’a racheté pour 1 milliard de dollars en 2012, applique son modèle de ciblage publicitaire. Instagram est le lieu idéal de la promotion de soi, mais aussi un formidable outil marketing pour attirer des clients potentiels et les faire consommer.
Les photos doivent raconter une histoire, toujours plus extraordinaire, pour mobiliser l’attention des internautes. On assiste alors à la naissance d’une esthétique particulière, empruntée à la publicité. Le feed instagram perd alors son authenticité initiale : il ressemble de plus en plus à un magazine de luxe, avec des photos parfaitement produites, comme dans une campagne publicitaire.
Très vite, les marques demandent aux personnes qui ont beaucoup d’abonnés de promouvoir leurs produits, en leur proposant des partenariats rémunérés : l’utilisateur d’instagram devient alors l’ambassadeur des marques. C’est la naissance du marketing d’influences. À l’ère numérique, les influenceurs remplacent les mannequins. Ils deviennent parfois des ambassadeurs de collection de mode « jetable », issue de la « fast fashion », lors de collaborations éphémères, afin de toucher des royalties. Vendre son influence devient alors une activité lucrative très convoitée par les jeunes, dédiant leurs vies aux réseaux. Cependant, les places sont chères : seuls 4 utilisateurs sur 100 000 atteignent le million d’abonné.
Instagram participe grandement à l’essor du marketing numérique dont le marché mondial est estimé à 13 milliards d’euros. Peu à peu, le réseau social devient le temple du narcissisme et de la mise en scène de soi. Le volume de publicités augmente, transformant Instagram en un gigantesque centre commercial. En 2018, il génère 8 milliards de dollars de revenus publicitaires. Toutes les marques de mode modifient leurs modes de production et leurs communications afin d’exister sur ce réseau. Les créatifs doivent imaginer sans cesse de nouveaux moyens pour captiver leur audience : c’est la course à la rétention de l’attention numérique.
3. Des algorithmes opaques, sexistes et misogynes qui participent aux dérives d’instagram
Sur Instagram, les images pornos soft circulent. Les décolletés et les corps dénudés s’exposent (même si Instagram censure les tétons féminins).
« When code is law, algorithms must be made transparent. »
Plusieurs lanceurs d’alerte comme Dirk Helbing ou Peter Seeles s’inquiètent de l’opacité liée à l’usage de certains algorithmes, estimant que comme le code informatique « fait loi », les algorithmes doivent être rendus transparents.
Nicolas Kayser Bril, journaliste et membre de l’ONG algorithme watch, qui a pour but d’améliorer la transparence et plus généralement la démocratie des processus de prise de décision automatisée, les ADM (Automated decision-making), a enquêté sur celui d’Instagram. La conclusion de l’étude du journaliste est déroutante : se déshabiller sur Instagram permet de gagner de l’audience. Pourquoi ? Parce que ceux qui sélectionnent les profils les plus valorisés sont de jeunes ingénieurs de la Silicon Valley, fantasmant sur les gros seins et les corps pornographiques. D’ailleurs, en 2003, le projet initial de Mark Zuckerberg était de créer un trombinoscope… pour classer les étudiantes de son université en fonction de leurs beautés. Affligeant.
Dans le monde de la Tech, qui comptabilise peu de femmes, le sexisme et la misogynie perdurent, tandis que les algorithmes participent à renforcer les inégalités et les discriminations.
Pour en savoir plus sur les opportunités d’emplois dans le monde numérique, lisez notre article sur la place des femmes dans le web. Osons déranger les stéréotypes !
4. Instagram standardise nos goûts et impose sa dictature de la beauté
Soumis à un impératif de standardisation, l’application commence à provoquer des problèmes de santé mentale : les gens se jalousent, s’envient, méprisent leurs propres vies et se sentent moins bien dans leurs corps.
Les statistiques démontrent que les jeunes de 18-34 ans ont de plus en plus recours à la chirurgie. Ils rêvent d’avoir un corps « instagramable » alors ils se l’achètent par le biais de la chirurgie esthétique. Pour ressembler à Kim Kardashian ou Nicki Minaj, nombre de femmes se payent une opération dangereuse : le Brazilian Butt Lift, qui consiste à prélever de la graisse à la taille pour la réinjecter dans les fesses afin d’obtenir une silhouette en forme de bouteille de coca-cola. Cette opération, coûtant 13 000 dollars, est 20 fois plus mortelle que n’importe quelle autre opération de chirurgie plastique. À Miami, ville dédiée au culte du corps, 20 000 femmes s’offrent un brazilian butt lift par an. Mais certains chirurgiens esthétiques peu scrupuleux pratiquent des opérations à bas coûts, effectuées à la va-vite, ne respectent pas les protocoles de sécurité, et provoquent la mort de centaines de femmes. Ces greffes de graisse dans les fesses entraînent un taux de mortalité alarmant, estimé à 1 cas sur 3 000 si bien que depuis 2018, les sociétés de chirurgie plastique émettent un avertissement urgent sur les risques.
La dictature de la beauté s’applique aussi à nos assiettes : 500 millions de photos sont réunies sous le #food sur le réseau. Pour suivre l’injonction feel good du bonheur et du plaisir permanent, certaines enseignes jouent la carte du Foodporn, consistant à photographier et poster des photos d’aliments de manière esthétique, en jouant sur l’abondance de nourriture, de manière obscène, choquante, presque immorale.
Autre problème généré par Instagram : 1 voyageur sur 4 choisit sa destination en fonction du réseau social. Le tourisme de masse devient alors un fléau qui touche tous les paysages « instagramables » ; des foules envahissent des lieux jusqu’alors confidentiels, telles que le Blue Lagoon en Islande, Angkor au Cambodge, Santorin en Grèce ou même l’Everest.
« J’ai l’impression que l’on est plus là pour faire la photo qui tue que vraiment pour vivre l’expérience. » Natacha de Mahieu, photographe
5. Instagram, une application néfaste pour la santé mentale des adolescents
« Les adolescents reprochent à Instagram d’accroître leur niveau d’angoisse, d’anxiété et de mal-être. »
« En Angleterre, sur 21 % d’ados qui ont pensé à se faire du mal, voire à se suicider, 22 % disent que c’est arrivé à cause d’Instragram. »
« Pour 1 adolescent sur 5, Instagram nuit à son estime de soi. »
« Pour les adolescents, Instagram est pire qu’un concours de popularité dans une cafétéria de collège, parce que tout le monde peut voir immédiatement qui est le plus populaire et le qui l’est le moins. »
L’application, présente dans les téléphones de 8 adolescents sur 10, semble être néfaste pour leur santé mentale. Le fait que les jeunes soient constamment confrontés à des images de corps et de vies idéalisés joue particulièrement sur leurs estimes d’eux-mêmes.
En octobre 2021, une lanceuse d’alerte, Frances Haugens, ancienne ingénieure de Facebook, révèle dans le Wall Street Journal que les propres études internes montrent à quel point la filiale Instagram peut avoir des conséquences graves sur ses utilisateurs les plus jeunes. Sauf que les conclusions de ces documents ont été sciemment dissimulées au grand public. Pour la lanceuse d’alerte « les dirigeants de l’entreprise savent comment rendre cette application plus sûre, mais ils ne feront rien parce qu’ils placent leurs profits astronomiques au-dessus des utilisateurs »
L’année dernière, Mark Zuckerberg a réfléchi au lancement d’une version d’Instagram dédiée aux enfants de – de 13 ans (jusqu’alors interdit sur cette application) : Instakids. Les pédopsychiatres alertent sur le fait qu’il faut absolument protéger les enfants et leur éviter d’être soumis au rythme attentionnel frénétique, à la dictature des styles et à l’esthétique des réseaux sociaux.
Dès mars 2020, la pandémie mondiale de Covid19 contraint les personnes à dépendre encore plus des écrans pour garder le contact avec leurs proches, ce qui a été bénéfique dans la progression de la croissance d’Instagram. Cependant, son esthétique a évolué : la gravité de la pandémie a mis en relief la vacuité du réseau social, devenu trop futile et trop mercantile. Pendant le confinement, les utilisateurs ont posté des photos plus naturelles et spontanées, sans filtres, sous le #onveutduvrai.
Malgré ses dérives, Instagram peut aussi être un formidable vecteur d’émancipation et de visibilité pour de très nombreuses personnes, y compris les minorités sexuelles ou raciales. Il permet de communiquer avec les gens du monde entier, contribuant à faire naître des liens d’amitié, de solidarité, de sororité et d’amour. Il offre la possibilité de faire passer des messages, d’éduquer, et d’alerter sur les enjeux de nos sociétés actuelles. La lanceuse d’alerte Frances Haugens reste optimiste quant à l’amélioration possible des réseaux sociaux : « je crois dans le potentiel de Facebook. Nous pouvons avoir un réseau social que nous aimons, qui nous connecte tous, sans mettre en péril nos démocraties, sans mettre en danger nos enfants, sans attiser les violences ethniques dans le monde ».
Pour aller plus loin, découvrez notre article sur Instagram, le nouveau business de notre intimité ou notre article sur l’influenceuse Léna Mahfouf, l’inspiratrice aux millions d’adeptes sur les réseaux sociaux.
Violaine Berlinguet, Celles qui Osent
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Sources :
Instagram —La foire aux vanités — Regarder le documentaire complet | ARTE
RSPH | Instagram Ranked Worst for Young People’s Mental Health
Qui est Frances Haugen, la lanceuse d’alerte de Facebook ?
Instagram peut avoir des effets néfastes sur les adolescents, selon une étude menée par Facebook
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1 Comment
[…] Mais qu’est-ce qui plaît tant à ses fans ? C’est, d’après l’intéressée, le fossé entre la réalité et le reflet volontairement déformé du quotidien des stars. Celui-ci est orchestré et les photos sont presque toujours retouchées. Elle dénonce, à travers ses pitreries, l’absurdité de cette course à la perfection. Sarah Banon, de l’Institut Français de la Mode commente : voir ces images désacralisées est un soulagement. Mais au-delà du rire, son action est salutaire, car elle combat les dérives d’Instagram. […]