Qui était Emily Brontë ? Plus de 200 ans après sa naissance en 1818, elle demeure mystérieuse. Écrivaine, poétesse, romancière, sœur de Charlotte et Anne Brontë, elle est surtout connue pour son seul roman. Publié en 1847, Les Hauts de Hurlevent est l’un des romans les plus célèbres de la littérature anglo-saxonne, salué par Georges Bataille comme « le plus grand roman d’amour de tous les temps ». Il est tentant de chercher des explications dans l’œuvre, pour percer le secret de sa jeune auteure. Pour autant, la biographie d’Emily Brontë, si l’on peut espérer en trouver quelques reflets dans sa prose et ses vers, reste en partie insaisissable. Une auteure contemporaine ou visionnaire ? Féministe ? Subversive ? Un peu tout à la fois ?
Une jeunesse en clair-obscur pour Emily Brontë et ses sœurs dans la lande du Yorkshire
La mort omniprésente
La mort a été très présente dans la vie de la jeune Emily. Sa mère meurt lorsqu’elle a 3 ans, deux de ses sœurs décèdent de la tuberculose contractée dans un pensionnat insalubre. Sa tante, Elizabeth Branwell austère et rigoriste, vient habiter avec la famille pour prendre en charge l’éducation des enfants. Leur père est pasteur, ils vivent à Haworth, triste village perdu au fond du Yorkshire, dans un presbytère bordé d’un cimetière. Vers la toute fin de sa vie, Emily s’occupe de son frère malade, jusqu’à sa mort. De ce tableau assez noir, ressortent néanmoins quelques lumières ! Certes, la petite Emily n’a pas été souvent prise dans les bras… On la disait dure au mal, déterminée et volontaire, jusqu’à s’interdire de pleurer. Mais surtout, c’est un insatiable désir de savoir qui est venu compenser le manque de tendresse. En quelques semaines, la petite fille apprend à lire et veut connaître le nom de toute chose.
La fratrie Brontë : lecture, imaginaire et écriture
La lecture tient une place importante dans la vie des 4 enfants Brontë, Charlotte, Branwell, Emily et Anne. Ils dévorent les journaux, notamment le Blackwood’s Magazine, et des romans noirs à la mode. Emily lit aussi Lord Byron, Walter Scott et Shelley. L’imaginaire occupe également leur quotidien. À partir de petits soldats en bois, ils vont progressivement construire un monde imaginaire complexe : ils l’appellent la Confédération de Glass Town. Ils écrivent ainsi poèmes, contes et récits dans de minuscules livres avec schémas, cartes, titres et chapitres. À 9 ans, Emily écrit avec sa petite sœur Anne, les Gondal Chronicles, ses propres contes et poèmes. Les premières pierres de son univers romanesque sont posées.
Libre et recluse à la fois : le paradoxe de la biographie d’Emily Brontë
Une terre dont elle ne peut s’arracher
Plusieurs fois dans sa vie, la jeune fille essaie de quitter Haworth. La plupart du temps, on lui impose ce déracinement, pour rejoindre un pensionnat ou pour enseigner à son tour. À chaque fois, le scénario est le même : Emily suffoque, comme prisonnière, et dépérit. Elle n’a qu’un vœu, retrouver sa lande chérie, et le vent, ce vent d’ouest hurlant et lyrique. Ce même vent qui soufflera dans ce roman qu’elle n’a pas encore écrit. Décidément, elle n’est pas faite pour les institutions, ni pour les règles, ni pour les leçons de littérature. Elle ne veut pas être contrainte, elle souhaite rester maîtresse d’elle-même, conserver sa singularité. Donc, retour à la case départ, Haworth.
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Prison ou cocon ?
Bien qu’Emily semble enfermée dans ce presbytère, il n’en est rien. Même si des murs sombres l’enserrent, elle s’évade la nuit grâce aux lectures et à son imagination. Libre, elle se promène aussi dans sa chère lande, dans cette grande nature sauvage qu’elle affectionne. Solitaire, elle préfère le contact des animaux, mais pour autant elle vit dans le village qui est un monde à lui tout seul. Ainsi, en choisissant cette solitude austère, loin des divertissements mondains de la ville, loin des intrigues sociales et politiques, elle accède à un espace de liberté pour écrire, que seul Haworth peut lui offrir.
« La triste solitude était pour elle une source d’enchantements précieux dont la liberté, qu’elle aimait plus que tout, n’était pas le moindre. Emily respirait la liberté à pleines narines ; elle ne pouvait exister sans elle. » Charlotte Brontë
Les Hauts de Hurlevent : le seul livre d’Emily Brontë
Le plus beau roman d’amour… noir
M.Earnshaw ramène un jour chez lui un enfant sauvage sans nom, à la stupéfaction de ses deux enfants, Cathy et Hindley. Très vite, Cathy s’attache au nouveau venu, Heathcliff. Ils s’adorent et partagent jeux et promenades dans la lande. Mais l’enchantement ne dure pas : Cathy, devenue jeune fille, s’amourache d’un fade jeune homme issu d’excellente famille. Égarement ? Caprice ? Par facilité ou pour toutes ces raisons, elle se laisse tenter par une vie aisée. Heathcliff, lorsqu’il l’apprend, souffre à en perdre la raison : Cathy a renié son enfance et trahi son cœur. Dès lors, il n’aura qu’un seul objectif, la vengeance. Avec obstination, désespoir et fureur.
Heathcliff, miroir d’Emily ?
Pour Lydie Salvayre, qui signe la préface des Hauts de Hurlevent chez Robert Laffont :
« Il est l’orgueil en personne. Il est l’excès. Il est la foudre. Il est élégant et sauvage. Il est tendre et brutal comme un tranchant de scie. Il s’appelle Heathcliff. »
Comme son héros, Emily Brontë a le caractère entier et rebelle, l’insolence et le refus têtu de se plier aux contraintes sociales, dès lors qu’elles ne s’appuient que sur des faux-semblants. Mais la ressemblance s’arrête là, la jeune fille ne partage pas la noirceur de son personnage.
Expliquer et comprendre le Mal
Rappelons que ravagé par la douleur, Heathcliff ne peut trouver que dans le Mal la réponse à cette passion amoureuse dont il n’arrive pas à faire le deuil. Même s’il doit s’enfoncer dans une noirceur infernale, jusqu’à en perdre toute pitié, toute humanité. La jeune Emily tente de comprendre les raisons de ces ténèbres qui habitent son personnage principal, donnant ainsi un caractère contemporain à son roman. Elle affirme qu’il y a une part obscure dans l’homme, une violence qui peut surgir, au-delà de toute raison, et que nous ne pouvons nous en détourner sans nous détourner de nous-mêmes. Le succès des Hauts de Hurlevent sera, on le devine, posthume. À sa parution en 1847, la société est choquée par ce roman qui associe amour, violence et démesure.
Une auteure féministe avant l’heure
Audace littéraire : se saisir d’une plume subversive
Emily, comme ses sœurs Charlotte et Anne, ne demande pas la permission. Cachées sous des pseudonymes masculins, elles décident tout simplement de publier. Elles refusent que leur horizon soit limité à celui de gouvernante ou enseignante. Leur courage est remarquable, à une époque où les femmes n’avaient le droit à rien ou presque, et ne devaient surtout pas s’occuper de littérature ! Comme le souligne à l’époque Robert Southey (poète romantique tombé dans les oubliettes) :
« La littérature ne peut être l’affaire d’une femme et ne saurait l’être. »
C’est dit. Le choix des noms masculins (Ellis Bell pour Emily) était certainement une façon d’échapper à leur condition de femme dans une Angleterre conservatrice. Enfin, l’auteure des Hauts de Hurlevent remet en cause la société victorienne de son temps, car elle ose toucher à ce qui est intouchable : la famille, présentée comme le lieu de toutes les violences.
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Énigme du geste créatif
Pour Emily, écrire constitue plus qu’un divertissement. C’est une nécessité vitale. D’ailleurs, la postérité ne l’intéresse pas. Le mystère réside en partie dans sa posture d’auteure. Comment cette jeune fille, isolée dans un petit village perdu du Yorkshire où il n’y a ni atelier d’écriture ni Internet, a-t-elle pu écrire ce roman ? Sa capacité créatrice reste paradoxale, car à 28 ans, on le sait, Emily n’a pas connu d’histoire d’amour. Or, son manque d’expérimentation ne limite en rien son geste d’auteure, bien au contraire : elle n’a pas eu besoin d’avoir tout vécu pour tout dire. Emily l’enfermée, l’innocente et droite jeune fille qui ne quitta presque jamais Haworth, qui n’eut d’autres amours que la lande et le vent, nous a pourtant livré une terrible plongée dans les ténèbres avec Les Hauts de Hurlevent.
La plus mystérieuse des sœurs Brontë n’hésita pas à s’affranchir des conventions. Si la complexité et la violence des Hauts de Hurlevent a provoqué le scandale à sa publication, la reconnaissance du génie d’Emily se fera tardive. Le roman sera définitivement consacré par les éloges de Virginia Woolf, qui louera l’ambition gigantesque de celle qui :
« regardant vers un monde divisé en un gigantesque désordre sentit en elle le pouvoir de l’unir en un livre. »
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Claire Chaillet pour Celles qui Osent
Sources :
Livre 7 femmes de Lydie Salvayre éditions Perrin
https://www.cairn.info/revue-ethnologie-fran%C3%A7aise-2021-3-page-673.htm
https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/bronte2
https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/les-200-ans-demily-bronte
https://revue.leslibraires.ca/chroniques/litterature-etrangere/les-soeurs-bronte-le-mystere-du-presbytere/
https://gallica.bnf.fr/blog/08062018/emily-bronte-en-france?mode=desktop
https://soeursbronte.wordpress.com/category/art-et-illustrations/
https://www.bl.uk/collection-items/manuscript-of-emily-bronts-gondal-poetry
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