Injonctions, jugements, regards appuyés… Dans une société qui continue de répartir rôles et comportements selon le genre, affirmer sa propre identité peut vite ressembler à un parcours de la combattante. Les normes pèsent lourd, et il suffit d’agir un peu différemment pour se retrouver pointée du doigt.
Pourtant, assumer sa singularité, ses préférences, ses décisions, c’est déjà porter une petite révolution. Une révolution qui ne s’écrit pas dans de grands manifestes.
Le corps, ce champ de bataille de l’être soi-même
Le poil reste un sujet qui divise. Certaines se sentent mieux en s’épilant, d’autres revendiquent une pilosité naturelle, encore trop souvent mal perçue. Ce simple geste, laisser ou non ses poils, semble anodin. Pourtant, il suffit de se montrer telle que l’on est, sans filtre ni rasoir, pour confronter une société encore rétive à l’idée qu’une femme puisse s’affranchir des canons esthétiques dominants. Loin des injonctions au glabre, cette démarche revendicative invite à célébrer la richesse de nos morphologies et à revendiquer la liberté de disposer de notre corps. C’est aussi une manière, souvent intime et discrète, de se réconcilier avec ce qui nous est naturellement donné, sans éprouver le besoin constant de le lisser, de le polir ou de le tailler pour correspondre aux attentes du dehors.
Les règles, longtemps demeurées un tabou délicat à évoquer, commencent elles aussi à trouver leur place dans la sphère publique. Grâce aux alternatives écologiques comme la cup, la culotte menstruelle ou le tanga menstruel pour flux léger, de nombreuses femmes redécouvrent leur cycle avec plus de sérénité. En parlant ouvertement de ce phénomène naturel, nous faisons sauter un verrou hérité de l’histoire, celui du silence et de la gêne. Il ne s’agit pas seulement de confort ou de santé, mais de reconquête symbolique : reprendre la parole sur ce qui touche à notre intimité, sortir de la honte imposée, et construire un lien plus apaisé avec quelque chose de tout à fait naturel.
La lingerie, autrefois conçue avant tout pour plaire ou modeler la silhouette aux yeux d’autrui, évolue elle aussi. Soutien-gorges sans armature, culottes hautes, absence de soutif… Des options plus variées se diffusent, et avec elles, la possibilité de privilégier ce qui nous met réellement à l’aise.
À travers ces choix, nous refusons l’idée de corseter nos formes ou d’adapter nos corps aux désirs extérieurs. Il n’est pas question de nier le plaisir de s’apprêter, mais de réintroduire notre bien-être dans l’équation. Au bout du compte, c’est un acte d’autonomie qui prend forme : celui de se sentir pleinement chez soi dans son propre corps, sans se laisser dicter la moindre règle par des canons esthétiques figés.
Ce rapport au corps, qui semblait aller de soi, est en réalité le fruit d’une histoire longue et souvent douloureuse, celle d’une injonction permanente à se conformer.
Le reprendre en main, c’est affirmer que nous sommes davantage que l’image qu’on projette sur nous.
Notre corps est notre véhicule, notre ancrage dans le réel, le lieu où nous existons. En le réinvestissant, nous exerçons un droit fondamental : celui de vivre à notre rythme, avec nos envies, sans demander la permission à quiconque.
Nos choix de vie, ou l’art de tracer notre propre voie
Être soi-même, en tant que femme, ce n’est pas qu’une affaire d’apparence ou de corporéité. Cela concerne aussi nos modes de vie, nos trajectoires, nos ambitions. La maternité, par exemple, est souvent considérée comme un passage obligé, une évidence qui s’imposerait à nous. Combien parmi nous ont subi des remarques, des regards perplexes, des insinuations culpabilisantes pour avoir exprimé l’envie de ne pas enfanter ? Cette liberté de dire « non » bouscule une société encore accrochée à l’idée qu’une femme doit forcément réaliser son « destin biologique ». Refuser cette assignation, c’est s’élever contre l’idée que notre existence se réduirait à la fonction de donner la vie. C’est affirmer haut et fort que nous sommes complètes, sans devoir rentrer dans ce moule.
Les choix professionnels ne sont pas en reste. Malgré quelques évolutions, s’aventurer dans un métier considéré comme « masculin » peut encore exiger de prouver sa valeur deux fois plus fort. Ingénieures, chauffeuses de poids-lourds, cheffes cuisinières… nous investissons des univers où l’on ne nous attend pas, et ce faisant, nous témoignons de l’absurdité des stéréotypes. Le genre ne détermine ni les compétences, ni la créativité, ni le talent. En occupant ces nouveaux espaces, nous rendons la route plus accessible aux générations futures, permettant à chacune de choisir son métier sans que son identité de femme ne soit vécue comme un obstacle.
Notre apparence aussi peut devenir un terrain d’émancipation. Cheveux courts, crâne rasé, silhouette androgyne : autant de manières de dire que nous n’avons pas à coller aux archétypes de la féminité pour nous sentir légitimes. Dans un monde où le regard extérieur pèse lourd, oser un style qui s’écarte de la norme est un acte de résistance.
La vie intime, ultime frontière de notre émancipation avant d’oser être soi-même
Revendiquons notre droit au plaisir et au désir. Alors que la société a longtemps glorifié la sexualité masculine et invité les hommes à se vanter de leurs conquêtes, les femmes qui assument leur liberté sexuelle sont encore trop fréquemment dénigrées. Or, en déclarant que nos envies et nos préférences sont légitimes, nous renversons la perspective. Notre corps nous appartient, il ne répond pas à un cahier des charges convenu, et ce qui s’y passe relève de notre seule souveraineté. Explorer notre sexualité sans honte, oser expérimenter, c’est saboter de l’intérieur ce qui semblait immuable : la vision patriarcale des relations.
Oser vivre sans partenaire, quand on le souhaite, c’est encore faire face à l’incompréhension. Pourtant, choisir le célibat, c’est refuser l’idée qu’une femme est forcément un être inachevé sans compagnon. C’est redéfinir la notion de famille, envisager l’amour sous des formes plurielles, inclusives. Mères célibataires par choix, couples lesbiens ayant recours à la PMA, familles coparentales : autant de nouvelles manières de concevoir l’entraide et la parentalité. L’amour, la tendresse, le soin donné aux enfants n’ont rien à voir avec le genre des adultes qui les élèvent. En élargissant le champ du possible, nous ouvrons la voie à une société plus respectueuse de l’individualité de chacun·e.
Une révolution féministe au quotidien
Être soi-même quand on est une femme, c’est donc mener une bataille sur tous les fronts. Contre les attentes figées, contre les clichés qui nous assignent à un rôle, contre l’idée qu’il existerait une bonne et une mauvaise manière d’être féminine. Chaque petit geste compte : choisir de s’épiler ou pas, porter ce que l’on veut, décider de vivre seule ou en couple, avec ou sans enfant, vivre notre sexualité comme on l’entend. Chacune de ces positions, aussi discrète soit-elle, résonne dans un paysage culturel marqué par des siècles de domination patriarcale.
Mais cette révolution n’a rien d’individuel au fond : elle est profondément collective. À travers nos choix, nous réinventons ensemble ce qu’être une femme peut signifier. Nous démontrons que la féminité n’est pas une prison, mais un espace de liberté, de création, de questionnement permanent. Nous reprenons la main sur nos corps, sur nos identités, sur nos trajectoires. Dans cette effervescence lente, mais puissante, le patriarcat tremble. Les certitudes s’effritent, les assignations vacillent. Nous prouvons qu’il est possible de vivre selon ses propres termes, dans un univers peu habitué à nous laisser autant de marge de manœuvre.
Osons être nous-mêmes, sans honte ni compromis. Que nos démarches soient hésitantes ou résolues, timides ou flamboyantes, chacune participe à redessiner la carte du possible. Nous acceptons nos contradictions, nous vivons avec nos doutes, nos enthousiasmes, et c’est précisément cette humanité-là qui donne sa force à notre émancipation.
En changeant la façon dont nous vivons notre féminité, nous participons à un changement en profondeur de la société. Au lieu de forcer nos existences dans des rôles vieillissants, nous revendiquons le droit d’inventer, de tester, de réévaluer ce que nous voulons.
Faisons de cette liberté retrouvée le terreau d’une société enfin plus juste, plus inclusive, plus humaine.
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent