J’aime la mode. Après cette affirmation, j’ajoute souvent que j’ai d’autres centres d’intérêt, moins futiles et frivoles. J’aime surtout paraître à la mode. Pour suivre les tendances, je regarde les photographies des modèles et je me procure des dupes. Ce sont des vêtements qui ressemblent fortement à ceux de la haute couture, mais qui entrent dans mon budget de prolo, pour être fashion à petit prix. Mais que signifie “avoir du style” aujourd’hui ? Fin septembre, Paris a fêté le retour des défilés lors de sa mythique Fashion Week 2021. Après une année “blanche” due à la crise sanitaire, Celles qui Osent s’interroge : est-ce que les codes de la mode ont changé ?
Fashion week en 2021 : le luxe d’une mode plus durable
Du 27 septembre au 5 octobre 2021, Paris a fêté le retour des défilés de mode avec son public, toujours au rendez-vous. Ce célèbre festival de shows haute couture énergiques et fantasques est orchestré par des marques de renom : Miu Miu, Givenchy, Chanel, Lacoste, Louis Vuitton, Dior, Valentino, Balenciaga… Le luxe fait son show : le défilé Valentino se passe dans la rue et sur le red carpet de Balenciaga, invités et mannequins partagent la même scène. Cependant, les codes du luxe semblent avoir changé. Les jeunes stylistes “militants” sont mis à l’honneur. Marine Serre, avec ses collections post-apocalyptiques valorise l’upcycling ; elle exploite les tissus de seconde main ou ceux prêts à être jetés et leur donne une nouvelle vie. « On n’est pas dans le bio ou le greenwashing. On est cohérents. Tout est fait à Paris, nous, on ne fabrique pas au Bangladesh par des ouvriers payés une misère. » Nicolas Di Felice crée durablement chez Courrèges “Je produis certes de nouveaux vêtements, mais je vais faire en sorte de dessiner des pièces indémodables.” La nouvelle directrice créative de Chloé, Gabriela Hears, s’est également fixé des objectifs de développement durable ambitieux.
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La mode élitiste est désormais plus inclusive
Sur les podiums, on a pu voir des femmes aux mensurations de rêve, mais aussi des mannequins transgenres ou “naturelles”. Le milieu élitiste de la mode semble vouloir s’ouvrir “aux vraies gens”. En effet, les réseaux sociaux ont révolutionné les tendances en captivant un plus large public. La “normalité” fait désormais recette. Les clichés autoproduits des blogueuses surdouées sont désormais bien plus bankable que les beaux clichés lisses véhiculés par la presse mode. Les grandes maisons de haute couture s’arrachent les influenceuses pour promouvoir leurs images : un comble !
“Les réseaux sociaux ont permis l’émergence de figures plus singulières. La génération Z n’est pas du tout dans la joliesse. » Thomas Zylberman, styliste au bureau des tendances Carlin
La mode 2021 laisse présager que tout le monde peut presque devenir mannequin sans devoir être “sublime”. L’exemple parfait de cette réussite est Léna Mahfouf, dite Léna Situations. En ne partant de rien, elle a su fédérer plus de 3 millions d’abonnés grâce à sa joie de vivre et sa spontanéité. Le body positivisme s’invite sur les podiums des défilés, comme l’illustre la présence de la jeune top néerlandais Jill Kortleve portant une taille 40. Sur le défilé Versace, Precious Lee, mannequin grande taille noire américaine, fait une apparition très remarquée. Par ailleurs, Paoma Elsesser a été sacrée modèle de l’année 2020 par models.com alors qu’elle-même exige que ses photos ne soient pas retouchées.
Une nouvelle ère est en marche : maintenant, on s’accepte en valorisant ses imperfections, comme le démontre la mèche blanche accentuée de Pomme ou le monosourcil de Lily Taïeb. Sur les podiums, les beautés atypiques de Maggie Maurer, Ella Emhoff ou Lily McMenamy côtoient les mannequins plus conformes aux canons de beauté habituels.
La question LGBT+ et les notions de genre ont également bousculé les codes esthétiques. Presque ¼ des jeunes estiment l’hétérosexualité boring, d’où l’émergence de marques non genrées comme Nyx ou Cover Girl. Lil Nas X et Frank Ocean ont aussi contribué à l’ouverture du monde de la cosmétique aux hommes par exemple.
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La mode devient militante
Terminé le “sois belle et tais-toi » !
“Les codes de la beauté ont changé. Il ne s’agit plus de plaire, mais de s’affirmer, de questionner et de revendiquer. Aujourd’hui, les marques ne sont plus à la recherche de filles trop jolies. Elles ont envie de singularité et de filles qui prennent la parole. Les corps sont devenus des outils de communication, qui véhiculent des convictions, des postures et des messages.” Alexandra Jubé, fondatrice d’un bureau de conseil en stratégie marketing.
Mais comment un vêtement ou un make-up pourrait-il transmettre des valeurs engagées ?
Lors du MET Gala 2021, Alexandria Ocasio-Cortez a osé porter une robe taguée en rouge sang Tax the Rich. La situation est cocasse : au cours de ce dîner pour lequel chaque assiette coûte 35 000 dollars, une représentante démocrate déclare « imposez les riches ». Devenue virale sur les réseaux sociaux, cette robe du soir devient politique !
Pour Loïc Prigent, spécialiste des tendances, “la mode doit être dans la société. Si la société doit parler de moments politiques ou de moments d’injustice alors les marques doivent être des porte-voix pour des causes.”
Toutefois, la presse mode commet souvent des impairs quand il s’agit de transmettre des messages inclusifs. Par exemple, le magazine Marie Claire s’est vanté en juillet d’avoir mis en couverture une photo « non retouchée » à la Une de son numéro titré « Aimer son corps », célébrant « toutes les morphologies ». De quoi provoquer de nombreux commentaires sur Twitter. “En quoi cette photo dite « sans retouches » en aurait-elle eu besoin et en quoi célèbre-t-elle l’acceptation du corps alors qu’Arnelle Slot semble correspondre à tous les stéréotypes de la beauté, comme l’entend la majorité du monde de la mode ?”
Pourquoi le monde de la haute couture n’a pas (vraiment) changé
Un nouveau jour se lève-t-il vraiment ?
“It’s still the same. My agency just told me lose weight. It’s crazy.”
(Rien n’a changé. Mon agence m’a encore demandé de perdre du poids. C’est dingue).
Ce post d’un top modèle semble être passé inaperçu sur Instagram. Pourtant, le fléau de la fameuse taille zéro perdure en haute couture. Sur beaucoup trop de podiums défilent des silhouettes osseuses fantomatiques. Pour Victoire Maçon Dauxerre, ancienne mannequin chez Élite et autrice du livre Jamais assez maigre « nous obliger à rentrer dans un 32, c’est inhumain. » Pour elle, “la mode devrait magnifier la femme, pas l’assouvir, l’humilier.”
Les géants du luxe Kering et LVMH, propriétaires de grandes marques de mode telles que Gucci ou YSL, avaient pourtant signé en septembre 2017 une charte sur les relations de travail et du bien-être des mannequins (comprenant entre autres la suppression de la taille 32). Cela n’a pas pour autant changé la morale de la mode. Pour le docteur en sociologie Guillaume Erner “Les mannequins ne sont pas là pour présenter des vêtements, contrairement à ce que l’on pense. Ils sont là pour montrer que ces vêtements sont inaccessibles. La mode c’est la distinction, c’est vouloir appartenir à un club qui ne veut pas de vous. Elle repose sur une logique cruelle : dévoiler son nombril, quand on a envie de nourrir tranquillement ses bourrelets, porter des talons hauts, alors qu’on serait si bien en espadrilles. Toutes les marques du monde peuvent bien se liguer entre elles, elles continueront de choisir des filles grasses comme des cintres, à moins qu’un jour l’idée même de mode se démode.”
Mais est-ce vraiment grave de l’être, démodé ?
La journaliste de mode Alice Pfeiffer revendique fièrement le mauvais goût. Elle s’oppose radicalement à l’académisme des dogmes. Auteure du livre Le goût du moche, elle analyse “l’attraction fascinante que le vilain exerce sur nous”. Sa théorie audacieuse nous permet d’assumer pleinement le kitsch, le ringard et le clinquant. Ce postulat prend le contrepied d’une mode qui uniformise nos goûts et façonne une conception unique du beau.
⏩ Croyez-vous que l’apparence physique impacte la réussite sociale ?
Le covid a redéfini notre rapport à l’apparence et aux vêtements. Avec le télétravail à la maison, le moche confortable s’est installé dans nos vies. On s’attendait à ce qu’il en soit de même pour l’univers de la mode. Pourtant, il ne semble pas y avoir eu une véritable révolution des normes esthétiques lors de cette Fashion Week parisienne. L’univers de la haute couture ne se mélange pas avec celui du prêt-à-porter, qui vulgarise les tendances insufflées par des créateurs se souciant toutefois davantage de la planète. L’ouverture des podiums aux instagrameuses ou aux beautés atypiques et “hors-normes” laissait pourtant présager une nouvelle ère dans cette sphère élitiste. Mais peut-être est-ce seulement une tendance… à la mode ?
Violaine B – Celles qui Osent
Sources
Magazine Elle du 08/08/2021
https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/logique-cruelle-de-la-mode
Marie Claire Fashion Week Paris Printemps été 2022