Oksana Chatchko︱Une Femen « artiviste » au destin tragique 

Elle incarne l’image quasi iconique de la Femen activiste. Oksana Chatchko, militante féministe ukrainienne, est l’une des figures de proue de cette révolte aux actions militantes inédites. Seins nus, poings levés et couronnes florales ukrainiennes dans les cheveux, les Femen agitent le monde médiatique dès 2008 à Kiev. Ces femmes, volontairement provocatrices, osent manifester seins nus. Utiliser le corps féminin comme outil de protestation, symbole du combat pour la liberté de la femme : c’était le pari d’Oksana Chatchko et de ses amies Anna Hutsol et Aleksandra Shevchenko. Rebelle “artiviste” Oksana veut changer le monde…

 « Femen, c’est une idée, la lutte contre le patriarcat, le sextrémisme et une manière de manifester. Si une femme, n’importe où, dans n’importe quel pays, adhère à nos idées et à nos méthodes, elle peut se déclarer Femen. »

Oksana Chatchko, une iconographe religieuse de talent

Née en 1987 en Ukraine, à Khmelnitski, dans une famille orthodoxe pratiquante, Oksana Chatchko est de la génération qui a subit la crise économique provoquée par l’effondrement du communisme soviétique. Très pieuse et douée pour le dessin, Oksana intègre à 8 ans l’école Nikosh réputée pour son enseignement de la peinture d’icônes orthodoxe. À 12 ans, la jeune fille, qui subvient aux besoins de sa famille grâce à ses fresques, ressent l’appel à être religieuse. Sa mère, pourtant croyante pratiquante, refuse catégoriquement cette vocation. Pour Oksana, c’est l’incompréhension. 

Quelques années plus tard, désormais convaincue que la religion est une imposture, l’adolescente adhère au Parti communiste d’Ukraine et rejoint le Komsomol, une organisation sélective formant les futurs leaders du Parti. 

Finalement déçue par la politique, elle entre à l’université de Khmelnytskyï pour étudier la philosophie. Elle y fait alors les rencontres les plus importantes de sa vie : Anna Hutsol et Oleksandra Chevtchenko, dite Sacha. Ensemble, les étudiantes s’indignent de la condition des femmes et dénoncent une société patriarcale à laquelle la « révolution orange » n’a rien changé : les violences conjugales, les viols impunis, la corruption, la prostitution…

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Oksana Chatchko, co-fondatrice du mouvement Femen

Révoltées par la condition des femmes ukrainiennes, les trois jeunes femmes veulent faire la guerre au patriarcat, aux dictateurs, à la prostitution, aux religions… Et il faut agir ! À 21 ans, Oksana cofonde alors le mouvement radical féministe Femen. À l’été 2008, elle et ses amies manifestent pour dénoncer la prostitution en Ukraine. Aux cris de « Cessez de vendre l’Ukraine » et « l’Ukraine n’est pas un bordel », elles alertent l’opinion sur le tourisme sexuel dans les pays de l’Est.

Le drame de l’hôpital de Khmelnytskyï joue aussi un rôle déclencheur dans les activités militantes du groupe. Révoltée par le fait que quatre femmes sont mortes faute de soin dans un hôpital gangrené par la corruption de ses médecins, elles manifestent dans le centre-ville de Khmelnytskyï puis se rendent à Kiev, la capitale de l’Ukraine, pour médiatiser à plus grande échelle leurs actions.  

Dès 2009, les Femen multiplient les opérations coups de poings et les scandales. Le monde assiste alors à une lutte féministe inédite.

Une Femen « artiviste » qui manifeste nue 

 « Nos seins sont nos armes. »

Oksana Chatchko revendique fermement le droit des femmes à disposer de leur corps. Pour elle, il doit être le symbole du combat pour la liberté de la femme, pas un objet d’asservissement sexuel.

Manifester nue est un moyen de donner une autre signification à la nudité : promouvoir les droits des femmes, lutter contre la corruption, le sexisme, le racisme, l’homophobie ou encore la prostitution. 

« Le véritable art, c’est la révolution ».

Artiviste et responsable de l’aspect artistique et de l’image de ce mouvement, elle écrit elle-même des slogans à la peinture noire sur les seins des militantes Femen. « Fuck » « Poutine tyran ». Les seins, habituellement définis comme objet de désirs et de fantasme, deviennent alors des « armes » militantes.   

Oksana Chatchko, Femen révolutionnaire

Dans la rue, devant les caméras, les Femen, torses nues et couronnes fleuries, brandissent des pancartes « je suis une femme, pas un objet » en scandant « Sors, déshabille-toi, gagne ». Ces « happenings », relayés dans le monde entier, leur valent plusieurs arrestations et séjours en prison.

En 2011, les Femen manifestent devant le siège du KGB en Biélorussie pour protester contre la réélection controversée du président Alexandre Loukachenko. L’année suivante, Oxana et d’autres activistes dénoncent la corruption en Russie en s’emparant d’une des urnes présentes dans le bureau de vote du candidat Vladimir Poutine. Lorsqu’Inna Shevchenko, autre figure de proue des Femen, ose scier publiquement une croix en soutien au groupe de punk rock féministe russe les Pussy Riot (littéralement « émeute de chattes »), c’est le scandale. Sous la pression, les Femen doivent s’exiler…   

Les Femen, des militantes controversées

Le courage et la détermination de ces militantes « aux seins nus » forcent l’admiration, l’incompréhension, mais aussi l’agacement. On leur reproche le manque de lisibilité de leurs messages. Leurs manifestations seins nus dans la rue, leurs propos radicaux et leurs slogans provocateurs sont parfois mal perçus par le public. Jugées incontrôlables, les Femen sont accusées de vouloir seulement « faire le buzz » et de desservir les combats féministes.  

Lorsqu’en 2013, une Femen mime un avortement devant l’autel de de l’église de la Madeleine en soutien aux Espagnoles menacées d’être privées de ce droit, les conservateurs crient au blasphème ! Contestation violente à l’ordre religieux établi, menaces contre les institutions, profanation de lieux de culte : leurs détracteurs déplorent un message qui s’arrête à l’image, à la provocation, sans un discours de fond. De plus, leurs sources de financement, émises par des personnes aux prises de position socio-politiques très diverses, sont également très critiquées. 

Une femen au destin tragique

En 2012, Oksana arrive à Paris pour l’ouverture officielle du centre Femen France. Réfugiée politique, à Paris, elle se confronte rapidement à la précarité et à l’isolement. Bien que mère du mouvement Femen, des divergences d’opinions et des altercations avec Inna Chevtchenko, cheffe de file de la section Femen France, conduit Oksana Chatchko à s’en écarter pour se concentrer sur son art. Elle peint alors des icônes à la fois blasphématoires et fidèles au style orthodoxe, en habillant la Vierge Marie d’une burqa, représentant la Trinité de Roublev en train de boire et de fumer ou en dotant l’archange Michel d’une kalachnikov…

Oksana s’installe quelque temps en colocation avec l’artiste Apolonia Sokol, avec laquelle elle se lie d’une amitié sincère. Déracinée, dépressive, et anéantie par le fait d’avoir été dépossédée de son combat, elle se suicide le 23 juillet 2018 dans son petit studio à Montrouge, à l’âge de 31 ans, laissant un dernier post Instagram : « You are Fake » écrit au marqueur.  

Oksana Chatchko, une rebelle éprise de liberté

 « Je veux être libre, que l’on soit tous libres de créer et de choisir notre avenir. »

 Le biopic « Oxana » sort en salle le 16 avril 2025. Réalisé par la cinéaste française Charlène Favier, le film revient sur la naissance du mouvement Femen à travers l’histoire d’Oksana Chatchko, interprétée par l’actrice ukrainienne Albina Korzh.

Femen est un mouvement qui a marqué l’histoire du féminisme contemporain. Parfois incomprises, ces militantes aux seins nus sont parvenues à médiatiser les injustices sociales en Ukraine, puis à l’échelle internationale. 

Idéaliste engagée, dissidente politique révoltée au destin tragique, Oksana Chatchko a contribué à réveiller l’indignation et la rébellion… au péril de sa vie.  

À découvrir aussi, l’histoire de Kubra Khademi, l’artiste afghane qui brise les tabous en libérant le corps des femmes. 

Pour aller plus loin : 

  •  Je suis Femen (2014), documentaire d’Alain Margot
  • Ukraine Is Not a Brothel (2013) documentaire de Kitty Green 
  • Nos seins, nos armes ! (2013), documentaire de Caroline Fourest et Nadia El Fani
  • Femen, les seins de la révolte, (2021), documentaire d’Olivier Pighetti

 Sources :

En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent

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