Le destin des femmes de la mythologie grecque est toujours lié à celui de grands héros. Elles sont, la plupart du temps, victimes de leurs abus, ou au mieux, leur faire-valoir. Pourtant, elles se distinguent par leur courage et leur inventivité et occupent une place essentielle dans les mythes. Comment Thésée aurait-il vaincu le Minotaure sans Ariane ? Que serait devenu le royaume d’Ulysse sans Pénélope pour en assurer l’intendance, pendant l’absence de son héros de mari ? Alors, parcourons ensemble l’épopée de cinq héroïnes, décriées ou oubliées, du culte grec antique.
Gaïa : la figure féminine à l’origine du monde et déjà victime de misogynie
Gaïa est une déesse primaire née du Chaos. Elle représente la Terre. Sa légende explique la création du monde. Comme vous allez le constater, ce sont aussi les prémices du sexisme ordinaire.
Le mythe sur les rapports de force entre les sexes
Gaïa est capable d’enfanter par parthénogenèse (sans intervention masculine). Seule, elle engendre Ouranos, Pontos et Ouréa. Mais Ouranos, très tyrannique, opprime sa mère et la force à avoir des relations qui s’avèrent fécondes. Ce dieu colérique est persuadé qu’un de ses fils le détrônera. Il empêche donc Gaïa de mettre au monde le fruit de ses abus. Elle cherche une échappatoire et demande de l’aide à ses enfants emprisonnés dans son ventre. Le plus jeune, Cronos, est le seul à répondre présent. Alors, au cours d’un nouvel assaut sexuel, celui-ci émascule Ouranos. Fou de douleur, le dieu du ciel relâche Gaïa. Enfin libérée de ce joug, la déesse donne naissance à sa progéniture. Dès lors, elle n’a de cesse de se battre contre la cruauté de sa descendance masculine. Elle s’oppose d’abord à son fils Cronos, devenu à son tour un dieu despotique, puis à son petit-fils Zeus.
Une femme violentée et soumise par son propre fils
Ce mythe nous fait découvrir une déesse libre, qui n’a besoin de personne pour accomplir son destin. Elle se retrouve, pourtant, sous emprise masculine. Dès l’origine du monde, dans la religion grecque, l’homme prend le pouvoir par la force.
Coré et Déméter : une fable sexiste sur la naissance des quatre saisons
Coré est la fille de Déméter et Zeus. Sa mère, avec qui elle entretient une relation fusionnelle, est la déesse de l’agriculture. Toutes deux coulent des jours heureux en Sicile.
L’histoire grecque sur la puissance de la relation mère-fille
Coré est une très belle enfant, admirée par tous. Un jour, son oncle Hadès, dieu des enfers, décide d’en faire sa femme et l’enlève. Coré crie et se débat tandis que son ravisseur l’entraîne dans son monde souterrain. Déméter cherche sa fille partout et panique. Hélios le soleil, témoin de toute chose, lui révèle le rapt. Déméter, très peinée, ne protège plus les cultures. La terre devient stérile et le monde est en danger. Alors, Zeus et Hadès passent un accord : Coré, devenue Perséphone, devra partager son temps entre le dieu des enfers et sa mère. C’est ainsi que les Grecs expliquent la création des saisons, Déméter ne fertilisant les terres que lorsqu’elle est en compagnie de son enfant.
Le destin de deux femmes dicté par la volonté des hommes
Derrière la poésie du mythe des saisons se cache une grande violence. Deux hommes manigancent et disposent du destin de Coré et de sa mère, selon leurs désirs. Mais pleine d’ingéniosité, Déméter obtient gain de cause en menaçant l’équilibre d’une ressource fondamentale.
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Méduse : l’objectivation sexuelle d’une femme transformée en monstre cruel
Méduse est un personnage populaire très représenté dans les arts. On se souvient d’elle comme d’une monstrueuse créature aux cheveux de serpents. Pourtant, il semble que son unique péché soit d’être magnifique.
La légende d’une beauté qui attise convoitise et jalousie
La superbe Méduse attire la convoitise de Poséidon, dieu des océans, qui tente de la charmer. Elle refuse ses avances et s’abrite dans un temple d’Athéna. Poséidon, qui n’a que faire de salir ce lieu de culte, viole la pauvre Méduse. Athéna est outrée du sacrilège commis par Poséidon, mais choisit de châtier la victime. Elle transforme la jeune femme en une horrible créature qui pétrifie d’un seul regard. L’injustice et l’horreur ne s’arrêtent pas là. Persée, qui désire s’emparer du pouvoir de Méduse afin de terrasser ses ennemis, demande le soutien d’Athéna. Celle-ci, décidément dénuée d’une quelconque sororité, aide le héros à décapiter Méduse. Il gagne ses combats grâce à la tête de la Gorgone et l’offre ensuite à la déesse, qui en fait l’ornement de son bouclier.
Une victime de la cruauté des dieux et des déesses
Cette histoire nous révèle que, dans la mythologie grecque, les femmes, elles aussi, sont injustes et cruelles. Athéna, qui s’est pourtant opposée maintes fois à Poséidon, préfère ici concentrer sa colère sur la victime. Méduse est peut-être trop belle et naïve pour échapper à la violence des divinités.
Médée : la trahison et l’humiliation font perdre la raison à une épouse aimante
Médée est l’héroïne de nombreuses pièces de théâtre. Les tragédiens Euripide, Sénèque ou encore Corneille ont tenté d’analyser la personnalité complexe de cette femme libre et forte, dotée de grands pouvoirs magiques. Sans elle, Jason ne serait pas le héros populaire qu’il est aujourd’hui.
Une fable sur l’amour fusionnel qui mène à l’irréparable
Cette légende débute lorsque Jason arrive en Colchique pour s’emparer de la Toison d’or, détenue par le roi Éétès, père de Médée. Ce dernier lance un défi surhumain à Jason en échange du trésor convoité. Médée, tombée sous le charme du beau jeune homme, propose d’user de sa magie pour l’aider. En retour, elle lui demande le mariage et un amour éternel. Le héros accepte et sort vainqueur des épreuves. Mais Éétès, mauvais joueur, refuse de lui céder son gain. Les amoureux volent alors la Toison et s’enfuient. Ils se réfugient à Corinthe et ont deux enfants. Quelques années plus tard, l’ambitieux Jason assoiffé de pouvoir, répudie Médée pour épouser Créuse, la fille du roi de Corinthe. Folle de douleur, Médée devient incontrôlable. Elle assassine le souverain, ainsi que Créuse et finit d’accomplir sa vengeance envers son époux en tuant leurs deux enfants.
La différence de traitement des crimes féminins ou masculins
L’infanticide, parmi d’autres horreurs, est courant dans les mythes grecs : Agamemnon donne sa fille en sacrifice et Héraclès tue femme et enfants. On ne se souvient pourtant que de leurs actes héroïques. Médée, quant à elle, est la figure de la criminalité infantile par excellence. Il semble donc que, dans l’Antiquité, le genre des coupables augmente la gravité des faits.
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Hestia : la plus grande oubliée des femmes de la mythologie grecque
Hestia fait partie des dieux de l’Olympe. Elle est pourtant effacée de la mythologie par certains grands poètes du Ve siècle avant Jésus-Christ, et finit même remplacée par Dionysos dans le canon olympien.
Le culte méconnu d’une raisonnable et mesurée divinité vierge
L’histoire d’Hestia n’est pas aussi violente que celles évoquées précédemment. Toutefois, il me semble qu’elle a toute sa place dans cet article. Elle est une déesse réfléchie et bienveillante, qui ne prend jamais part aux guerres et aux combats. En tant que divinité du foyer, elle est présente dans chaque maison de l’Antiquité. Son rôle est d’entretenir sans relâche le feu de l’Olympe, elle ne quitte donc jamais sa montagne. Aucun mythe ne lui est dédié, mais les Grecs anciens lui vouent un grand culte. Pourtant, au fil du temps, elle est gommée de la mythologie et perd peu à peu son statut de déesse au panthéon de l’Olympe.
Le désintérêt des mythographes pour une déesse trop sage
Hestia reste vierge toute sa vie, son destin n’est lié à aucun homme. De plus, ses attributs, le foyer et le feu, perdent de l’importance au cours des siècles. Ce sont sûrement les raisons pour lesquelles aucune légende ne lui est consacrée et que les mythographes lui portent peu d’intérêt.
Je pourrais continuer sans fin mon récit tant la mythologie regorge de femmes charismatiques, audacieuses et singulières. Cependant, un élément demeure immuable : les femmes doivent continuellement s’opposer à l’ego et à la violence des hommes pour tenter de conserver leurs droits et leur liberté. De tous temps, des mythographes, quelque peu sexistes, n’ont eu de cesse de minimiser, voire d’effacer, le rôle de certaines déesses. Pourtant, elles sont extrêmement vénérées par les Grecs anciens. Il est donc temps de leur redonner la place qu’elles méritent. J’espère que ma vision de ces légendes vous aura permis de découvrir ou redécouvrir des femmes de la mythologie grecque aux destins incroyables.
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Aurélia Richard, pour Celles qui Osent
Sources :
DUSSUTOUR, Alice; LANOË, Anne. Femmes libres de la mythologie. Éditions Fleurus. 2020
GOGLIN, Jean-Marc. Histoire de la misogynie de l’Antiquité à nos jours. La Cliothèque
GRIMAL, Pierre. La mythologie grecque. Éditions Que sais-je ?. 19e édition : 2003
RACHMUHL, Françoise. Les femmes de la mythologie. Éditions Flammarion jeunesse. 2021
Une brève histoire d’art
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