La reconnaissance des femmes peintres au XIXe siècle : facteur d’émancipation

Le monde de l’art connaît à cette époque des transformations qui ont des répercussions sur l’évolution de la condition féminine. Plusieurs facteurs s’agrègent pour conférer aux femmes davantage d’autonomie. Elles bénéficient d’une plus grande facilité d’accès à l’enseignement grâce aux ateliers de maîtres qui se déploient à travers Paris. Mais la reconnaissance des femmes peintres au XIXe siècle est aussi le fruit de leur labeur et de leur talent récompensés par l’exposition croissante de leurs œuvres.

Quand l’apprentissage du dessin apporte un vent de liberté

Le Code civil de 1804 place les femmes sous l’autorité de leur mari. Elles doivent entre autres obtenir son autorisation pour travailler. Jugées inférieures, elles sont dépourvues de droits civiques. Dans ce contexte, déterminées à prendre en main leur destin, certaines cherchent à s’affranchir des normes sociales oppressives à leur égard. Alors que l’enseignement supérieur leur est refusé, la pratique du dessin va jouer un rôle notable dans leur émancipation.

Des cours enfin plus accessibles aux femmes

À Paris, le développement croissant de formations artistiques, répondant à une forte demande, est favorable aux femmes. Si l’École des beaux-arts ne les accepte pas avant 1897, elles peuvent intégrer l’un des ateliers qui essaiment dans la capitale, sous réserve de maîtriser le dessin. Les plus modestes peuvent s’inscrire au préalable, à l’École impériale gratuite de dessin pour Demoiselles. Rosa Bonheur, qui dirige l’établissement avec sa sœur Juliette, conseille à ses élèves en 1859 : […] « à celles d’entre vous qui ont l’ambition de peindre un jour, gardez-vous de vouloir aller trop vite. Avant de prendre les pinceaux, assurez d’abord votre crayon. […] »

Dans cette effervescence artistique, quelques femmes, les plus audacieuses, parviennent à braver les interdits, à l’instar d’Elizabeth Gardner qui se déguise en homme pour s’inscrire aux Gobelins. Elle obtient par la suite une autorisation préfectorale de travestissement pour suivre les cours de dessin réservés à la gent masculine.

L’accès à une carrière professionnelle d’artiste, signe d’indépendance financière

Progressivement, leur talent, associé à un enseignement de qualité et à une volonté de fer, permet aux femmes engagées dans un cursus artistique de s’affranchir de la sphère domestique. Leur horizon s’élargit, ouvrant la voie à la poursuite d’une carrière professionnelle lucrative. Issues de différents milieux, venues de divers pays, elles acquièrent des droits jusqu’alors accordés uniquement aux hommes. Notons que l’entraide dont elles font preuve s’avère essentielle à l’évolution de leur statut. Comme le souligne Magali Philippe-Briat, conservatrice à Brou : « il faut insister sur la dimension collective de ce mouvement, sur la sororité, qui se traduit par de véritables réseaux de solidarité féminine. »

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Ateliers et académies privés, une alternative à l’École des beaux-arts

À Paris les ateliers privés prolifèrent

À l’époque, les ateliers de maîtres se multiplient. La gent féminine qui n’est pas encore admise aux Beaux-Arts, dont les cours sont gratuits, s’y forme principalement. Leur fréquentation est incontournable dans le parcours des peintres, car ils offrent aussi la possibilité de rencontrer ses pairs. Un atout indispensable pour se constituer un réseau et lancer sa carrière. Si certaines étudiantes apprécient leur caractère mondain, d’autres souhaitent surtout se professionnaliser et pouvoir vivre de leur passion. Parmi les ateliers les plus en vogue, citons ceux de Charles Chaplin, fréquenté par Mary Cassatt, Eva Gonzalès…, d’Ange Tissier, de Carolus-Duran, etc.

Quelques femmes artistes délivrent elles-mêmes un apprentissage à leurs homologues. À l’image de Marie-Amélie Cogniet, sœur du peintre Léon Cogniet. Organisées, elles ouvrent également des ateliers coopératifs dans lesquels elles engagent des modèles et viennent dessiner plusieurs soirs par semaine. La création de deux académies de renom marque particulièrement la seconde moitié du siècle.

Les académies Julian et Colarossi ouvrent leurs portes, y compris aux femmes

• L’académie Julian, fondée par Rodolphe Julian en 1868, propose un apprentissage mixte de haute qualité portant sur l’étude du modèle vivant – les femmes y posent entièrement nues, tandis que les hommes apparaissent en caleçon. En 1875, une classe est réservée aux jeunes filles. Notons que le tarif y est deux fois supérieur à celui appliqué aux élèves masculins.

• L’académie Colarossi ouvre en 1870, dans le quartier Montparnasse. Des cours de dessin, peinture et sculpture d’après modèle y sont dispensés auprès d’un public cosmopolite. Cette école, qui entend se démarquer des Beaux-Arts jugés trop conservateurs par certains artistes, attire à elle de nombreux étudiants devenus célèbres. Parmi eux, citons Camille Claudel, Paul Gauguin, James Whistler… En 1907 elle nomme sa première femme enseignante, Frances Hodgkins.

L’importance du Salon d’art contemporain et des galeries dans la reconnaissance des femmes peintres au XIXe siècle

À force de combats, les femmes sont enfin reconnues pour leur talent, ce qui les élève au statut d’artistes peintres. Bien entendu, cela implique qu’elles puissent exposer leurs œuvres, puis les vendre.

Le Salon annuel d’art contemporain

Après une expérience d’un à deux ans en atelier, les aspirantes, recommandées par leurs professeurs souvent membres des jurys, peuvent exposer au Salon en plus grand nombre. Un lieu de haute importance pour se faire connaître et vendre leur production. Entre 1791 et 1848, 16 % des peintres sont des femmes. C’est d’ailleurs en cette année 1848 que Rosa Bonheur remporte une médaille d’or pour Bœufs et Taureaux, Race du Cantal. La féminisation du milieu artistique évolue encore dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les exposantes sont 5,3 % en 1863, avec 101 tableaux sur 1915. En 1889, elles atteignent 15,1 %, avec 418 toiles sur 2771. Mais elles sont bien plus nombreuses dans la section des arts dits « mineurs », soit 41,3 % en 1880. Cela peut s’expliquer par la formation qu’elles reçoivent. Selon Martine Lacas, docteur en histoire et théorie de l’art, « La destination première [des écoles fondées à la fin du siècle] était de fournir de la main-d’œuvre pour l’industrie du luxe […] Les jeunes femmes sont orientées majoritairement vers les arts décoratifs plutôt que vers les Beaux-Arts ». Ce qui leur offre tout de même l’opportunité de faire carrière. En outre, quelques personnalités, après s’être fait connaître dans cette catégorie, exposent dans la section peinture. C’est le cas de Louise Abbéma, spécialiste des portraits mondains, dont celui de Sarah Bernhardt. Elle obtient une mention honorable au Salon de 1881 ; reçoit la légion d’honneur en 1906, au même titre que Rosa Bonheur en 1865, Virginie Demont-Breton en 1894 et d’autres encore.

Les galeries, nouveaux lieux de diffusion

Apparues à la fin du siècle, elles sont fréquentées par le public, mais aussi par des écrivains, des intellectuels, des caricaturistes et par la presse. Les galeristes deviennent des intermédiaires nécessaires entre les artistes et de potentiels acheteurs. À ce titre, ils viennent concurrencer le Salon officiel, comme le fait également celui des indépendants en 1884.

Parmi les principaux acteurs de l’époque, dont Paul Durand-Ruel qui fait la promotion de Berthe Morisot et soutient les impressionnistes, Berthe Weil se démarque. Elle est en effet la première femme galeriste de Paris. À l’origine de la découverte de nombreux jeunes peintres de l’avant-garde, elle perçoit le génie de : Suzanne Valadon, symbole d’émancipation féminine, Marie Laurencin, Émilie Charmy… et leurs homologues masculins, Pablo Picasso, Amedeo Modigliani, Raoul Dufy… Les marchands d’art ont plus tard favorisé l’avènement des mouvements fauve et cubiste, du surréalisme et de l’abstraction.

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Si le XIXe siècle a permis aux femmes d’exister en tant qu’artistes peintres et de s’affranchir de certaines conventions, on peut néanmoins déplorer que la plupart aient disparu de l’histoire de l’art. Elles y ont pourtant amplement contribué. Pour preuve, le Musée et l’École moderne des beaux-arts mentionnent dans leurs Annales en 1807 : « L’art de la peinture vient d’atteindre en France à un très haut degré de perfection et jamais on n’y a vu autant de femmes artistes » …

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Magali Huart, pour Celles qui Osent

 

Sources :

– Martine Lacas, Rosa Bonheur : une femme artiste fumant le cigare…, L’Art en histoires, BNF, [Podcast], 15 novembre 2022 [consulté le 25 mai 2023], 1 vidéo, 1 h 31 min

– Denise Noël, Les femmes peintres dans la seconde moitié du 19e siècle, Clio, 2004, [Consulté le 25 mai 2023].

– Maëva Abillard, Les femmes artistes au 19e siècle, Chronologie (2/3), 2. XIXe siècle, ministère de la Culture, [Consulté le 25 mai 2023].

– Armèle Fémelat, Femmes artistes au tournant du XXe siècle : l’art de l’émancipation, Beaux-Arts Magazine, 18 mars 2021, mis à jour le 16 février 2023 [Consulté le 25 mai 2023].

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