Lorsqu’on pense à nos ancêtres de l’Âge de pierre, les premières images qui nous viennent à l’esprit sont celles d’hommes intrépides, à la fois explorateurs, chasseurs, artisans et artistes… mais où donc sont les femmes préhistoriques ? Cantonnées au foyer à s’occuper de leur progéniture ? Détrompez-vous ! Cela fait maintenant plusieurs années que la science est venue remettre en question cette vision faussée de nos aïeules et de leur rôle, preuves à l’appui. Vous voulez en savoir davantage et découvrir enfin la vérité sur les femmes de la Préhistoire ? Alors, allumez votre (lampe) torche et ouvrez votre esprit d’Homo sapiens, car cet article va changer à jamais votre regard sur l’histoire de l’humanité.
Une représentation erronée des femmes préhistoriques pendant plus de 150 ans
Une vision sexiste des rapports homme-femme issue de la société du XIXe siècle
Pour comprendre d’où viennent nos stéréotypes sur les femmes des premiers âges, il faut remonter à l’origine des sciences préhistoriques, au milieu du XIXe siècle. À cette époque, les découvertes et travaux scientifiques réalisés en Europe permettent des progrès majeurs dans la compréhension des origines de l’Homme. Il est désormais prouvé qu’il est apparu bien avant le déluge des textes religieux et qu’il appartient au même système évolutif que les autres êtres vivants.
Malgré tout, la société du XIXe siècle demeure très patriarcale et sexiste à l’égard des femmes, sous l’influence combinée de la religion et du modèle familial traditionnel. Les sciences médicales, humaines et sociales ne vont pas échapper à ce phénomène et vont pendant longtemps relayer ce mode de pensée dans leurs travaux et leurs théories.
Une prédominance du modèle de l’homme chasseur
Dans le champ de la Préhistoire également, les femmes sont ainsi systématiquement présentées ou comme des mères au foyer soumises et dévouées à leurs enfants, ou comme des êtres vulnérables à protéger. Par contraste, l’homme des cavernes apparaît toujours dans son rôle de chef de famille puissant et accompli, excellant dans diverses activités telles que la guerre, la chasse ou encore la fabrication d’outils. Cette vision va être largement relayée dans la peinture, la gravure et la littérature de l’époque, contribuant à l’imprimer de manière durable dans l’imaginaire populaire.
La vision androcentrée de la Préhistoire établie au XIXe siècle va rester dominante jusque dans les années 1950, où elle va connaître son paroxysme avec le modèle de l’homme chasseur. D’après cette théorie, c’est avant tout l’activité de chasse collective pratiquée par les hommes qui aurait permis l’essor des premières sociétés organisées, en renforçant la sociabilité et l’artisanat.
Dans les années 1970, sous l’impulsion du mouvement féministe, plusieurs chercheuses en anthropologie vont remettre en cause ce point de vue. En s’appuyant sur l’ethnographie comparée de tribus nomades africaines actuelles, elles vont proposer le modèle de la femme collectrice et rassembleuse. Selon elles, ce sont les femmes qui auraient joué un rôle central dans la survie du groupe et son développement, en assurant sa cohésion et en pourvoyant à ses besoins quotidiens grâce à la cueillette.
De nos jours, les chercheurs s’accordent à dire que ni l’un ni l’autre de ces modèles ne permet à lui seul d’expliquer la façon dont les premières sociétés humaines se sont organisées. Les découvertes archéologiques récentes montrent toutefois bien que les femmes préhistoriques étaient beaucoup plus actives et polyvalentes qu’on a bien voulu nous le faire croire.
Des représentations artistiques véhiculant les stéréotypes de leurs époques
Dans les représentations artistiques des 200 dernières années, la femme de la Préhistoire européenne en a vu de toutes les couleurs, au gré des clichés, des interprétations et des courants de pensée. À quoi donc ressemblait-elle vraiment ?
À une pin-up américaine des sixties ? Eh bien non ! Si dans la plupart des illustrations, les femmes préhistoriques sont blanches et ont des cheveux blonds ou roux (comment pourrait-il en être autrement pour expliquer l’ascendance des populations européennes ?!), les dernières techniques d’étude ADN nous révèlent enfin leur vrai visage : nos grands-mères Homo sapiens avaient la peau sombre et une majorité d’entre elles avaient les yeux bleus ! Une fois de plus, la réalité vient faire voler en éclat les croyances et les idées reçues.
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Une artiste et une artisane aux multiples talents
Nos ancêtres nous ont laissé de nombreux témoignages de leur vie quotidienne, sous la forme d’outils de pierre, de sculptures et de peintures rupestres. Influencés par la vision androcentrée du XIXe siècle, nous avons considéré jusqu’à encore récemment que ces réalisations ne pouvaient être que le fruit du travail des hommes. Du moins, nous n’avons pas envisagé la possibilité qu’elles pouvaient également être l’œuvre de femmes…
Certains indices nous permettent toutefois aujourd’hui de l’affirmer, comme ceux découverts sur le site de Pech Merle, dans le sud de la France. Cette grotte a la particularité d’abriter de magnifiques fresques murales représentant des animaux, accompagnées de plusieurs empreintes de main. Une étude récente, s’appuyant sur l’indice de Manning, a conclu que certaines marques avaient été faites par des femmes ! Signature de l’artiste ? Il y a de bonnes raisons de le penser. Des traces de pas fossilisées retrouvées dans une des galeries attesteraient également de leur passage. De quoi venir ébranler les certitudes des spécialistes du domaine.
Autre indice trouvé dans la grotte de Hohle Fels en Allemagne : une amulette en pendentif évoquant le corps d’une femme après l’accouchement, qui a visiblement été fabriquée par une personne ayant une connaissance très précise de l’anatomie féminine…
Un dernier indice ? Une impressionnante gravure préhistorique retrouvée dans une grotte de la forêt de Fontainebleau en région parisienne, montrant un entrejambe féminin très détaillé ! Plus intrigant encore, la sculpture a été réalisée à l’endroit précis où s’écoule naturellement un mince filet d’eau… Évocation symbolique des menstruations ou de l’accouchement ? Lieu de culte d’une déesse de la fertilité ? Quoiqu’il en soit, rien ne prouve que cette représentation plutôt fidèle de l’anatomie féminine ne soit pas également l’œuvre d’une femme.
L’artisanat non plus n’était pas nécessairement une activité exclusivement masculine. Une parure composée de centaines de très fines perles de terre cuite a ainsi été retrouvée sur le site de Castel-Merle en Dordogne, dont on pense qu’elle a été réalisée par une ou plusieurs femmes. Autre découverte faite en République tchèque : des traces de tressage en fibres végétales ayant permis de fabriquer différents objets du quotidien (nasses, filets, besaces, récipients), qui seraient également l’œuvre d’artisanes préhistoriques. Enfin, il est aujourd’hui démontré que même la taille de silex nécessite davantage d’adresse que de force musculaire, et qu’elle aurait donc pu tout autant être pratiquée par des femmes que par des hommes.
Une athlète et une chasseresse redoutable
Dans les représentations figuratives de la Préhistoire dont nous disposons, le corps féminin apparaît souvent petit et ramassé, avec des hanches larges, une poitrine développée et des formes généreuses. Pendant longtemps, nous en avons conclu que les femmes préhistoriques, enchaînant probablement les grossesses et s’occupant de leurs enfants, avaient une activité physique restreinte. Ainsi, et faute de méthodes d’analyse permettant de déterminer le sexe d’un individu à partir d’ossements très abîmés, les squelettes à l’aspect robuste retrouvés étaient systématiquement considérés comme masculins.
Les nouvelles techniques d’étude offertes par le progrès scientifique font évoluer notre regard. Si certaines femmes pouvaient être petites ou fortes, la plupart étaient en réalité relativement grandes et musclées ! Les contraintes imposées par leur mode de vie de nomade impliquaient en effet des déplacements fréquents et importants, représentant une activité physique quotidienne et intensive.
Dans cette situation, il leur était également impossible d’enchaîner les grossesses, qui devaient nécessairement être espacées de plusieurs années. Certains chercheurs pensent qu’elles ont pu pour cela recourir à des méthodes de contraception naturelles. Elles ont probablement en outre bénéficié de l’aide des autres membres du clan pour l’éducation de leurs enfants, notamment des grands-mères, leur permettant de continuer à prendre part aux activités collectives.
Et la chasse alors ? Si les études réalisées montrent que les femmes préhistoriques européennes, à la différence de leurs cousines des autres continents, n’utilisaient pas la sagaie, elles participaient à la traque du gros gibier en rabattant les proies. En effet, les hommes seuls n’auraient pas été assez nombreux pour tuer des animaux mobiles – comme le renne – en grande quantité. Le groupe entier était donc mobilisé, contrairement aux idées reçues.
En se basant sur les données archéologiques et l’ethnographie comparée, il est possible de supposer que les femmes chassaient également le petit gibier à l’aide de pièges et d’armes légères, qui représentait une source de nourriture plus sûre et plus régulière.
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Une connaisseuse des plantes et de leur usage
Nos ancêtres préhistoriques avaient déjà acquis un savoir important concernant les plantes de leur environnement, leurs propriétés et leurs applications. Des fouilles réalisées près du lac Ohalo en Israël ont permis de mettre au jour un campement néolithique sur lequel ont été retrouvées des milliers de graines de plantes, ainsi que des outils et ustensiles servant à leur culture et leur préparation.
Les espèces collectées sur le site ont la particularité de couvrir les différentes saisons, sur plusieurs années successives. Cela prouve que les individus sont restés longtemps sur place et sont revenus plusieurs fois, leur permettant d’observer et d’apprivoiser les changements et cycles de la nature. Autre fait intéressant : certaines graines avaient un usage médicinal, comme le tamaris qui aide à la cicatrisation, le chardon qui soulage les maux de ventre, ou encore le mélilot qui stoppe les saignements.
En se basant sur l’ethnographie comparée, il est possible de supposer que la collecte, la culture et la préparation des plantes à la Préhistoire ont pu être réalisées autant par des hommes que par des femmes.
« Une autre image se dessine, celle de femmes mobiles, actives, créatives, dont l’existence ne fut pas exempte de difficultés, voire d’injustices ou de maltraitances, mais qui sans nul doute jouèrent un rôle crucial, non seulement pour la reproduction, la subsistance et les pratiques créatives, techniques, de ces sociétés, mais aussi dans leurs expressions symboliques. » Claudine Cohen, historienne et philosophe des sciences
Le statut social des femmes de la préhistoire en question
Une séparation sexuée des tâches non prouvée
Dans la vision de la préhistoire qui a prévalu jusqu’à la fin du XXe siècle, les tâches nécessaires à la survie de la tribu étaient clairement réparties entre les hommes et les femmes. Cette interprétation se basait notamment sur l’ethnographie comparée de groupes de chasseurs-cueilleurs actuels, dans lesquelles cette séparation des travaux quotidiens selon le sexe est courante.
En s’appuyant sur les nombreuses découvertes archéologiques réalisées depuis, il est toutefois possible de remettre en question cette vision des choses. En effet, il est aujourd’hui prouvé que les femmes préhistoriques participaient à la plupart des activités essentielles à la subsistance du clan. Rien ne permet d’affirmer qu’une répartition stricte et sexuée des tâches ait été mise en place à cette époque.
Il est possible que cette répartition ait été faite selon d’autres critères, tels que la condition physique, les capacités intellectuelles et créatives, les compétences ou encore l’âge. Par ailleurs, si une séparation sexuée du travail a pu exister à certains endroits, cela ne veut pas dire qu’une autre organisation n’ait pas été instaurée ailleurs, comme l’explique la préhistorienne Marylène Patou-Mathis.
Une organisation sociale qui reste à éclaircir
Dans la lignée des controverses du XXe siècle, les spécialistes continuent de débattre aujourd’hui sur la structure sociale préhistorique. S’appuyant sur l’importante iconographie féminine livrée par l’archéologie, certains défendent l’idée d’une société matriarcale, où le pouvoir aurait été détenu et exercé par les femmes. Pour d’autres, l’organisation patriarcale que l’on retrouve dans les groupes de chasseurs-cueilleurs actuels et ailleurs dans le monde prouve que ce système était déjà institué dès le Paléolithique.
Si aucune donnée ne permet d’attester de l’existence de tribus dirigées par des femmes, des sociétés matrilinéaires ont pu se mettre en place à certains endroits, comme on en trouve aujourd’hui en Afrique. Dans ce type d’organisation, la transmission du nom et des biens suivent le lignage maternel et non celui du père. Les relations de couple et la structure familiale à la préhistoire ont pu être très différentes de celles que nous connaissons, et il est possible de penser qu’à cette époque c’est la mère qui assurait la filiation.
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Une iconographie féminine riche et énigmatique
Lorsqu’on étudie les nombreuses statuettes paléolithiques qui nous sont parvenues, on constate que les représentations humaines sont majoritairement des femmes. Baptisées « Vénus » par leurs découvreurs au début du XXe siècle, ces sculptures énigmatiques montrent le plus souvent des corps charnus aux hanches larges et la poitrine développée, comme celle trouvée à Willendorf. Dans un autre style, la Dame de Brassempouy présente, elle, un buste féminin aux traits fins et à la chevelure travaillée.
Objets de vénération liés au culte d’une grande déesse de la vie et de fertilité, amulettes magiques ou œuvres d’art à visée purement esthétique ? À ce jour, aucune de ces théories n’a pu être prouvée ou démentie. Peut-on toutefois en conclure que ces objets sont le signe d’un statut social particulier des femmes dans la société préhistorique ? Là encore, le mystère reste entier.
Notre voyage à la découverte des femmes de la Préhistoire prend fin ! Une partie de la vérité est maintenant rétablie concernant les grands-mères de l’humanité et le rôle crucial qu’elles ont joué dans la survie et le développement de notre espèce. Loin des stéréotypes et de la vision sexiste qui ont pu être entretenus pendant des générations, les femmes préhistoriques apparaissent fortes, habiles et créatives, n’en déplaise à l’homme chasseur. Sans tomber dans la polémique, il est aujourd’hui essentiel de faire évoluer notre regard sur ce pan trop souvent oublié de notre histoire collective et des rapports homme-femme.
50 000 ans plus tard, qui sait si nous ne pourrions pas en tirer de précieux enseignements ?
Florian Vigne, pour Celles Qui Osent
Sources principales :
Geo, Préhistoire : quelle place pour les femmes ?, publié le 8 mars 2022
Hominidés.com, La femme dans la Préhistoire, publié le 1er décembre 2016
Centre Pompidou, Pour une préhistoire des femmes, publié le 6 avril 2021
France Télévisions, Lady Sapiens, publié le 30 septembre 2021
Musée de l’Homme, Les femmes préhistoriques : regards d’hier, savoir d’aujourd’hui, Youtube, publié le 31 janvier 2022.
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