Jeudi 6 octobre 2022, l’écrivaine Annie Ernaux est devenue la 17e femme à recevoir le Nobel de littérature. C’est également la première autrice française à être nobélisée. 101 auteurs ont déjà reçu cette récompense, dont…une majorité d’hommes. En 121 années d’existence de ce prestigieux prix, 17 femmes ont été primées seulement dans cette catégorie. En effet, l’invisibilisation des femmes ne s’arrête pas seulement à l’histoire ou la politique, mais touche aussi tous les arts, dont la littérature. Celles qui Osent revient, le temps d’un article non exhaustif, sur les femmes prix Nobel de littérature.
Des femmes engagées prix Nobel de littérature
L’engagement et l’écriture au service des autres sont sans doute ce qui rassemble les autrices nobélisées. Issues de la littérature mondiale (avec une majorité d’autrices occidentales, démontrant ainsi l’ethnocentrisme du jury de l’Académie suédoise), ces femmes dénoncent les injustices avec, parfois, une perspective féministe. Connaissez-vous Sigrid Undset ? Cette écrivaine norvégienne catholique (dans un pays majoritairement protestant), qui a reçu le Nobel en 1928, s’est opposée au national-socialisme dès les années 1930, quand il s’est imposé en Norvège. Après l’élection d’un ministre nazi, Vidkun Quisling, ses articles et ses livres deviennent interdits dans les journaux et les librairies, et font l’objet d’autodafés réguliers. Elle s’exile en Suède, d’où elle participe activement à la résistance norvégienne, puis aux États-Unis.
Pearl Buck, née en 1892 aux États-Unis, reçoit le Nobel de littérature en 1931, après le succès mondial de son roman La Terre chinoise. Fille de missionnaires, elle part vivre en Chine avec ses parents à l’âge de 3 mois, où elle grandit, et apprend le mandarin. Après un retour aux États-Unis pour ses études, elle décide de repartir en Chine, pour épouser un ingénieur américain. La production foisonnante de Pearl Buck ont fait découvrir la Chine du premier XXe siècle à un public occidental. L’autrice est également connue pour son oeuvre autobiographique. Dans Un coeur fier, elle raconte par exemple le dilemme constant dans lequel est plongée une femme artiste, mais aussi mère et épouse. À son retour aux États-Unis, elle fonde d’ailleurs une association dédiée aux enfants abandonnés, et aux droits des femmes.
Au-delà des autrices occidentales
Depuis la création du prix, en 1901, plus de 80 % des Nobélisés, toutes disciplines confondues, sont originaires d’Europe ou d’Afrique du Nord. Un certain ethnocentrisme a longtemps été reproché aux jurys de l’Académie suédoise, qui n’ont récompensé que très rarement des auteurs asiatiques, sud-américains, africains, arabes… Et… encore moins des femmes écrivaines. L’une des rares exceptions à cette règle a été la nomination de Gabriela Mistral, en 1945, première écrivaine sud-américaine à recevoir le prix. Née au Chili, cette autrice a également été diplomate et enseignante, et a beaucoup oeuvré pour l’alphabétisation et l’éducation des enfants dans son pays. Elle est notamment la première poète à avoir eu le Nobel de littérature, les autres femmes avant elle étant avant tout romancières. Ses poèmes sont dédiés à son pays natal, aux paysages chiliens, et Gabriela Mistral s’engage pour les droits des femmes, et des peuples indigènes.
Une autre figure intéressante ayant reçu le Nobel est Toni Morrison, écrivaine américaine, descendante d’esclaves, née dans l’Ohio. Ses livres Beloved, Jazz et Paradise constituent une trilogie d’une importance majeure pour l’histoire afro-américaine. Elle est également la première écrivaine noire à recevoir le prix. Son oeuvre est marquée par des personnages féminins très forts. Beloved raconte l’histoire, inspirée de celle de Margaret Garner, d’une esclave en fuite, contrainte d’assassiner sa fille, puis de se suicider.
Annie Ernaux, icône féministe et première femme française prix Nobel de littérature
Annie Ernaux, dernière autrice à recevoir le Nobel, a fait honneur à la littérature française, et faisait partie des favoris du jury depuis de nombreuses années déjà. Originaire d’Yvetot, en Normandie, fille d’épiciers, son oeuvre est dédiée aux « sans-voix » : les femmes, les classes populaires, les régions et territoires isolés, loin d’une littérature flamboyante et parisienne. Engagée à gauche, féministe, elle n’hésite pas à prendre la parole sur des sujets autrefois considérés tabous, comme l’avortement ou l’adultère. Son oeuvre s’approche de la sociologie et de l’histoire. Dans Les Années, l’un de ses romans les plus connus, elle relate son enfance et sa vie de jeune adulte, à une époque remplie de bouleversements (l’indépendance de l’Algérie, mai 68, légalisation de la contraception, puis de l’avortement…).
La nomination d’Annie Ernaux a déclenché une vague d’oppositions, notamment parmi l’extrême droite. Ses prises de position féministe et de gauche ont par exemple fait l’objet de contestations, niant ainsi avec le passé littéraire français, au sein duquel la figure de l’écrivain engagé a toujours été familière. Cela n’a pas empêché Annie Ernaux de se rendre à la « marche contre la vie chère », organisée par la France Insoumise, le dimanche 16 octobre, aux côtés de Jean-Luc Mélenchon.
Pour les amoureuses de la lecture, partez à la découvertes des femmes poètes contemporaines !
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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