Films et séries LGBTQ+ 2024

Films et séries LGBTQ+ 2024 : Rétrospective et coups de cœur

Les films et séries suivants ne sont pas toujours sortis exactement en 2024.

La Bella Estate : l’éveil d’une jeunesse en quête de liberté

Dans La Bella Estate, Laura Luchetti nous transporte dans une Italie des années 1930, où les conventions sociales règnent en maître. Le film suit Ginia, jeune couturière issue d’un milieu modeste, qui quitte sa campagne natale pour la ville de Turin. Là, tout semble possible : une vie différente, une émancipation rêvée.

Sa rencontre avec Amelia bouleverse sa perception du monde et d’elle-même.

Adapté du roman éponyme de Cesare Pavese, La Bella Estate est une œuvre qui capte les nuances des relations humaines et le frisson de la découverte de soi. Amelia, interprétée par Yle Vianello, livre une performance tout en retenue, incarnant les hésitations et les élans d’une jeunesse en quête de repères. Amelia, de son côté, jouée par Deva Cassel, incarne la liberté désinvolte, une femme pour qui les règles ne sont qu’un obstacle à contourner. Ce contraste entre les deux personnages devient le moteur du récit, un miroir où se reflètent les aspirations et les craintes de Ginia.

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Ce qui frappe dans ce film, c’est l’attention portée à l’esthétique. Les jeux de lumière, les cadrages serrés, et les paysages urbains de Turin participent à cette impression de flou, comme si le monde de Ginia vacillait entre l’ancien et le nouveau. La mise en scène de Luchetti choisit les silences et les regards pour dire ce que les mots n’osent pas. Un geste, une ombre qui passe sur un visage, deviennent des révélateurs de la tension intérieure des personnages.

Mais La Bella Estate n’est pas seulement un récit d’amour. C’est une exploration de l’émancipation féminine dans un contexte où l’indépendance reste une transgression. Ginia et Amelia ne vivent pas une histoire faite pour durer ; elles incarnent une parenthèse, une collision entre deux trajectoires. Pourtant, dans cette rencontre fugace, quelque chose d’essentiel se joue : le courage de regarder au-delà de ce que l’on croyait possible.

Ce film est un hommage subtil à ces moments de bascule où l’on devient quelqu’un d’autre, poussé par des rencontres qui redéfinissent le monde.

Luchetti signe ici une œuvre élégante et sensible, où chaque plan raconte l’urgence de vivre, malgré les contraintes.

Sans jamais nous connaître : entre deux mondes, l’intime se dévoile

Andrew Haigh signe avec Sans jamais nous connaître (All of Us Strangers) un drame poignant où le réel vacille doucement pour laisser entrevoir des bribes d’étrangeté. Ce récit introspectif transporte le spectateur dans un Londres où les liens familiaux et amoureux s’entrelacent.

L’histoire suit Adam (Andrew Scott), un scénariste solitaire, dont la rencontre avec son voisin Harry (Paul Mescal) fait naître une romance à la fois tendre et incertaine. Pourtant, ce n’est que le début d’un cheminement plus profond. Lorsque Adam retourne dans la maison de son enfance, il découvre ses parents, morts depuis des décennies, toujours présents, comme figés dans un temps révolu. Ces retrouvailles inattendues ouvrent une fenêtre sur des souvenirs enfouis et des douleurs jamais complètement apaisées.

Haigh, déjà salué pour ses œuvres sensibles comme Weekend ou 45 Years, évite toute explication rationnelle à cette situation. Il préfère interroger l’impact du passé sur le présent, le poids des relations perdues, et la manière dont les souvenirs façonnent ce que nous sommes. La maison d’enfance devient un espace de confrontation : entre Adam et ses parents, mais aussi entre les fragments de lui-même qu’il pensait avoir laissés derrière.

Ce qui distingue Sans jamais nous connaître, c’est la subtilité avec laquelle le film traite ses thèmes. La relation entre Adam et ses parents, incarnés par Claire Foy et Jamie Bell, est pleine de mélancolie mais jamais d’apitoiement. Les dialogues, empreints d’une intensité discrète, expriment autant ce qui est dit que ce qui reste inexprimé. Les scènes entre Adam et Harry, portées par une alchimie palpable entre Scott et Mescal, traduisent la fragilité et la force d’une romance qui cherche à exister malgré les ombres du passé.

Visuellement, Haigh mise sur des contrastes qui renforcent l’intimité du récit. Les intérieurs feutrés, les ruelles silencieuses et les espaces clos créent une atmosphère où chaque détail, chaque geste, chaque regard devient porteur de sens. La caméra capte ces moments d’une manière qui semble presque tactile, rendant l’émotion tangible.

Avec Sans jamais nous connaître, Haigh nous invite à réfléchir sur la persistance des absences, sur ce que signifie aimer quand les blessures du passé ne sont jamais totalement refermées. C’est une œuvre profondément personnelle, mais universelle dans son questionnement des liens humains et de leur résonance.

Un film qui, par sa sincérité et sa finesse, reste avec nous bien après que les lumières se rallument.

20 000 espèces d’abeilles

Dans 20 000 espèces d’abeilles, la réalisatrice espagnole Estibaliz Urresola Solaguren nous plonge au cœur d’un été déterminant pour Cocó, une enfant de huit ans en quête de son identité de genre. Le film suit Cocó et sa mère, Ane, qui, en pleine crise personnelle, décident de passer les vacances dans le village basque familial, auprès de la grand-mère et de la tante apicultrice. Ce retour aux sources devient le théâtre d’une introspection profonde pour Cocó, confrontée aux attentes sociales et aux traditions familiales.

Le titre du film, 20 000 espèces d’abeilles, fait écho à la diversité et à la complexité du monde naturel, symbolisant la multitude d’identités possibles. Cette métaphore est renforcée par la présence de la tante apicultrice, dont le travail avec les abeilles sert de toile de fond à la narration. La ruche devient ainsi une allégorie de la société, où chaque individu cherche sa place tout en contribuant à l’harmonie collective.

Sofía Otero, qui incarne Cocó, livre une performance bouleversante de sincérité. Son jeu subtil et authentique capte les nuances des émotions d’une enfant en pleine transition identitaire. Patricia López Arnaiz, dans le rôle d’Ane, dépeint avec justesse une mère tiraillée entre son amour inconditionnel pour son enfant et les pressions sociétales.

20 000 espèces d’abeilles a été salué par la critique pour sa sensibilité et sa profondeur. Le film a remporté l’Ours d’argent de la meilleure interprétation féminine pour Sofía Otero au Festival international du film de Berlin en 2023, une reconnaissance méritée pour une performance aussi marquante.

20 000 espèces d’abeilles est une œuvre délicate qui aborde avec finesse les questions d’identité de genre et les dynamiques familiales. À travers le prisme de l’enfance, Estibaliz Urresola Solaguren nous offre une réflexion profonde sur la quête de soi et l’acceptation, dans un monde où la diversité est aussi naturelle que les multiples espèces d’abeilles.

Emilia Pérez : Jacques Audiard réinvente le thriller musical

Avec Emilia Pérez, Jacques Audiard fait un pas de côté dans sa filmographie en livrant une œuvre à la croisée des chemins. Ce film raconte l’histoire de Manitas, chef de cartel mexicain redouté, qui décide de fuir son passé criminel et de changer de sexe pour enfin devenir Emilia. Aidé dans sa transformation par Rita, une avocate désabusée incarnée par Zoe Saldaña, et poursuivi par ses ennemis, Manitas navigue entre tension et éclats de musique.

Audiard ne cherche pas à raconter une histoire linéaire. Emilia Pérez déborde, explose parfois, mais ne cesse de surprendre. Les numéros musicaux, loin de casser le rythme, ajoutent une force narrative inattendue. La musique, composée par Camille et Clément Ducol, entremêle sonorités mexicaines et arrangements modernes, créant une trame sonore où chaque note semble raconter ce que les mots taisent.

La performance de Karla Sofía Gascón dans le rôle de Manitas/Emilia est au cœur du film. Elle incarne avec finesse un personnage tiraillé entre deux mondes : celui de son passé violent et celui de la nouvelle vie qu’elle aspire à construire. Zoe Saldaña, dans le rôle de Rita, offre un contrepoint rugueux et drôle à cette quête d’émancipation, tandis que Selena Gomez, dans un rôle plus secondaire, injecte une énergie pétillante à des scènes parfois lourdes de tension.

La mise en scène d’Audiard évite les codes trop attendus. Les plans saturés de couleurs, les décors exagérément baroques, et les cadrages qui serrent les visages capturent une forme de chaos qui sied bien à cette histoire d’évasion et de transformation. Ce n’est pas un Mexique réaliste que l’on découvre, mais une version stylisée, presque mythologique.

Au-delà de l’intrigue, Emilia Pérez interroge sur ce que signifie changer. Pas seulement changer de peau ou d’apparence, mais se réinventer en profondeur, affronter ses propres contradictions et celles du monde. Audiard aborde ces thèmes sans chercher à édulcorer la violence des choix, tout en gardant un humour décapant.

Ce film, présenté au Festival de Cannes, a divisé la critique. Certains l’ont trouvé trop éclaté, d’autres l’ont salué pour son audace. Quoi qu’il en soit, Emilia Pérez ne laisse personne indifférent.

Drive-Away Dolls : un road movie qui trace sa route hors des sentiers battus

Ethan Coen s’aventure pour la première fois en solo derrière la caméra, offrant un road movie où l’humour noir et la sensibilité queer cohabitent avec une légèreté piquée d’irrévérence.

L’histoire suit Jamie (Margaret Qualley), une jeune femme impulsive, et Marian (Geraldine Viswanathan), sa meilleure amie studieuse et sarcastique. En quête d’un nouveau départ après des déceptions sentimentales et professionnelles, elles embarquent dans une voiture volée pour un voyage à travers les États-Unis, ignorant que le véhicule renferme des objets compromettants qui attirent l’attention de criminels.

Coen, fidèle à son style, mêle absurde et tension, créant un univers où chaque rencontre sur la route devient une pièce d’un puzzle imprévisible. Les dialogues, ciselés et pleins de mordant, ancrent les personnages dans une réalité où l’humour devient une arme contre l’adversité. Jamie, libre et parfois maladroite, contraste avec Marian, plus terre-à-terre mais tout aussi désillusionnée. Leur amitié, complexe et sincère, est au cœur du récit, éclipsant presque l’intrigue criminelle qui sert de toile de fond.

La mise en scène est typiquement coenienne : des plans larges sur des routes désertes alternent avec des cadrages serrés qui accentuent les tensions entre les personnages. Le film capture cette Amérique des marges, où les diners en bord de route et les motels décrépits deviennent des lieux de révélation. La photographie, baignée d’une lumière chaude et légèrement poussiéreuse, évoque une nostalgie pour une époque où le road trip incarnait encore une certaine liberté.

Ce qui distingue Drive-Away Dolls, c’est son traitement des thématiques queer. Jamie, ouvertement lesbienne, est un personnage rafraîchissant dans un genre souvent hétérocentré. Sa sexualité n’est ni un moteur dramatique ni une caricature : elle est simplement une part de son identité. Le film aborde avec subtilité les relations queer, non comme un sujet à exploiter, mais comme une réalité intégrée à l’histoire.

Les seconds rôles, incarnés par des acteurs comme Pedro Pascal et Beanie Feldstein, apportent une énergie supplémentaire à cette épopée. Leur présence ajoute des moments absurdes et hilarants, contribuant à l’équilibre délicat entre comédie et suspense.

Drive-Away Dolls est bien plus qu’un simple road movie. Sous son apparente légèreté, le film traite de la résilience et de l’affirmation de soi, tout en offrant une vision rafraîchissante des récits queer dans le cinéma mainstream.

La chambre d’à côté, Pedro Almodovar

Pedro Almodóvar, maître du mélodrame espagnol, s’aventure pour la première fois dans un long-métrage entièrement en anglais avec La Chambre d’à côté (The Room Next Door). Adapté du roman What Are You Going Through de Sigrid Nunez, le film réunit Tilda Swinton et Julianne Moore dans l’intimité de l’amitié et de la fin de vie.

L’intrigue suit Ingrid (Julianne Moore), une écrivaine new-yorkaise, qui retrouve Martha (Tilda Swinton), une ancienne amie devenue reporter de guerre. Après des années de séparation, leurs retrouvailles sont marquées par une demande poignante : Martha, atteinte d’un cancer en phase terminale, sollicite l’aide d’Ingrid. Ce voyage commun devient une réflexion profonde sur la mort, l’amour et les liens qui nous unissent.

Almodóvar, fidèle à son style, mêle des thèmes graves à une esthétique soignée.

Les performances de Swinton et Moore sont au cœur du film. Swinton incarne une Martha stoïque, confrontée à sa mortalité avec une sérénité troublante, tandis que Moore dépeint une Ingrid déchirée entre loyauté et peur. Leur alchimie à l’écran offre une profondeur rare.

Présenté à la Mostra de Venise 2024, La Chambre d’à côté a été récompensé du Lion d’Or, une première pour un film espagnol.

En abordant des sujets tels que l’euthanasie et l’amitié féminine, Almodóvar offre une œuvre introspective qui invite à la réflexion. La Chambre d’à côté n’est pas seulement un film sur la mort, mais une célébration de la vie et des relations qui la définissent.

Queer : Luca Guadagnino et les zones d’ombre du désir

Luca Guadagnino plonge dans l’univers complexe et sombre de William S. Burroughs, adaptant l’un de ses romans les plus introspectifs.

Le film suit William Lee (Daniel Craig), un expatrié américain dans le Mexique des années 1950, coincé entre un passé qu’il tente d’oublier et une obsession croissante pour Eugene Allerton, un jeune homme magnétique interprété par Drew Starkey. Entre errances physiques et psychologiques, Queer s’impose comme une œuvre dérangeante et troublante.

Guadagnino, maître des atmosphères sensuelles et des relations ambiguës (Call Me by Your Name, A Bigger Splash), capture ici la tension qui émane du texte original. Les décors du Mexique, sublimés par une lumière chaude et crue, deviennent un personnage à part entière, reflétant les contradictions intérieures de William. La mise en scène joue sur des cadrages resserrés et des mouvements de caméra qui traduisent à la fois l’étouffement et le désir.

Daniel Craig, dans un contre-emploi saisissant, livre une performance hantée. Il incarne un homme brisé, égaré, mais incapable de renoncer à l’intensité destructrice de son obsession.

Drew Starkey, en Eugene, est à la fois distant et captivant, un miroir imparfait dans lequel William projette ses fantasmes et ses regrets.

La bande originale, composée par Trent Reznor et Atticus Ross, ajoute une dimension hypnotique au film. Chaque note semble peser, chaque silence amplifie le malaise. Ce duo, connu pour ses travaux avec David Fincher, réussit ici à créer une partition qui enveloppe le spectateur tout en laissant respirer les dialogues.

Si Queer fascine par ses choix esthétiques et la densité de son propos, il divise par son rythme volontairement lent et son refus de livrer des réponses. Guadagnino ne cherche pas à simplifier les thématiques complexes du roman. Il préfère embrasser l’ambiguïté : les zones grises du désir, les contradictions d’un homme qui se débat avec son identité et ses pulsions.

Ce film n’est pas une œuvre de séduction. Il demande au spectateur de s’immerger dans une psyché trouble, parfois inconfortable.

Avec Queer, Guadagnino prouve une fois de plus qu’il excelle à capturer les nuances des relations humaines, même lorsqu’elles se situent au bord du gouffre.

La Pampa – Block Pass

Avec La Pampa, Antoine Chevrollier, connu pour ses travaux sur les séries Le Bureau des Légendes et Baron Noir, signe son premier long-métrage en plongeant dans l’univers du motocross et des secrets d’adolescence. Le film suit Willy (Sayyid El Alami) et Jojo (Amaury Foucher), amis inséparables depuis l’enfance, qui tuent l’ennui en s’entraînant à La Pampa, un terrain de motocross local. Leur routine est bouleversée lorsque Willy découvre un secret intime de Jojo, mettant à l’épreuve leur amitié et les confrontant à leurs propres identités.

Chevrollier dépeint avec authenticité la vie rurale française, loin des clichés habituels. Les paysages poussiéreux de La Pampa deviennent le théâtre de tensions entre camaraderie masculine et découverte de soi. La caméra capte avec une précision presque documentaire les courses effrénées sur les pistes, symbolisant la fuite en avant des protagonistes face à leurs tourments intérieurs.

La performance de Sayyid El Alami est particulièrement remarquable. Il incarne Willy avec une vulnérabilité palpable, oscillant entre loyauté envers son ami et confusion face à la révélation qui ébranle leur relation. Amaury Foucher, dans le rôle de Jojo, apporte une profondeur émotive, rendant son secret et ses implications d’autant plus poignants.

Présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2024, La Pampa a été salué pour sa représentation sincère de l’adolescence et des défis liés à l’acceptation de soi dans un environnement souvent hostile à la différence.

Le film a remporté le Prix Révélation, confirmant le talent prometteur de Chevrollier en tant que réalisateur.

Tout ira bien : le temps des silences et des renaissances

Ray Yeung, connu pour ses portraits intimes et nuancés de la communauté LGBTQ+ asiatique (Front Cover, Suk Suk), offre avec All Shall Be Well une œuvre délicate et profondément émouvante. Ce drame hongkongais met en lumière une période charnière de la vie d’Angie, une femme lesbienne sexagénaire confrontée à la perte brutale de sa partenaire de longue date, Mei. Dans le tumulte du deuil, Angie navigue entre souvenirs et réalités, cherchant à redéfinir son existence.

Le film débute avec une sobriété poignante : une chambre vide, un lit défait, des objets du quotidien qui, soudain, paraissent inutiles. Angie, incarnée par la magistrale Wai Ying-Hung, porte le récit avec une subtilité qui capte toute la profondeur du deuil. Son silence, souvent plus éloquent que les mots, traduit l’effondrement intérieur qu’elle traverse. Ce n’est pas seulement Mei qu’elle perd, mais une histoire partagée, un équilibre fragile dans une société qui a souvent ignoré leur amour.

Chaque plan semble pesé, chaque détail soigneusement choisi. Les rues de Hong Kong, filmées avec une lumière tamisée, deviennent le reflet de l’isolement d’Angie, tandis que les flashbacks lumineux évoquent les moments partagés avec Mei. La ville, à la fois familière et étrangère, sert de toile de fond à ce parcours émotionnel.

Le récit aborde également la manière dont les communautés queer d’un certain âge se soutiennent mutuellement. Angie trouve un refuge inattendu dans un groupe de soutien pour personnes LGBTQ+ seniors, où elle rencontre une galerie de personnages marqués par leurs propres blessures. Ces échanges, pleins de douceur et de franchise, apportent une lumière dans l’obscurité du deuil.

Yeung montre ici l’importance des liens communautaires, en particulier pour celles et ceux qui ont passé une grande partie de leur vie dans l’invisibilité.

La bande originale, signée par Lim Giong, accompagne parfaitement le ton du film, mêlant des mélodies délicates à des silences qui laissent résonner l’intensité des émotions. Le choix d’une musique épurée renforce l’intimité du récit.

Ray Yeung nous rappelle, avec une délicatesse infinie, que le temps, les liens, et même la douleur peuvent devenir les architectes d’une nouvelle existence.

Les Reines du drame : une comédie musicale qui défie les conventions

Avec Les Reines du drame, Alexis Langlois livre un premier long-métrage qui mêle comédie musicale et drame psychologique, tout en revisitant les mythes de la célébrité et de l’identité.

À travers le récit de Mimi Madamour, une diva pop marquée par les affres du succès et de l’amour, le film propose une réflexion sur le poids des images et des attentes dans l’industrie culturelle.

Louiza Aura incarne cette figure complexe avec justesse, naviguant entre insouciance et vulnérabilité. Face à elle, Gio Ventura donne vie à Billie Kohler, une icône punk dont l’énergie brute contraste avec la sophistication du monde de Mimi. Ce duo porte le récit, soutenu par la narration décalée de Steevyshady, youtubeur campé par Bilal Hassani. Ce dernier, dans un rôle qui détourne les codes de la culture numérique, propose une lecture contemporaine de ces destins entrelacés.

Le film se distingue par sa mise en scène très marquée, empruntant des éléments à la culture pop des années 2000 tout en s’ancrant dans une esthétique résolument actuelle. Alexis Langlois joue avec des références variées, allant du cinéma d’Almodóvar à celui de John Waters, sans perdre de vue son propos.

La bande originale, composée en partie par Mona Soyoc et Rebeka Warrior, accompagne efficacement les différentes temporalités du récit, entre nostalgie et modernité. Les morceaux musicaux rythment l’intrigue tout en apportant un contraste intéressant avec la dramaturgie parfois intense.

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Le Temps d’aimer : énorme coup de cœur !

Dans Le Temps d’aimer, Katell Quillévéré propose bien plus qu’un simple mélodrame : elle déconstruit les attentes traditionnelles autour de l’amour, en interrogeant ce qu’il signifie réellement. En se concentrant sur Madeleine (Anaïs Demoustier) et François (Vincent Lacoste), deux âmes à la dérive dans la France de l’après-guerre, le film dévoile une vision subtile et complexe des relations humaines, où les liens affectifs ne suivent jamais un schéma préétabli.

La relation entre Madeleine, serveuse et mère célibataire, et François, étudiant issu de la bourgeoisie, dépasse les conventions. Leur attachement, marqué par des gestes, des silences et des regards, ne repose pas sur les codes habituels de la passion amoureuse ou de l’érotisme. Ce qui les unit échappe à toute catégorisation, remettant en question l’idée que l’amour serait inévitablement lié à la sexualité ou à une certaine forme de possession. Madeleine et François semblent se trouver dans les interstices des attentes sociales, créant leur propre langage affectif, fait d’une tendresse parfois maladroite, mais profondément sincère.

Katell Quillévéré accompagne cette redéfinition de l’amour par une mise en scène délicate. La lumière naturelle, omniprésente, enveloppe les personnages d’une douceur qui contraste avec leurs luttes intérieures. Les décors, entre plages venteuses et intérieurs modestes, servent de miroir à leurs émotions, à la fois vastes et contenues. La caméra, toujours proche, capte les moindres frémissements : un geste retenu, une hésitation dans une phrase, une porte qui ne se ferme pas complètement. Chaque détail compte, et chaque silence devient porteur d’une vérité que les mots n’arrivent pas à exprimer.

Les performances d’Anaïs Demoustier et de Vincent Lacoste ajoutent une dimension profondément humaine au film. Demoustier, dans le rôle de Madeleine, incarne une femme résignée, combattante, dont les aspirations ne se laissent pas définir par sa condition sociale ou son passé. Lacoste, quant à lui, joue un François empreint de douceur et de confusion, qui trouve dans Madeleine une échappatoire à un milieu étouffant.

Ensemble, ils forment un duo inattendu, mais d’une authenticité rare.

Ce qui rend Le Temps d’aimer si particulier, c’est sa capacité à casser les codes narratifs du mélodrame classique. Le film ne propose pas de résolution claire, ni de réponses toutes faites. Il invite à réfléchir sur ce qu’est véritablement l’amour : est-il un choix ou une fatalité ? Peut-il exister sans désir physique ou sans promesses ?

Peut-il, surtout, être un espace de liberté dans un monde qui impose des normes à chaque relation ?

Quillévéré, avec sa maîtrise de l’intime et du non-dit, propose un récit où l’amour devient une quête, une exploration des possibles, plutôt qu’une certitude. Le Temps d’aimer est une œuvre qui résonne longtemps après la fin, tant elle touche à l’essence de ce qui nous lie aux autres, et à nous-mêmes.

Kokon : l’éveil à soi dans un Berlin incandescent

Dans Kokon, Leonie Krippendorff peint un tableau intime et bouleversant de l’adolescence queer dans le Berlin effervescent de Kreuzberg.

Nora, 14 ans, se trouve au cœur de ce récit de métamorphose : une adolescente timide qui, au fil d’un été brûlant, découvre son identité et ses premiers émois amoureux.

Lena Urzendowsky incarne Nora avec profondeur Chaque regard, chaque mouvement traduit à la fois l’hésitation et la force intérieure d’une jeune fille en pleine transformation. Nora est spectatrice de son propre monde : celui de sa sœur aînée, rebelle et charismatique, et celui des adolescentes hypersexualisées de son entourage. Mais c’est dans sa rencontre avec Romy, interprétée par Jella Haase, que Nora commence à se définir, à se comprendre.

Ce lien, doux et intense, éclaire son chemin dans un univers parfois hostile, souvent confus.

Berlin devient ici bien plus qu’un décor. Les rues de Kreuzberg, baignées d’une lumière chaude et moite, reflètent les tumultes intérieurs de Nora. Les appartements exigus, les toits où l’on cherche l’air, et les piscines publiques où la chaleur semble étouffer chaque geste, dessinent un environnement qui respire autant qu’il contraint. Leonie Krippendorff capte ces espaces avec une caméra attentive, presque tendre, rendant palpable l’atmosphère unique de cette jeunesse urbaine.

Le film se distingue aussi par sa bande-son, composée de morceaux électro et de pop berlinoise qui rythment les errances et les découvertes de Nora. Ces choix musicaux amplifient l’intensité des émotions, sans jamais les supplanter. Chaque note semble s’accorder à une pulsation intérieure, à ce frisson de la jeunesse qui avance sans savoir où elle va.

Kokon dépasse la simple chronologie d’un été. C’est une ode à la résilience, à la force des jeunes filles qui, malgré les injonctions sociales, parviennent à trouver leur propre voie.

Leonie Krippendorff livre une œuvre sincère, où les nuances priment sur les grands gestes, et où l’adolescence, avec ses fulgurances et ses douleurs, est capturée dans toute sa complexité.

Un film indispensable pour celles et ceux qui cherchent à comprendre ou revivre ces moments où tout bascule.

Marinette : une femme, un combat, un héritage

Virginie Verrier brosse le portrait d’une femme qui, à force de résilience et de détermination, a changé le visage du football féminin en France. Inspiré de l’autobiographie de Marinette Pichon, Ne jamais rien lâcher, le film résonne comme un cri du cœur pour toutes celles qui refusent de plier face aux injustices.

Dès les premières scènes, le ton est donné. Marinette (Garance Marillier) grandit dans une famille où la violence paternelle rythme les jours, et où la survie devient un réflexe. Ce contexte difficile forge une combattante. Très tôt, elle trouve sur les terrains de football un espace où elle peut être elle-même, un refuge contre les démons du quotidien. Mais ce que le sport lui offre en liberté, la société le reprend en contraintes : être une femme, homosexuelle de surcroît, dans un univers largement dominé par les hommes, c’est devoir prouver sans relâche sa légitimité.

Le film évite l’écueil de l’hagiographie en montrant Marinette telle qu’elle est : forte, bien sûr, mais aussi vulnérable, parfois en proie à des doutes et des failles. Garance Marillier prête à son personnage une humanité désarmante. Sa Marinette n’est jamais idéalisée, mais elle captive par sa sincérité. Les scènes de match, loin des clichés spectaculaires souvent associés au cinéma sportif, traduisent la rudesse du terrain, le poids des attentes et la solitude d’une joueuse pionnière.

Le passage de Marinette dans la Women’s United Soccer Association (WUSA), où elle devient la première Française à évoluer dans ce championnat américain, est l’un des moments forts du film. Ces séquences offrent un contraste avec les réalités du football féminin en France à l’époque, marqué par un manque cruel de reconnaissance et de moyens. Mais même outre-Atlantique, le combat continue : celui pour une visibilité accrue, des salaires décents, et un respect égal à celui accordé à ses homologues masculins.

Virginie Verrier filme cette quête avec une sobriété qui laisse toute sa place aux émotions brutes. Les dialogues sont précis, évitant les lourdeurs explicatives, et la mise en scène préfère capter l’intensité des gestes et des regards. La bande-son, minimaliste, accompagne les moments clés sans jamais forcer l’émotion, laissant le spectateur s’immerger pleinement dans le récit.

Mais Marinette ne s’arrête pas au cadre du terrain. Le film aborde avec délicatesse des sujets universels : la relation mère-fille, la quête d’identité, et le poids des attentes sociales. Marinette est une athlète d’exception et une femme ordinaire qui se bat pour être elle-même, dans toutes les dimensions de sa vie.

Ce qui frappe dans ce film, c’est sa manière de redéfinir le héros sportif. Ici, pas de glorification : l’héroïsme réside dans l’endurance face aux épreuves, dans la capacité à inspirer les autres en restant fidèle à soi-même. Marinette est une œuvre d’une grande justesse, qui raconte une histoire personnelle tout en dessinant un portrait collectif. Car, à travers Marinette Pichon, ce sont toutes les femmes qui ont osé braver les normes et les préjugés qui sont célébrées.

Un film nécessaire, qui résonne bien au-delà du football.

Passages : quand l’amour et le désir s’entrechoquent

Dans Passages, Ira Sachs tisse un drame troublant autour d’un triangle amoureux complexe, où les émotions se heurtent et s’entrelacent. À Paris, Tomas (Franz Rogowski), un réalisateur égocentrique, vit avec son mari Martin (Ben Whishaw). Lors d’une soirée, il entame une liaison imprévue avec Agathe (Adèle Exarchopoulos), une jeune institutrice. Ce choix, loin d’être anodin, bouleverse l’équilibre fragile entre les trois personnages, chacun essayant de donner un sens à ses désirs contradictoires.

Le film s’appuie sur des performances d’une grande justesse. Adèle Exarchopoulos, tout en nuances, incarne une Agathe à la fois vulnérable et déterminée. Franz Rogowski imprévisible, fait de Tomas un personnage aussi captivant qu’irritant, toujours en quête de quelque chose qu’il ne parvient pas à nommer. Ben Whishaw, dans le rôle de Martin, exprime avec une subtilité remarquable la douleur sourde de l’abandon et de la trahison.

Sachs choisit une mise en scène dépouillée, centrée sur les corps et les visages, où chaque regard, chaque silence, chaque mouvement raconte une histoire. La caméra s’attarde sur les moments d’intimité, mais aussi sur les ruptures, capturant la tension et l’ambivalence des relations humaines.

Paris, filmé sans artifice, agit en arrière-plan comme un miroir des émotions : ses rues vibrent d’une agitation presque invisible, tandis que les intérieurs dévoilent la solitude et les failles des personnages.

Le scénario, sobre et précis, refuse les réponses faciles. Il questionne sans cesse les notions de fidélité, de possession, et de liberté. Les dialogues, empreints d’une vérité crue, traduisent la confusion des protagonistes sans tomber dans l’explicatif. La bande sonore minimaliste souligne ces tensions, laissant les silences s’imposer là où les mots se dérobent.

Passages ne se contente pas de raconter une histoire d’amour et de trahison. Il interroge les dynamiques de pouvoir au sein des relations, la fragilité des attachements et l’incompatibilité parfois douloureuse entre désir et responsabilité.

Innocence : Kore-eda 

Hirokazu Kore-eda signe avec Monster une œuvre d’une intensité rare, plongeant le spectateur au cœur des malentendus, des non-dits et des blessures invisibles.

Le point de départ d’Innocence est une querelle scolaire qui prend des proportions inattendues. Minato, un jeune garçon, accuse son enseignant de comportements déplacés. Pourtant, à mesure que le récit se déploie, les perspectives s’entrelacent et révèlent une vérité plus complexe, où chaque personnage porte sa part de fardeau. La construction narrative fragmentée joue un rôle central, offrant une mosaïque d’émotions et de points de vue. C’est cette pluralité qui confère au film une profondeur inédite.

Kore-eda excelle à dépeindre les relations familiales et sociales ; mais ici, il va encore plus loin en abordant les questions d’identité, de différence et de marginalisation. Minato, à travers ses silences et ses regards, incarne une lutte intérieure universelle, celle de trouver sa place dans un monde qui ne laisse guère de marge à l’altérité.

Si les thématiques LGBTQIA+ ne sont jamais explicitement abordées, elles imprègnent néanmoins le sous-texte du film.

Sakura Andô, dans le rôle de la mère de Minato, livre une interprétation bouleversante, oscillant entre force et vulnérabilité. Eita Nagayama, en professeur accusé, incarne avec finesse un homme piégé par ses propres failles. Quant aux jeunes interprètes, ils apportent une sincérité brute qui transcende l’écran.

Innocence est une réflexion sur la fragilité des liens humains et la difficulté à comprendre l’autre dans toute sa complexité. En refusant les réponses simples, Kore-eda nous pousse à embrasser l’ambiguïté et à interroger nos propres biais.

 

Split : L’amour au prisme du regard féminin

Avec Split, Iris Brey (que nous avons interviewée dans notre podcast) livre une mini-série féministe atypique. L’histoire d’Anna, cascadeuse trentenaire tombant amoureuse d’Ève, actrice qu’elle double sur un tournage, devient le point de départ d’une réflexion plus large sur les représentations féminines à l’écran et sur leurs impacts.

Anna, incarnée par Alma Jodorowsky, traverse un moment charnière. Sa passion naissante pour Ève (Jehnny Beth) agit comme un révélateur de ses propres incertitudes. Iris Brey, spécialiste du regard féminin au cinéma, sublime cette relation en évitant les artifices classiques. Les scènes d’intimité privilégient les émotions brutes et authentiques, loin des clichés souvent imposés dans les récits sur les relations lesbiennes.

La bande originale, signée Rebeka Warrior et Maud Geffray, vient ajouter une texture sonore émotive et moderne qui accompagne avec justesse chaque moment clé.

Mais Split ne s’arrête pas à une histoire d’amour. La série pose des questions plus profondes sur les attentes sociales, les pressions liées à l’identité, et le pouvoir des images. En tant que cascadeuse, Anna se trouve au croisement de ces dynamiques, souvent reléguée à l’ombre des projecteurs, alors même qu’elle est au cœur de l’action.

Présentée au festival Séries Mania, où elle a été récompensée pour sa musique, Split a été saluée pour sa singularité et son engagement. Iris Brey, en déconstruisant les codes traditionnels, offre un récit où chaque hésitation devient un tremplin, et où chaque regard porté sur les personnages est un acte de réappropriation.

Une œuvre qui redéfinit, avec finesse et audace, ce que peut être une histoire d’amour queer à l’écran.

 

Celles qui Osent

En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent

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